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Le succès technique ne donne pas de lui-même la lucidité théorique.

Publié le 11/05/2011

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technique

J'appelle technique ce genre de pensée qui s'exerce sur l'action même et s'instruit par de continuels essais et tâtonnements. Comme on voit qu'un homme même ignorant, à force d'user d'un mécanisme, de le toucher et pratiquer de toutes les manières et dans toutes les conditions finit par le connaître d'une certaine manière, et tout à fait autrement que celui qui s'est d'abord instruit par la science ; et la grande différence entre ces deux hommes, c'est que le technicien ne distingue point l'essentiel de l'accidentel ; tout est égal pour lui et il n'y a que le succès qui compte... Il faut juger la technique pure, et dire quel genre d'esprit elle promet. Or il est clair que rien ne peut garder de la précipitation, dès que l'habileté technique est acquise ; l'action va devant, et l'esprit ne travaille que sur les résultats. Les mains sont prudentes, mais l'esprit ne l'est point, assuré d'être redressé toujours par la chose. « On va bien voir «, voilà un mot de mécanicien ou d'expert chimiste. En tout technicien, de mathématique ou bien de chimie, on retrouvera toujours cette impatience qui exige l'action et ne sait point penser avant que l'objet réponde ; et comme conséquence naturelle ce vide de l'esprit résultant de ce que l'idée est toujours ramenée au procédé, ce qui efface la notion même du vrai et du faux. Le technicien est sceptique avant d'avoir essayé ; mais ce qui est remarquable, c'est qu'après l'essai il l'est encore plus, et après une longue suite de succès encore plus. C'est qu'on ne trouve jamais une idée ; il faut la former... Il faut sans doute la force d'âme d'un Descartes pour retarder une expérience jusqu'au jour où on saura le comprendre. Mais nos essayeurs sont comme ces passionnés qui essaient encore une fois cette clef qui n'est pas la clef, ou qui cherchent encore une fois la chose dans le tiroir où ils ont déjà fouillé. Supposez un tiroir où l'on trouve à chaque fois des choses nouvelles. Qui donc cessera d'y chercher, s'il a seulement commencé ? L'expérience aveugle est ainsi... Il faut craindre de réussir sans comprendre, tout autant que de gagner aux cartes. ALAIN.

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