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LES PREMIÈRES PAGES DU « NOVUM ORGANUM »

Publié le 07/02/2011

Extrait du document

L'homme, interprète et ministre de la nature, n'étend ses connaissances et son action qu'à mesure qu'il découvre l'ordre naturel des choses, soit par l'observation, soit par la réflexion, il ne sait et ne peut rien de plus. La main seule et l'entendement abandonné à lui-même n'ont qu'un pouvoir très limité ; ce sont les instruments et les autres genres de secours qui font presque tout, secours et instruments non moins nécessaires à l'esprit qu'à la main ; et de même que les instruments de la main excitent ou règlent son mouvement, les instruments de l'esprit l'aident à servir la vérité ou à éviter l'erreur. La science et la puissance humaine se correspondent dans tous les points et vont au même but ; c'est l'ignorance où nous sommes de la cause qui nous prive de l'effet ; car on ne peut vaincre la nature qu'en lui obéissant ; et ce qui était principe, effet ou cause dans la théorie, devient règle, but ou moyen dans la pratique. Approcher ou écarter les uns des autres les corps naturels, c'est à quoi se réduit toute la puissance de l'homme ; tout le reste la nature l'opère à l'intérieur et hors de notre vue. Les seuls hommes qui se mêlent d'étudier la nature ce sont tout au plus le mécanicien, le mathématicien, le médecin, l'alchimiste et le magicien ; mais tous, du moins, jusqu'ici, avec aussi peu de succès que de vraie méthode. Il serait insensé, et même contradictoire, de penser que ce qui n'a jamais été exécuté puisse l'être autrement que par des moyens qui n'ont pas encore été tentés. Au premier coup d'oeil jeté sur les livres les laboratoires et les ateliers, les productions de l'esprit et de la main de l'homme paraissent innombrables. Mais toute cette variété se réduit à une subtilité recherchée et à des dérivations de ce qui frappe le plus la vue et non à de nombreux axiomes. Je dis plus : tous ces moyens imaginés jusqu'ici sont bien plutôt dus au hasard et à la routine, qu'aux sciences et à la méthode. Car ces sciences prétendues, dont nous sommes en possession, ne sont tout au plus que d'ingénieuses combinaisons de choses connues depuis longtemps, et non de nouvelles méthodes d'invention ou des indications de nouveaux moyens.

Au fond, les sources et les causes de tous les abus qui se sont introduits dans les sciences se réduisent à une seule, à celle-ci : c'est précisément parce qu'on admire et qu'on vante les forces de l'esprit humain qu'on ne pense point à lui procurer de vrais secours. La subtilité des opérations de la nature surpasse infiniment celle des sens et de l'entendement, en sorte que toutes ces brillantes spéculations et toutes ces explications dont on est si fier ne sont qu'un art d'extravaguer méthodiquement ; et si elles en imposent c'est que personne encore n'a fait cette remarque. Comme les sciences que nous possédons ne contribuent en rien à l'invention des moyens, la logique reçue n'est pas moins inutile à l'invention des sciences. Cette logique, dont l'usage n'est qu'un abus, sert beaucoup moins à faciliter la recherche, de la vérité qu'à fixer les erreurs qui ont pour base les notions vulgaires ; elle est plus nuisible qu'utile. Le syllogisme n'est d'aucun usage pour inventer ou vérifier les premiers principes des sciences. Ce serait en vain qu'on voudrait l'employer pour les axiomes moyens ; c'est un instrument trop faible et trop grossier pour pénétrer dans les profondeurs de la nature. Aussi voit-on qu'il peut tout sur les opinions et rien sur les choses mêmes. Le syllogisme est composé de propositions, les propositions le sont de mots, et les mots sont en quelque manière les étiquettes des choses. Que si les notions mêmes, qui sont comme la base de l'édifice, sont confuses et extraites des choses au hasard, tout ce qu'on bâtit ensuite sur un tel fondement ne peut avoir de solidité. Il ne reste donc d'espérance que dans la véritable induction.

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