Les enfants de Marx, de Freud et de Jules Verne: Bilan sur la Science-Fiction française d'aujourd'hui

« D'autres, dans l'édition, ont misé sur le texte court.

Deux éditeurs, l'Italien Franco Maria Ricci et le Français Retz se sont associés pour co-éditer en France et en Italie une remarquable série : « La Bibliothèque de Babel », collection de littérature fantastique dirigée par Jorge-Luis Borges.

Là enco­ re des nouvelles qui n'excèdent guère 130 pages, imprimée sur un beau papier, chaque exemplaire étant numéroté et la couverture du livre étant à chaque fois agrémentée d'un remarquable graphis­ me.

Les textes ? Ils sont de Gustav Meyrink, Oil­ l>ert Keith Chesterton, Jacques Cazotte, Arthur Machen, Jack London, Léon Bloy, Giovanni Papi­ ni, Henry James, Kafka ...

Textes on ne peut plus différents et disparates, qui reflètent les goûts de celui qui les a choisis et admirablement préfacés : Borges.

Alors, du nouveau dans la nouvelle ? Assurément et il faut s'en réjouir.

Patrick Modiano écrivain de la mémoire Auteur célèbre depuis plus de dix ans, Patrick Modiano a sans doute été le plus récompensé des jeunes écrivains actuels: Prix Nimier, Prix Fénéon, Prix du Roman de l'Académie française, Prix des Libraires, Prix Goncourt enfin en 1978 pour son sixième roman, Rue des Boutiques Obscures.

Ce livre, raconte l'errance d'un détective privé amnésique qui part à la recherche de son passé et de son identité égarés.

Admirablement composé, pensé, écrit, nous avons là une sorte de chef­ d'œuvre mineur.

Mais les personnages cessent de captiver, la lassitude court entre les lignes, la perfection a sup­ planté l'émotion.

Modiano jette son héros et narra­ teur dans un mécanisme d'horlogerie bien huilé : il est devenu véritablement un écrivain professionnel, lui qui nous avait bouleversé dans tous ses ouvra­ ges précédents ; confessions nécessaires, exorcis­ mes railleurs de démons familiers, fantaisies verba­ les et visuelles d'un regard tourmenté et créateur ...

Avec Rue des Boutiques Obscures, pour achevé et rigoureux que le livre soit, on éprouve le senti­ ment désagréable que Modiano fait recette.

L'inspi­ ration, ce souflle haletant qui donnait vie à ses pre­ miers livres, a pour ainsi dire disparu.

L'angoisse de l'homme égaré dans le temps (le sien propre, et celui qu'il s'imagine dans le passé) est le ressort de la véritable écriture de Modiano : mais on finit toujours par se lasser de ses propres tourments, pour le pire et pour le meilleur.

Mieux vaut revenir à 1967, date à laquelle parut la Place de l'Etoile, son premier livre, prodige de vérité et d'invention : né en 1945, l'auteur y fait revivre les années de la guerre -occupation, colla­ boration, déportation -qui l'obsèdent, se forgeant par là un passé d'une époque qu'il n'a pas vécue.

Et cette force deJ'imaginaire est plus poignante qu'au­ cun témoignage, Il le confesse lui-même, il a voulu se créer un passé avec celui des autres, car il faut avoir vécu pour mieux survivre.

Dans la Ronde de Nuit, c'est Paris occupé aux mains des escrocs, des traîtres, des tortionnaires, des femmes douteuses et autres demi-mondaines et toujours ce narrateur qui ne sait pas très bien où il se trouve, ni qui il est.

Puis une quête nouvelle guide les Boulevards de Ceinture : celle d'un père disparu et méconnu dans ce monde interlope.

- Modiano y développe un magnifique sens du dialogue et des silences, de l'image qui imprègne les sens, de la phrase courte et incisive qui s'enfle d'une émotion que l'emphase ne saurait restituer : nous avons là une sorte de trilogie qui se rapproche concentriquement du cœur : à l'angoisse déchirante succède une nostalgie et un désir de saisir la dou­ ceur intermittente.

Au cri de la Place de l'Etoile succède l'humour acide de kz Ronde de Nuit et la tendresse retenue des Boulevards de Ceinture.

En effet Modiano n'est pas un écrivain bâtisseur de mondes, la dimension romanesque n'est pas son fait : il parle au singulier, son univers est résolu­ ment personnel, c'est-à-dire restreint et aigu.

En 1975, après trois années silencieuses, vient Villa Triste, l'amère et touchante recherche du temps sans cesse reperdu et menacé, d'une identité incertaine, d'un visage chéri et effacé : c'est le chef­ d'œuvre de Modiano, ce moment unique d'équilibre entre une sensibilité affinée et l'art de la communi­ quer entre les lignes : une musique sous-entendue baigne le récit au point de nous le faire oublier pour n'en retirer qu'un parfum inoubliable.

Dans Villa Triste, Modiano cessait d'être l'écri­ vain d'une particularité (celle de ses trois premiers ouvrages), il était plus profondément personnel et attachant que jamais.

Puis il devint le père d'une petite fille et cette naissance lui dicte une sorte de mélancolique adieu à toutes les obsessions qui l'avaient détourné de ce miracle vivant : une enfant « qui n'a pas encore de mémoire» - Livret de Famille.

Ce livre nous révè­ le un auteur humain qui abandonne une jeunesse tourmentée, et regagne la vie ...

Le temps est venu de relire l'ensemble de son œuvre, de revenir à la vérité des premiers ouvrages pour mieux interroger les ambiguïtés du dernier.

Quant au mystère de cette Rue des Boutiques Obscures que l'on atteint jamais, cette piste qui nous ramène à nous-mêmes, contentons-nous de cette hypothèse : est-ce que l'indifférence ne se serait pas glissée dans la plume de Patrick Modiano? Modiano est également l'auteur du scénario du film Lacombe Lucien en collaboration avec Louis Malle et d'Interrogatoire d'Emmanuel Berl Tous ces ouvrages sont publiés aux éditions Gallimard.. »