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Le savoir objectif ou la connaissance s’imposant à tous le esprits

Publié le 10/04/2014

Extrait du document

 

 

A quoi tient la certitude que l’on accorde aux mathématiques ?

Comment les mathématiques, produit de la pensée indépendant de l’expérience,

peuvent-elles rendre compte de la réalité ?

Les mathématiques sont-elles une science comme les autres ?

Les connaissances scientifiques peuvent-elles être à la fois vraies et provisoires ?

Ne doit-on tenir pour vraie une proposition que si elle est contrôlable par une

expérience ?

Les faits parlent-ils d’eux-mêmes ?

Les sciences permettent-elles de connaître la réalité même ?

La connaissance scientifique progresse-t-elle par l’accumulation des faits ?

La connaissance scientifique a-t-elle des limites ?

La connaissance scientifique abolit-elle toute croyance ? (La science ; la religion ; la

vérité)

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La science découvre-t-elle ou construit-elle son objet ?

La valeur d’une théorie se mesure-t-elle à son efficacité pratique ?

Une connaissance scientifique du vivant est-elle possible ?

La machine fournit-elle un modèle pour comprendre le vivant ?

Doit-on concevoir des limites à l’expérimentation sur le vivant ?

L’homme se réduit-il à ce que nous en font connaître les sciences humaines ?

Les sciences humaines peuvent-elles adopter les méthodes des sciences de la nature ?

Peut-on dire que la « conscience « est l’ennemie secrète des sciences humaines ?

L’histoire : une histoire ou des histoires ?

Peut-on dire qu’il existe une logique des évènements historiques ?

Le journaliste peut-il décider qu’un évènement est historique ?

En quel sens peut-on dire que l’historien « fait « l’histoire ?

L’histoire est-elle le simple récit des faits tels qu’ils se sont passés ?

Faut-il renoncer à l’idée que l’histoire possède un sens ?

L’histoire est-elle ce qui arrive à l’homme ou ce qui arrive par l’homme ?

L’historien peut-il être objectif ?

Tous les objets de la raison humaine ou de nos recherches peuvent se diviser en deux

genres, à savoir les relations d’idées et les faits. Du premier genre sont les sciences de la

géométrie, de l’algèbre et de l’arithmétique et, en bref, toute affirmation qui est intuitivement

ou démonstrativement certaine. Le carré de l’hypoténuse est égal au carré de deux côtés, cette

proposition exprime une relation entre ces figures. Trois fois cinq est égal à la moitié de trente

exprime une relation entre ces nombres. Les propositions de ce genre, on peut les découvrir

par la seule opération de la pensée, sans dépendre de ce qui existe dans l’univers. Même s’il

n’y avait jamais eu de cercle ou de triangle dans la nature, les vérités démontrées par Euclide

conserveraient toujours leur certitude et leur évidence.

Les faits, qui sont les seconds objets de la raison humaine, on ne les établit pas de la même

manière ; et l’évidence de leur vérité, aussi grande qu’elle soit, n’est pas d’une nature

semblable à la précédente. Le contraire d’un fait quelconque est toujours possible, car il

n’implique pas contradiction et l’esprit le conçoit aussi facilement et aussi distinctement que

s’il concordait pleinement avec la réalité. Le soleil ne se lèvera pas demain, cette proposition

n’est pas moins intelligible et elle n’implique pas plus contradiction que l’affirmation : il se

lèvera. Nous tenterions donc en vain d’en démontrer la fausseté et l’esprit ne pourra jamais la

concevoir distinctement.

Hume

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Questions

1 Dégagez les articulations du texte ainsi que son idée principale.

2 Expliquez : « Le contraire d’un fait quelconque est toujours possible «

3 Toutes les vérités objectives sont-elles de nature rationnelle ?

Nos idées, par exemple de mathématiques, d’astronomie, de physique, sont vraies en deux

sens. Elles sont vraies par le succès ; elles donnent puissance dans ce monde des apparences.

Elles nous y font maîtres, soit dans l’art d’annoncer, soit dans l’art de modifier selon nos

besoins ces redoutables ombres au milieu desquelles nous sommes jetés. Mais, si l’on a bien

compris par quels chemins se fait le détour mathématique, il s’en faut de beaucoup que ce

rapport à l’objet soit la règle suffisante du bien penser. La preuve selon Euclide n’est jamais

d’expérience ; elle ne veut point l’être. Ce qui fait notre géométrie, notre arithmétique, notre

analyse, ce n’est pas premièrement qu’elles s’accordent avec l’expérience, mais c’est que

notre esprit s’y accorde avec lui-même, selon cet ordre du simple au complexe, qui veut que

les premières définitions, toujours maintenues, commandent toute la suite de nos pensées. Et

c’est ce qui étonne d’abord le disciple, qui ce qui est le premier à comprendre ne soit jamais le

plus urgent ni le plus avantageux. L’expérience avait fait découvrir ce qu’il faut de calcul et

de géométrie pour vivre, bien avant que la réflexion se fût mise en quête de ces preuves

subtiles qui refusent le plus possible l’expérience, et mettent en lumière cet ordre selon

l’esprit qui veut se suffire à lui-même. Il faut arriver à dire que ce genre de recherches ne vise

point d’abord à cette vérité que le monde confirme, mais à une vérité plus pure, toute d’esprit,

ou qui s’efforce d’être telle, et qui dépend seulement du bien penser.

Alain

Questions

1 Dégagez les articulations du texte ainsi que son idée principale.

2 Expliquez : « Ce qui fait notre géométrie, notre arithmétique,…ce n’est pas

premièrement qu’elles s’accordent avec l’expérience, mais c’est que notre esprit s’y

accorde avec lui-même «.

3 L’expérience ne nous apprend-elle rien ?

La somme des angles d’un triangle est-elle égale, inférieure ou supérieure à deux angles

doits ? Des trois cas concevables un géomètre ancien eût répondu que le premier était vrai, les

deux autres faux. Pour un moderne, il s’agit là de trois théorèmes distincts qui ne s’excluent

mutuellement qu’à l’intérieur d’un système selon que le nombre des parallèles est postulé

égal, supérieur ou inférieur à un…

L’idée ainsi apparue à l’occasion de la théorie des parallèles, doit naturellement s’étendre à

l’ensemble des postulats…Un théorème de géométrie était à la fois un renseignement sur les

choses et une construction de l’esprit, une loi de physique et une pièce d’un système logique,

une vérité de fait et une vérité de raison. De ces couples paradoxaux, la géométrie théorique

laisse maintenant tomber le premier élément, qu’elle renvoie à la géométrie appliquée… De

théorèmes incompatibles entre eux peuvent également être vrais, pourvu qu’on les rapporte à

des systèmes différents.

Quant aux systèmes eux-mêmes, il n’est plus question pour eux de vérité ou de fausseté,

sinon au sens logique de la cohérence ou de la contradiction interne. Les principes qui les

commandent sont de simples hypothèses, dans l’acception mathématique de ce terme : ils sont

seulement posés, et non affirmés ; non pas douteux, comme la conjoncture du physicien, mais

situés par delà le vrai et le faux, comme une décision ou une convention.

R. Blanché

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La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument

à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres

raisons que celles qui fondent l’opinion de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort.

L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En

désignant les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur

l’opinion : il faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait

pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de

morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L’esprit scientifique nous interdit

d’avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que

nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et

quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’eux-mêmes. C’est

précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un

esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y pas eu de

question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné.

Tout est construit.

Bachelard

Questions

1 Dégagez les articulations du texte ainsi que son idée principale.

2 Expliquez : « Rien n’est donné. Tout est construit «

3 L’opinion ne contient-elle aucune forme de pensée ?

La première condition que doit remplir un savant qui se livre à l’investigation dans les

phénomènes naturels, c’est de conserver une entière liberté d’esprit assise sur le doute

philosophique. Il ne faut pourtant point être sceptique ; il faut croire à la science, c’est-à-dire

au déterminisme, au rapport absolu et nécessaire des choses, aussi bien dans les phénomènes

propres aux êtres vivants que dans les autres ; mais il faut en même temps être bien convaincu

que nous n’avons ce rapport que d’une manière plus ou moins approximative, et que les

théories que nous possédons sont loin de représenter des vérités immuables. Quand nous

faisons une théorie générale dans nos sciences, la seule chose dont nous soyons certains, c’est

que toutes ces théories sont fausses absolument parlant. Elles ne sont que des vérités partielles

et provisoires qui nous sont nécessaires, comme des degrés sur lesquels nous nous reposons,

pour avancer dans l’investigation ; elles ne représentent que l’état actuel de nos connaissances

et, par conséquent, elles devront se modifier avec l’accroissement de la science, et d’autant

plus souvent que les sciences sont moins avancées dans leur évolution.

Cl. Bernard

Les solutions apportées au problème des rapports entre physique et mathématique sont

diverses, mais qu’elles proviennent de scientifiques ou de philosophes, elles reposent, dans

leur écrasante majorité (…) sur l’idée que les mathématiques constituent le langage de la

physique (…) : « Toutes les lois sont tirées de l’expérience, mais, pour les énoncer, il faut une

langue spéciale ; le langage ordinaire est trop pauvre, il est d’ailleurs trop vague, pour

exprimer des rapports si délicats, si riches et si précis. Voilà donc une première raison pour

laquelle le physicien ne peut se passer des mathématiques ; elles lui fournissent la seule

langue qu’ils puissent parler « (H. Poincaré).

Cette conception des mathématiques comme langage de la physique peut toutefois

s’interpréter de diverses façons, suivant que ce langage est pensé comme celui de la nature,

que devra s’efforcer d’assimiler l’homme qui l’étudie, ou à l’inverse comme le langage de

l’homme, dans lequel devront être traduits les faits de la nature pour devenir compréhensibles.

La première position semble être celle de Galilée (…) ; elle est aussi celle d’Einstein :

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« D’après notre expérience à ce jour, nous avons le droit d’être convaincus que la nature est la

réalisation de ce qu’on peut imaginer de plus simple mathématiquement « (…). Le second

point de vue est celui de Heisenberg : « Les formules mathématiques ne représentent plus la

nature, mais la connaissance que nous en possédons «.

(…) Dans le cas de la chimie, de la biologie, des sciences de la Terre, etc., c’est-à-dire, en

général, des « sciences exactes « autres que la physique, le rôle des mathématiques est réduit,

pour l’essentiel, au calcul numérique, c’est-à-dire à la manipulation du quantitatif. Il en va

tout autrement en physique, où les mathématiques jouent un rôle plus profond.

Lévy-Leblond

Je conçois les théories scientifiques comme autant d’inventions humaines – comme des

filets créés par nous et destinés à capturer le monde. Elles diffèrent, certes, des inventions de

poètes, et même des inventions des techniciens. Une théorie n’est pas seulement un

instrument. Ce que nous recherchons c’est la vérité : nous testons nos théories afin d’éliminer

celles qui ne sont pas vraies. C’est ainsi que nous parvenons à améliorer nos théories – même

en tant qu’instruments : en créant des filets qui sont de mieux en mieux adaptés à la tâche

d’attraper nos poissons, à savoir le monde réel. Ce ne sont pourtant jamais des instruments

parfaits. Ce sont des filets rationnels créés par nous, et elles ne doivent pas être confondues

avec une représentation complète de tous les aspects du monde réel, pas même si elles sont

très réussies, ni même si elles semblent donner d’excellentes approximations de la réalité.

Popper

Les concepts physiques sont des créations libres de l’esprit humain et ne sont pas, comme

on pourrait le croire, uniquement déterminée par le monde extérieur. Dans l’effort que nous

faisons pour comprendre le monde, nous ressemblons quelque peu à l’homme qui essaie de

comprendre le mécanisme d’une montre fermée. Il voit le cadran et les aiguilles en

mouvement, il entend le tic-tac, mais il n’a aucun moyen d’ouvrir le boîtier. S’il est

ingénieux, il pourra se former quelque image du mécanisme, qu’il rendra responsable de tout

ce qu’il observe, mais il ne sera jamais sûr que son image soit la seule capable d’expliquer ses

observations. Il ne sera jamais en état de comparer son image avec le mécanisme réel, et il ne

peut même pas se représenter la possibilité ou la signification d’une telle comparaison. Mais

le chercheur croit certainement qu’à mesure que ses connaissances s’accroîtront, son image de

la réalité deviendra de plus en plus simple et expliquera des domaines de plus en plus étendus

de ses impressions sensibles. Il pourra aussi croire à l’existence d’une limite idéale de la

connaissance que l’esprit humain peut atteindre. Il pourra appeler cette limite idéale la vérité

objective.

Einstein et Infeld

Questions

1 Dégagez les articulations du texte ainsi que son idée principale.

2 Expliquez : « Les concepts physiques sont des créations libres de l’esprit humain «.

3 La vérité scientifique nous dévoile-t-elle la réalité telle qu’elle est ?

Cette notion, pour moi capitale, de réel voilé, il me semble qu’on la saisit mieux si l’on a

présente à l’esprit une analogie inspirée d’une idée de Bertrand Russell et consistant à

comparer le réel en soi – ou réalité indépendante – à un concert, tandis que la réalité

empirique- l’ensemble des phénomènes- est comparée à un enregistrement sur disque ou sur

cassette de ce concert. Il est indéniable que la structure du disque n’est pas indépendante de

celle du concert. Il est clair cependant que la première, qui est déployée dans l’espace sous

forme de minuscules creux et bosses le long des sillons, n’est pas purement et simplement

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identifiable à la seconde, qui est déployée dans le temps. Aussi y aurait-il évidente absurdité à

prétendre que concert et disque constituent une seule et même chose. En outre, un martien

débarquant sur Terre, découvrant le disque et étudiant sa structure ne pourrait pas, quelque

doué qu’il fût, reconstituer le concert. Dira-t-on pour autant que l’examen effectué ne lui en

donne aucune idée ? A l’évidence ce serait faux puisqu’il peut même connaître sa

« structure « d’une manière quantitative. De fait, s’il est imaginatif et s’il possède le sens de

l’ouïe peut-être pourra-t-il conjecturer qu’à l’origine de creux et bosses qu’il étudie il y a une

émission de sons. Peut-être pourra-t-il aller jusqu’à se figurer avec quelques détails comment

celle-ci fut réalisée. Mais s’il se lance dans une telle voie il devra bien être conscient de

l’inévitable part d’arbitraire inhérente à sa démarche.

Bernard d’Espagnat

Questions

1 Dégagez les articulations du texte ainsi que son idée principale.

2 Expliquez : « Cette notion de réel voilé «.

3 L’expérience permet-elle de nous dévoiler la réalité ?

Je crois que le cerveau humain a une exigence fondamentale ; celle d’avoir une

représentation unifiée et cohérente du monde qui l’entoure, ainsi que des forces qui animent

ce monde. Les mythes, comme les théories scientifiques, répondent à cette exigence humaine.

Dans tous les cas, et contrairement à ce qu’on pense souvent, il s’agit d’expliquer ce qu’on

voit par ce qu’on ne voit pas, le monde visible par un monde invisible qui est toujours le

produit de l’imagination….

Par conséquent, qu’il s’agisse d’un mythe ou d’une théorie scientifique, tout système

d’explication est le produit de l’imagination humaine. La grande différence entre mythes et

théories scientifiques, c’est que le mythe se fige. Une fois imaginé, il est considéré comme la

seule explication du monde possible. Tout ce qu’on rencontre comme évènement est

interprété comme signe qui confirme le mythe. Une théorie scientifique fonctionne de manière

différente. Les scientifiques s’efforcent de confronter le produit de leur imagination (la théorie

scientifique) avec la « réalité «, c’est-à-dire l’épreuve des faits observables. De plus, ils ne se

contentent pas de récolter des signes de sa validité. Ils s’efforcent d’en produire d’autres, plus

précis, en la soumettant à l’expérimentation. Et les résultats de celle-ci peuvent s’accorder ou

non à la théorie. Et si l’accord ne se fait pas, il faut jeter la théorie et en trouver une autre.

François Jacob

Questions

1 Dégagez les articulations du texte ainsi que son idée principale.

2 Expliquez : « Les mythes, comme les théories scientifiques, répondent à cette exigence

humaine «.

3 La raison et la croyance s’excluent-elles mutuellement ?

Dans une montre, une partie est l’instrument qui fait se mouvoir les autres ; mais un

rouage n’est pas la cause efficiente qui engendre les autres ; une partie, il est vrai, existe pour

l’autre, mais non par cette autre. La cause efficiente de ces parties et de leur forme n’est pas

dans la nature (de cette matière) mais au-dehors, dans un être qui peut agir en vertu d’idées

d’un tout possible par sa causalité. C’est pourquoi dans une montre, un rouage n’en produit

pas un autre et encore moins une montre d’autres montres, en utilisant (organisant) pour cela

une autre matière ; elle ne remplace pas les défauts de la première formation à l’aide des

autres parties ; et si elle est déréglée, elle ne se répare pas non plus d’elle-même, toutes choses

qu’on peut atteindre de la nature organisée. Un être organisé n’est pas seulement une machine

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– car celle-ci ne détient qu’une force motrice –, mais il possède une énergie formatrice qu’il

communique même aux matières qui ne la possèdent pas (il les organise), énergie formatrice

qui se propage et qu’on ne peut expliquer uniquement par la puissance motrice (le

mécanisme).

Kant

Supposons que la mort au lieu de laisser un cadavre ne perdant sa structure que lentement

se manifeste par une décomposition instantanée du corps. Cela n’est pas une imagination

gratuite, mais une simple accélération de ce qui se passe en fait : un animal mort ne conserve

la forme de l’organisme vivant que par inertie, comme la limaille de fer sur la table conserve

la forme du champ de force, même quand le champ de force a disparu. En fait le cadavre n’est

plus que l’ensemble des matériaux de la vie : un peu d’eau, de charbon, d’azote, de fer. La

mort se traduirait alors par la chute instantanée d’une fine poussière. Nous nous ferions sur

cette idée, une idée plus juste de ce qu’est la vie. La vie ne nous paraîtrait pas le

fonctionnement massif, macroscopique de l’organisme ou pas seulement cela, mais ce qui

tient, directement ou indirectement, la forme même de l’organisme, ce qui est cette forme

elle-même, se survolant et se surveillant.

Ruyer

Tout être vivant enferme en lui une énorme somme d’esprit, bien plus qu’il n’en faut pour

bâtir la plus splendide des cathédrales. Cet esprit se nomme aujourd’hui information, mais

cela ne change rien à la chose. Il n’est pas inscrit comme dans un ordinateur, mais se

condense, miniaturisé à l’échelle moléculaire, dans l’A.D.N. des chromosomes… et cela dans

chaque cellule. Cet esprit est le sine qua non de la vie. En son absence aucun être vivant n’est

concevable. D’où vient-il ? Problème qui intéresse biologistes et philosophes et que la science

actuelle ne paraît pas capable de résoudre. Devant une oeuvre humaine, on croit savoir d’où

vient l’esprit qu’elle contient et qui l’a façonnée ; quand il s’agit d’un être vivant on l’ignore

et personne ne l’a vu et ne le sait, pas plus Darwin qu’Epicure, Leibniz qu’Aristote, Einstein

que Parménide.

Un acte de foi peut seul nous faire adopter telle ou telle hypothèse. La science, elle qui

n’accepte aucun credo, ou ne devrait pas en accepter, confesse son ignorance, son

impuissance à résoudre ce problème dont nous sommes sûrs qu’il se pose et a une réalité. Si

rechercher l’origine de l’information dans un ordinateur n’est pas un faux problème, pourquoi

le serait-ce quand il s’agit de l’information contenue dans les noyaux cellulaires ?

Pierre P. Grassé

Questions

1 Dégagez les articulations du texte ainsi que son idée principale.

2 Expliquez : « La science, elle qui n’accepte aucun credo, ou ne devrait pas en accepter «

3 La science exclut-elle toute croyance ?

Le monde de l’évolution que nous connaissons, le monde vivant que nous voyons autour

de nous, est tout sauf le seul monde possible. L’évolution est une nécessité dans la mesure où

les organismes vivent, interagissent avec le milieu, se reproduisent, entrent en compétition les

uns avec les autres, donc changent. En revanche, ce qui n’est pas une nécessité, c’est la

direction que se trouve prendre le changement, les voies où s’engage l’évolution. Les

modifications ne peuvent survenir pour former des organismes nouveaux qu’en fonction de la

structure génétique qu’avaient les organismes existant à ce moment-là. Autrement dit,

l’évolution résulte d’une interaction entre une série de conjonctures disons physiques,

écologiques, climatiques, ce qu’on pourrait appeler une grande conjoncture historique, avec

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l’autre série que forment les conjonctures génétiques des organismes. C’est l’interaction de

ces deux types de conjonctures qui a donné aux êtres vivants la direction qu’elle a

aujourd’hui. Mais il est vraisemblable que nous aurions pu ressembler à quelque chose de

complètement différent, et que nous pourrions ne pas être là, que le monde vivant pourrait être

complètement différent de ce qu’il est.(…) Nous pourrions parfaitement ressembler à quelque

chose d’autre qui défie totalement notre imagination. C’est évidemment très difficile de

réaliser que le monde vivant tel qu’il existe pourrait être complètement différent, pourrait

même ne pas exister du tout. C’est pourtant ce qu’il faut bien admettre.

F. Jacob

L’expédition de Colomb, en1492, ne paraît en rien exceptionnelle. Depuis le début du XV°

siècle…, les Portugais ont entrepris toute une série de voyages de découverte le long des côtes

d’Afrique. La seule originalité du dessein de Colomb est qu’il se propose d’attendre l’Asie en

naviguant vers l’ouest et non vers l’est. Quant au « retentissement « du voyage de Colomb, il

est alors très limité. Ses circonstances sont assez vite connues des hommes politiques, des

savants, des marchands qui s’intéressent de près aux voyages de découverte. Mais ceux-ci

commentent et analysent celui-ci ni plus ni moins que tous les voyages du même genre.

En fait, l’imprévisibilité est ailleurs : ce ne sont pas seulement des îles jusque-là inconnues

des Européens que Colomb a abordées, c’est un Nouveau Monde, avec la révolution

intellectuelle que cela représente. Mais alors nul ne pouvait l’imaginer. C’est que les

conséquences incalculables du débarquement de Colomb dans l’une des îles Bahamas ne se

feront sentir qu’une trentaine d’années plus tard : début de la conquête et de l’exploitation du

continent américain avec Fernand Cortez en 1519 ; appel de plus en plus massif aux esclaves

noirs amenés d’Afrique ; ouverture de l’économie européenne vers les autres continents et

mise en place pour trois siècles d’une économie à l’échelle du monde au seul bénéfice de

l’Europe. Au total, si le 12 octobre 1492 n’apparaît pas sur le coup, comme un véritable

« évènement historique «, il est pourtant le point de départ de réactions en chaîne… qui

allaient profondément bouleverser l’histoire de tous les continents.

François Lebrun

L’historien …se trouve devant un problème : il constate l’impopularité d’un roi et aucun

document ne lui en fait savoir la raison ; il lui faut alors remonter (…) de l’effet à sa cause

hypothétique. S’il décide que cette cause doit être la fiscalité (…) l’incertitude est alors elleci

: nous sommes assurés de l’effet, mais sommes-nous remontés à la bonne explication ? La

cause est-elle la fiscalité, les défaites du roi ou une troisième chose à laquelle nous n’avons

pas songé ? La statistique des messes que les fidèles faisaient dire pour la santé du roi montre

clairement la désaffection des esprits à la fin du règne (…) Or nous savons qu’au XVII° siècle

beaucoup d’émeutes étaient causées par les impôts nouveaux…L’impôt est donc une cause

vraisemblable du mécontentement, mais d’autres ne le seraient-elles pas tout autant ? Quelle

était la force du patriotisme dans l’âme paysanne ? Les défaites n’auraient-elles pas fait autant

que la fiscalité pour l’impopularité du roi ? (…) On se demandera si, d’après tout ce qu’on

sait du climat de cette époque, il existait une opinion publique, si le peuple considérait la

guerre étrangère comme autre chose qu’une affaire glorieuse et privée que le roi conduisait

avec des spécialistes et qui ne concernait pas les sujets, sauf quand ils avaient à en souffrir

matériellement. On parvient ainsi à des conclusions plus ou moins vraisemblables. « Les

causes de cette émeute, qui sont mal connues, étaient probablement l’impôt, comme toujours

à cette époque, en de telles circonstances «.

P. Veynes

Questions

1 Dégagez les articulations du texte ainsi que son idée principale.

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2 Expliquez : « On parvient ainsi à des conclusions plus ou moins vraisemblables «.

3 Une vérité vraisemblable se rapproche-t-elle de la simple croyance ?

J’ai vécu avec des gens de lettres, qui ont écrit l’histoire sans se mêler aux affaires, et avec

des hommes politiques, qui ne se sont jamais occupés qu’à produire les évènements sans

songer à les décrire. J’ai toujours remarqué que les premiers voyaient partout des causes

générales, tandis que les autres, vivant au milieu du décousu des faits journaliers, se figuraient

volontiers que tout devait être attribué à des incidents particuliers (…). Il est à croire que les

uns et les autres se trompent.

Je hais pour ma part, ces systèmes absolus, qui font dépendre tous les évènements de

l’histoire de grandes causes premières se liant les unes aux autres par une chaîne fatale, et qui

suppriment, pour ainsi dire, les hommes de l’histoire du genre humain. Je les trouve étroits

dans leur prétendue grandeur, et faux sous leur air de vérité mathématique. (…) Je crois que

(…) beaucoup de faits historiques importants ne sauraient être expliqués que par des

circonstances accidentelles et que beaucoup d’autres restent inexplicables ; qu’enfin le hasard

ou plutôt cet enchevêtrement de causes secondes…entre pour beaucoup dans tout ce que nous

voyons sur le théâtre du monde ; mais je crois fermement que le hasard n’y fait rien, qui ne

soit préparé à l’avance. Les faits antérieurs, la nature des institutions, le tour des esprits, l’état

des moeurs, sont les matériaux avec lesquels il compose ces impromptus qui nous étonnent et

nous effraient.

Tocqueville

C’est leur bien propre que peuples et individus cherchent et obtiennent dans leur agissante

vitalité, mais en même temps ils sont les moyens et les instruments d’une chose plus élevée,

plus vaste qu’ils ignorent et accomplissent inconsciemment. (…) La Raison gouverne le

monde et par conséquent gouverne et a gouverné l’histoire universelle. Par rapport à cette

Raison universelle…, tout le reste est subordonnée et lui sert d’instrument et de moyen. (…) Il

résulte des actions des hommes quelque chose d’autre que ce qu’ils ont projeté et atteint, que

ce qu’ils savent et veulent immédiatement. Ils réalisent leurs intérêts, mais il se produit en

même temps quelque autre chose qui y est cachée, dont leur conscience ne se rendait pas

compte et qui n’entrait pas dans leurs vues.

Hegel

L’expérience et l’histoire nous enseignent que peuples et gouvernements n’ont jamais rien

appris de l’histoire, qu’ils n’ont jamais agi suivant les maximes qu’on aurait pu en tirer.

Chaque époque, chaque peuple se trouve dans des conditions si particulières, forme une

situation si particulière, que c’est seulement en fonction de cette situation unique qu’il doit se

décider : les grands caractères sont précisément ceux qui, chaque fois, ont trouvé la solution

appropriée. Dans le tumulte des évènements du monde, une maxime générale est d’aussi peu

de secours que le souvenir des situations analogues qui ont pu se produire dans le passé, car

un pâle souvenir est sans force dans la tempête qui souffle sur le présent : il n’a aucun pouvoir

sur le monde libre et vivant de l’actualité.

Hegel

La route en lacets qui monte. Belle image du progrès. Mais pourtant elle ne me semble pas

bonne. Ce que je vois de faux, en cette image, c’est cette route tracée d’avance et qui monte

toujours ; cela veut dire que l’empire des sots et des violents nous pousse encore vers une plus

grande perfection, quelles que soient les apparences ; et qu’en bref l’humanité marche à son

destin par tous moyens, et souvent fouettés et humiliés, mais avançant toujours. Le bon et le

méchant, le sage et le fou poussent dans le même sens, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils le

sachent ou non. Je reconnais ici le grand jeu des dieux supérieurs, qui font que tout serve leurs

desseins. Mais grand merci. Je n’aimerais point cette mécanique, si j’y croyais. (…) Pour moi,

je ne puis croire à un progrès fatal ; je ne m’y fierais point.

Alain

Il y a des rêveurs politiques et sociaux qui dépensent du feu et de l’éloquence à réclamer

un bouleversement de tous les ordres, avec l’illusion qu’aussitôt le plus superbe temple d’une

belle humanité s’élèverait, pour ainsi dire, de lui-même. Dans ces rêves dangereux persiste un

écho de la superstition de Rousseau, qui croit à une bonté de l’humaine nature,

miraculeusement originelle, mais pour ainsi dire enterrée, et met au compte des institutions de

civilisation, dans la société, l’Etat, l’éducation, toute la responsabilité de cet enterrement.

Malheureusement, on sait par des expériences historiques que tout bouleversement de ce

genre ressuscite à nouveau les énergies les plus sauvages, les caractères les plus effroyables et

les plus effrénées des âges reculés : que par conséquent un bouleversement peut bien être une

source de force dans une humanité devenue inerte, mais jamais ordonnateur, architecte,

artiste, perfecteur de la nature humaine.

Nietzsche

« 414 La science découvre-t-elle ou construit-elle son objet ? La valeur d’une théorie se mesure-t-elle à son efficacité pratique ? Une connaissance scientifique du vivant est-elle possible ? La machine fournit-elle un modèle pour comprendre le vivant ? Doit-on concevoir des limites à l’expérimentation sur le vivant ? L’homme se réduit-il à ce que nous en font connaître les sciences humaines ? Les sciences humaines peuvent-elles adopter les méthodes des sciences de la nature ? Peut-on dire que la « conscience » est l’ennemie secrète des sciences humaines ? L’histoire : une histoire ou des histoires ? Peut-on dire qu’il existe une logique des évènements historiques ? Le journaliste peut-il décider qu’un évènement est historique ? En quel sens peut-on dire que l’historien « fait » l’histoire ? L’histoire est-elle le simple récit des faits tels qu’ils se sont passés ? Faut-il renoncer à l’idée que l’histoire possède un sens ? L’histoire est-elle ce qui arrive à l’homme ou ce qui arrive par l’homme ? L’historien peut-il être objectif ? Tous les objets de la raison humaine ou de nos recherches peuvent se diviser en deux genres, à savoir les relations d’idées et les faits.

Du premier genre sont les sciences de la géométrie, de l’algèbre et de l’arithmétique et, en bref, toute affirmation qui est intuitivement ou démonstrativement certaine.

Le carré de l’hypoténuse est égal au carré de deux côtés, cette proposition exprime une relation entre ces figures.

Trois fois cinq est égal à la moitié de trente exprime une relation entre ces nombres.

Les propositions de ce genre, on peut les découvrir par la seule opération de la pensée, sans dépendre de ce qui existe dans l’univers.

Même s’il n’y avait jamais eu de cercle ou de triangle dans la nature, les vérités démontrées par Euclide conserveraient toujours leur certitude et leur évidence.

Les faits, qui sont les seconds objets de la raison humaine, on ne les établit pas de la même manière ; et l’évidence de leur vérité, aussi grande qu’elle soit, n’est pas d’une nature semblable à la précédente.

Le contraire d’un fait quelconque est toujours possible, car il n’implique pas contradiction et l’esprit le conçoit aussi facilement et aussi distinctement que s’il concordait pleinement avec la réalité.

Le soleil ne se lèvera pas demain, cette proposition n’est pas moins intelligible et elle n’implique pas plus contradiction que l’affirmation : il se lèvera.

Nous tenterions donc en vain d’en démontrer la fausseté et l’esprit ne pourra jamais la concevoir distinctement.

Hume. »

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