Devoir de Philosophie

L'ÉDUCATION DE TRISTAN

Publié le 12/08/2011

Extrait du document

 

Jamais on ne vit enfant plus commode, plus gracieux, et avenant. Il grandit tôt en force et en beauté, et montra de bonne heure beaucoup de sens et les plus belles qualités de coeur. A sept ans on le mit aux lettres; il apprit à lire et à écrire comme un vrai clerc; il apprit aussi tout ce qu'un fils de riche homme, appelé à vivre dans les cours doit de nécessité savoir. Tristan reçut les leçons de l'écuyer Gorvenal qui devint son maître et son meilleur ami. Gorvenal était de belle taille, brun de cheveux, avec des yeux brillants et un nez long comme bien parlant; il était franc homme, sage conseiller, habile en tous les exercices du corps. Sous sa tutelle, Tristan apprit à chevaucher, à sauter, nager, courir, lancer la pierre, manier l'écu et la lance, les diverses sortes d'escrime, l'art de vénerie et de fauconnerie, tous les honnêtes ébats recommandés pour fuir l'oisiveté, la mère des vices, et en même temps les usages de la courtoisie et les vertus requises au franc homme : honneur, fidélité, hardiesse, débonnaireté; de mener grande largesse, parler avec mesure, ne blâmer personne à la légère, éviter les fous et servir les dames. Gorvenal guida son disciple dans les voies du bien et en fit le meilleur et le plus accompli des bacheliers. A douze ans, Tristan savait reconnaître l'excellence d'un bon cheval à la longueur de l'encolure, à la forme du sabot, au garrot, à la croupe et à la crinière; il distinguait le vif, le colérique, le triste et le flegmatique à la couleur de la robe; il voyait incontinent s'il choppait ou était dur de la bouche. Il connaissait les vertus d'un bon acier, quels sont les meilleurs bois pour faire des écus, des arcs et les boujons j. Ider, fils de Nut qui prit un jour un ours par la peau du dos et le jeta par la fenêtre, ne fut pas à demi aussi adroit que lui pour planter une flèche dans une pomme, à cent pas, ni Erec, fils de Lac, pour brocher de l'éperon et saillir a par-dessus la haie. Il sut à merveille toute espèce de danses, espingueries 3 et caroles 3, nul n'était si gracieux enfant pour mener la tréche 4 à travers la prairie. Mais où il excella par-dessus tout, ce fut à la musique; le chant et le déchant la harpe et la rote 9 n'avaient pas de secret pour lui; un gentil ménestrel, prisé à Carlion, lui enseigna en outre à trouver des contes, à rimer et à noter lais 7, rotruenges 3 et pastourelles 9. Quand il fut dans sa quinzième année, par un beau lundi, Gorvenal le prit à part et lui dit : « Mon cher Tristan, te voici parfait bachelier; il ne te manque guère qu'une chose : chercher les terres foraines " et te faire bienvenir en cour de duc ou de roi. Il y a beaucoup à apprendre dans les voyages, sans compter qu'on y trouve souvent l'occasion d'y gagner en prix et renommée. Tu devrais demander à ton père nourricier qu'il te baillât congé de laisser Carlion une année ou deux et de tenter l'aventure. « Tristan s'accorda au désir de Gorvenal : « Bon Maître, on dirait que vous avez deviné ma pensée : il y a longtemps que j'ai le désir de voyager. J'irais volontiers notamment en Cornouaille, là où mon père vint prendre femme, comme vous m'avez conté. « Tristan alla trouver le Foitenant. « Mon bon père nourricier, lui dit-il, vous m'avez pendant quinze ans tenu lieu de père et de mère; je suis à jamais votre fils et serviteur, et tout ce qu'un enfant doit à son père charnel, je vous le dois. Vous m'avez nourri et instruit comme un fils de prince. Maintenant, je voudrais mettre à l'épreuve tout ce que vous m'avez enseigné, et voir ce que je vaux. Je voudrais aller par voies et par chemins et servir un an ou deux dans une cour étrangère. - Puisque tel est ton désir, mon fils, je ne veux pas le contrarier, dit le Foitenant. Parcours le monde et que Dieu te bénisse. «

Tristan et Iseut. Trad. ANDRÉ MARY. Gallimard, 1941.

1. Flèches. - 2. Sauter. - 3. Danses. - 4. Farandole. - 5. Accompagnement. -6. Instrument à archet. - 7. Chanson narrative. - 8. Chanson à refrain. - 9. Chanson de bergers. - 10. Etrangères.

Liens utiles