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Le Ventre de Paris --Eh bien, ca va-t-il a un sou?

Publié le 11/04/2014

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Le Ventre de Paris --Eh bien, ca va-t-il a un sou? dit-il. --J'etais bien sure de vous revoir, vous, repondit tranquillement la maraichere. Voyons, prenez mon reste. Il y a dix-sept bottes. --Ca fait dix-sept sous. --Non, trente-quatre. Ils tomberent d'accord a vingt-cinq. Madame Francois etait pressee de s'en aller. Lorsque Lacaille se fut eloigne, avec ses carottes dans son sac: --Voyez-vous, il me guettait, dit-elle a Florent. Ce vieux-la rale sur tout le marche; il attend quelquefois le dernier coup de cloche, pour acheter quatre sous de marchandise... Ah! ces Parisiens! ca se chamaille pour deux liards, et ca va boire le fond de sa bourse chez le marchand de vin. Quand madame Francois parlait de Paris, elle etait pleine d'ironie et de dedain; elle le traitait en ville tres-eloignee, tout a fait ridicule et meprisable, dans laquelle elle ne consentait a mettre les pieds que la nuit. --A present, je puis m'en aller, reprit-elle en s'asseyant de nouveau pres de Florent, sur les legumes d'une voisine. Florent baissait la tete, il venait de commettre un vol. Quand Lacaille s'en etait alle, il avait apercu une carotte par terre. Il l'avait ramassee, il la tenait serree dans sa main droite. Derriere lui, des paquets de celeris, des tas de persil mettaient des odeurs irritantes qui le prenaient a la gorge. --Je vais m'en aller, repeta madame Francois. Elle s'interessait a cet inconnu, elle le sentait souffrir, sur ce trottoir, dont il n'avait pas remue. Elle lui fit de nouvelles offres de service; mais il refusa encore, avec une fierte plus apre. Il se leva meme, se tint debout, pour prouver qu'il etait gaillard. Et, comme elle tournait la tete, il mit la carotte dans sa bouche. Mais il dut la garder un instant, malgre l'envie terrible qu'il avait de serrer les dents; elle le regardait de nouveau en face, elle l'interrogeait, avec sa curiosite de brave femme. Lui, pour ne pas parler, repondait par des signes de tete. Puis, doucement, lentement, il mangea la carotte. La maraichere allait decidement partir, lorsqu'une voix forte dit tout a cote d'elle: --Bonjour, madame Francois. C'etait un garcon maigre, avec de gros os, une grosse tete, barbu, le nez tres-fin, les yeux minces et clairs. Il portait un chapeau de feutre noir, roussi, deforme, et se boutonnait au fond d'un immense paletot, jadis marron tendre, que les pluies avaient deteint en larges trainees verdatres. Un peu courbe, agite d'un frisson d'inquietude nerveuse qui devait lui etre habituel, il restait plante dans ses gros souliers laces; et son pantalon trop court montrait ses bas bleus. --Bonjour, monsieur Claude, repondit gaiement la maraichere. Vous savez, je vous ai attendu, lundi; et comme vous n'etes pas venu, j'ai gare votre toile; je l'ai accrochee a un clou, dans ma chambre. --Vous etes trop bonne, madame Francois, j'irai terminer mon etude, un de ces jours... Lundi, je n'ai pas pu... Est-ce que votre grand prunier a encore toutes ses feuilles? Le Ventre de Paris 9 Le Ventre de Paris --Certainement. --C'est que, voyez-vous, je le mettrai dans un coin du tableau. Il fera bien, a gauche du poulailler. J'ai reflechi a ca toute la semaine... Hein! les beaux legumes, ce matin je suis descendu de bonne heure, me doutant qu'il y aurait un lever de soleil superbe sur ces gredins de choux. Il montrait du geste toute la longueur du carreau. La maraichere reprit: --Eh bien, je m'en vais. Adieu... A bientot, monsieur Claude! Et comme elle partait, presentant Florent au jeune peintre: --Tenez, voila monsieur qui revient de loin, parait-il. Il ne se reconnait plus dans votre gueux de Paris. Vous pourriez peut-etre lui donner un bon renseignement. Elle s'en alla enfin, heureuse de laisser les deux hommes ensemble. Claude regardait Florent avec interet; cette longue figure, mince et flottante, lui semblait originale. La presentation de madame Francois suffisait; et, avec la familiarite d'un flaneur habitue a toutes les rencontres de hasard, il lui dit tranquillement: --Je vous accompagne. Ou allez-vous? Florent resta gene. Il se livrait moins vite; mais, depuis son arrivee, il avait une question sur les levres. Il se risqua, il demanda, avec la peur d'une reponse facheuse: --Est-ce que la rue Pirouette existe toujours? --Mais oui, dit le peintre. Un coin bien curieux du vieux Paris, cette rue-la! Elle tourne comme une danseuse, et les maisons y ont des ventres de femme grosse... J'en ai fait une eau-forte pas trop mauvaise. Quand vous viendrez chez moi, je vous la montrerai... C'est la que vous allez? Florent, soulage, ragaillardi par la nouvelle que la rue Pirouette existait, jura que non, assura qu'il n'avait nulle part a aller. Toute sa mefiance se reveillait devant l'insistance de Claude. --Ca ne fait rien, dit celui-ci, allons tout de meme rue Pirouette. La nuit, elle est d'une couleur!... Venez donc, c'est a deux pas. Il dut le suivre. Ils marchaient cote a cote, comme deux camarades, enjambant les paniers et les legumes. Sur le carreau de la rue Rambuteau, il y avait des tas gigantesques de choux-fleurs, ranges en piles comme des boulets, avec une regularite surprenante. Les chairs blanches et tendres des choux s'epanouissaient, pareilles a d'enormes roses, au milieu des grosses feuilles vertes, et les tas ressemblaient a des bouquets de mariee, alignes dans des jardinieres colossales. Claude s'etait arrete, en poussant de petits cris d'admiration. Puis, en face, rue Pirouette, il montra, expliqua chaque maison. Un seul bec de gaz brulait dans un coin. Les maisons, tassees, renflees, avancaient leurs auvents comme " des ventres de femme grosse, " selon l'expression du peintre, penchaient leurs pignons en arriere, s'appuyaient aux epaules les unes des autres. Trois ou quatre, au contraire, au fond de trous d'ombre, semblaient pres de tomber sur le nez. Le bec de gaz en eclairait une, tres-blanche, badigeonnee a neuf, avec sa taille de vieille femme cassee et avachie, toute poudree a blanc, peinturluree comme une jeunesse. Puis la file bossuee des autres s'en allait, s'enfoncant en plein noir, lezardee, verdie par les ecoulements des pluies, dans une debandade de couleurs et d'attitudes telle, que Claude en riait d'aise. Florent s'etait arrete au coin de la rue de Mondetour, en face de l'avant-derniere maison, a gauche. Les trois etages dormaient, avec leurs deux fenetres sans persiennes, leurs petits rideaux Le Ventre de Paris 10

« —Certainement. —C'est que, voyez-vous, je le mettrai dans un coin du tableau.

Il fera bien, a gauche du poulailler.

J'ai reflechi a ca toute la semaine...

Hein! les beaux legumes, ce matin je suis descendu de bonne heure, me doutant qu'il y aurait un lever de soleil superbe sur ces gredins de choux. Il montrait du geste toute la longueur du carreau.

La maraichere reprit: —Eh bien, je m'en vais.

Adieu...

A bientot, monsieur Claude! Et comme elle partait, presentant Florent au jeune peintre: —Tenez, voila monsieur qui revient de loin, parait-il.

Il ne se reconnait plus dans votre gueux de Paris.

Vous pourriez peut-etre lui donner un bon renseignement. Elle s'en alla enfin, heureuse de laisser les deux hommes ensemble.

Claude regardait Florent avec interet; cette longue figure, mince et flottante, lui semblait originale.

La presentation de madame Francois suffisait; et, avec la familiarite d'un flaneur habitue a toutes les rencontres de hasard, il lui dit tranquillement: —Je vous accompagne.

Ou allez-vous? Florent resta gene.

Il se livrait moins vite; mais, depuis son arrivee, il avait une question sur les levres.

Il se risqua, il demanda, avec la peur d'une reponse facheuse: —Est-ce que la rue Pirouette existe toujours? —Mais oui, dit le peintre.

Un coin bien curieux du vieux Paris, cette rue-la! Elle tourne comme une danseuse, et les maisons y ont des ventres de femme grosse...

J'en ai fait une eau-forte pas trop mauvaise. Quand vous viendrez chez moi, je vous la montrerai...

C'est la que vous allez? Florent, soulage, ragaillardi par la nouvelle que la rue Pirouette existait, jura que non, assura qu'il n'avait nulle part a aller.

Toute sa mefiance se reveillait devant l'insistance de Claude. —Ca ne fait rien, dit celui-ci, allons tout de meme rue Pirouette.

La nuit, elle est d'une couleur!...

Venez donc, c'est a deux pas. Il dut le suivre.

Ils marchaient cote a cote, comme deux camarades, enjambant les paniers et les legumes.

Sur le carreau de la rue Rambuteau, il y avait des tas gigantesques de choux-fleurs, ranges en piles comme des boulets, avec une regularite surprenante.

Les chairs blanches et tendres des choux s'epanouissaient, pareilles a d'enormes roses, au milieu des grosses feuilles vertes, et les tas ressemblaient a des bouquets de mariee, alignes dans des jardinieres colossales.

Claude s'etait arrete, en poussant de petits cris d'admiration. Puis, en face, rue Pirouette, il montra, expliqua chaque maison.

Un seul bec de gaz brulait dans un coin.

Les maisons, tassees, renflees, avancaient leurs auvents comme ” des ventres de femme grosse, “ selon l'expression du peintre, penchaient leurs pignons en arriere, s'appuyaient aux epaules les unes des autres. Trois ou quatre, au contraire, au fond de trous d'ombre, semblaient pres de tomber sur le nez.

Le bec de gaz en eclairait une, tres-blanche, badigeonnee a neuf, avec sa taille de vieille femme cassee et avachie, toute poudree a blanc, peinturluree comme une jeunesse.

Puis la file bossuee des autres s'en allait, s'enfoncant en plein noir, lezardee, verdie par les ecoulements des pluies, dans une debandade de couleurs et d'attitudes telle, que Claude en riait d'aise.

Florent s'etait arrete au coin de la rue de Mondetour, en face de l'avant-derniere maison, a gauche.

Les trois etages dormaient, avec leurs deux fenetres sans persiennes, leurs petits rideaux Le Ventre de Paris Le Ventre de Paris 10. »

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