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L'homme aux quarante écus Ainsi, monsieur, les Suisses ne sont pas de droit divin dépouillés de la moitié de leurs biens; et celui qui possède quatre vaches n'en donne pas deux à l'Etat?

Publié le 12/04/2014

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droit
L'homme aux quarante écus Ainsi, monsieur, les Suisses ne sont pas de droit divin dépouillés de la moitié de leurs biens; et celui qui possède quatre vaches n'en donne pas deux à l'Etat? LE GÉOMÈTRE Non, sans doute. Dans un canton, sur treize tonneaux de vin on en donne un et on en boit douze. Dans un autre canton, on paye la douzième partie et on en boit onze. L'HOMME AUX QUARANTE ÉCUS Ah! qu'on me fasse Suisse! Le maudit impôt que l'impôt unique et inique qui m'a réduit à demander l'aumône! Mais trois ou quatre cents impôts, dont les noms même me sont impossibles à retenir et à prononcer, sont-ils plus justes et plus honnêtes? Y a-t-il jamais eu un législateur qui, en fondant un Etat, ait imaginé de créer des conseillers du roi mesureurs de charbons, jaugeurs de vin, mouleurs de bois, langueyeurs de porcs, contrôleurs de beurre salé? d'entretenir une armée de faquins deux fois plus nombreuse que celle d'Alexandre, commandée par soixante généraux qui mettent le pays à contribution, qui remportent des victoires signalées tous les jours, qui font des prisonniers, et qui quelquefois les sacrifient en l'air ou sur un petit théâtre de planches, comme faisaient les anciens Scythes, à ce que m'a dit mon curé? Une telle législation, contre laquelle tant de cris s'élevaient, et qui faisait verser tant de larmes, valait-elle mieux que celle qui m'ôte tout d'un coup nettement et paisiblement la moitié de mon existence? J'ai peur qu'à bien compter on ne m'en prît en détail les trois quarts sous l'ancienne finance. LE GÉOMÈTRE Iliacos fritta muros peccatur et extra. Est modus in rebus. Caveas ne quid nimis. L'HOMME AUX QUARANTE ÉCUS J'ai appris un peu d'histoire et de géométrie, mais je ne sais pas le latin. LE GÉOMÈTRE Cela signifie à peu près " On a tort des deux côtés. Gardez le milieu en tout. Rien de trop.) L'HOMME AUX QUARANTE ÉCUS Oui, rien de trop, c'est ma situation; mais je n'ai pas assez. LE GÉOMÈTRE Je conviens que vous périrez de faim, et moi aussi, et l'Etat aussi, supposé que la nouvelle administration dure seulement deux ans; mais il faut espérer que Dieu aura pitié de nous. L'HOMME AUX QUARANTE ÉCUS On passe sa vie à espérer, et on meurt en espérant. Adieu, monsieur; vous m'avez instruit, mais j'ai le coeur navré. L'homme aux quarante écus 11 L'homme aux quarante écus LE GÉOMÈTRE C'est souvent le fruit de la science. AVENTURE AVEC UN CARME Quand j'eus bien remercié l'académicien de l'Académie des sciences de m'avoir mis au fait, je m'en allai tout pantois, louant la Providence, mais grommelant entre mes dents ces tristes paroles: Je me trouvai bientôt vis-à-vis d'une maison superbe. Je sentais déjà la faim; je n'avais pas seulement la cent vingtième partie de la somme lui appartient de droit à chaque individu; mais, dès qu'on m'eut appris que ce palais était le couvent des révérends pères carmes déchaussés, je conçus de grandes espérances, et je dis: "Puisque ces saints sont assez humbles pour marcher pieds nus, ils seront assez charitables pour me donner à dîner." Je sonnai; un carme vint : ( Que voulez-vous, mon fils ? - Du pain, mon révérend père; les nouveaux édits m'ont tout ôté. - Mon fils, nous demandons nous-mêmes l'aumône; nous ne la faisons pas. - Quoi! votre saint institut vous ordonne de n'avoir pas de souliers, et vous avez une maison de prince, et vous me refusez à manger! - Mon fils, il est vrai que nous sommes sans souliers et sans bas : c'est une dépense de moins; mais nous n'avons pas plus froid aux pieds qu'aux mains; et si notre saint institut nous avait ordonné d'aller cul nu, nous n'aurions point froid au derrière. A l'égard de notre belle maison, nous l'avons aisément bâtie, parce que nous avons cent mille livres de rente en maisons dans la même rue. - Ah! ah! vous me laissez mourir de faim, et vous avez cent mille livres de rente! Vous en rendez donc cinquante mille au nouveau gouvernement? - Dieu nous préserve de payer une obole! Le seul produit de la terre cultivée par des mains laborieuses, endurcies de calus et mouillées de larmes, doit des tributs à la puissanoe législatrice et exécutrice. Les aumônes qu'on nous a données nous ont mis en état de faire bâtir ces maisons, dont nous tirons cent mille livres par an; mais ces aumônes venant des fruits de la terre, ayant déjà payé le tribut, elles ne doivent pas payer deux fois : elles ont sanctifié les fidèles qui se sont appauvris en nous enrichissant, et nous continuons à demander l'aumône et à mettre à contribution le faubourg St-Germain pour sanctifier encore les fidèles. " Ayant dit Ces mots, le carme me ferma la porte au nez. Je passai par-devant l'hôtel des mousquetaires gris; je contai la chose à un de ces messieurs: ils me donnèrent un bon dîner et un écu. L'un d'eux proposa d'aller brûler le couvent; mais un mousquetaire plus sage lui montra que le temps n'était pas encore venu, et le pria d'attendre encore deux ou trois ans. AUDIENCE DE MONSIEUR LE CONTROLEUR GÉNÉRAL J'allai, avec mon écu, présenter un placet à monsieur le contrôleur général, qui donnait audience ce jour-là. Son antichambre était remplie de gens de toute espèce. Il y avait surtout des visages encore plus pleins, des ventres plus rebondis, des mines plus fières que mon homme aux huit millions. Je n'osais m'approcher; je les voyais, et ils ne me voyaient pas. Un moine, gros décimateur, avait intenté un procès à des citoyens qu'il appelait ses paysans. Il avait déjà plus de revenu que la moitié de ses paroissiens ensemble, et de plus il était seigneur de fief. Il prétendait que ses vassaux, ayant converti avec des peines extrêmes leurs bruyères en vignes, ils lui devaient la dixième partie de leur vin, ce qui faisait, en comptant le prix du travail et des échalas, et des futailles, et du cellier, plus du quart de la récolte. " Mais comme les dîmes, disait-il, sont de droit divin, je demande le quart de la substance de mes paysans au nom de Dieu. Le ministre lui dit: "Je vois combien vous êtes charitable!" Un fermier général, fort intelligent dans les aides, lui dit alors : "Monseigneur, ce village ne peut rien donner à ce moine : car, ayant fait payer aux paroissiens l'année passée trente-deux impôts pour leur vin, et les ayant fait condamner ensuite à payer le trop bu, ils sont entièrement ruinés. J'ai fait vendre leurs bestiaux et leurs L'homme aux quarante écus 12
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« LE GÉOMÈTRE C'est souvent le fruit de la science.

AVENTURE AVEC UN CARME Quand j'eus bien remercié l'académicien de l'Académie des sciences de m'avoir mis au fait, je m'en allai tout pantois, louant la Providence, mais grommelant entre mes dents ces tristes paroles: Je me trouvai bientôt vis-à-vis d'une maison superbe.

Je sentais déjà la faim; je n'avais pas seulement la cent vingtième partie de la somme lui appartient de droit à chaque individu; mais, dès qu'on m'eut appris que ce palais était le couvent des révérends pères carmes déchaussés, je conçus de grandes espérances, et je dis: "Puisque ces saints sont assez humbles pour marcher pieds nus, ils seront assez charitables pour me donner à dîner." Je sonnai; un carme vint : ( Que voulez-vous, mon fils ? - Du pain, mon révérend père; les nouveaux édits m'ont tout ôté.

- Mon fils, nous demandons nous-mêmes l'aumône; nous ne la faisons pas.

- Quoi! votre saint institut vous ordonne de n'avoir pas de souliers, et vous avez une maison de prince, et vous me refusez à manger! - Mon fils, il est vrai que nous sommes sans souliers et sans bas : c'est une dépense de moins; mais nous n'avons pas plus froid aux pieds qu'aux mains; et si notre saint institut nous avait ordonné d'aller cul nu, nous n'aurions point froid au derrière.

A l'égard de notre belle maison, nous l'avons aisément bâtie, parce que nous avons cent mille livres de rente en maisons dans la même rue.

- Ah! ah! vous me laissez mourir de faim, et vous avez cent mille livres de rente! Vous en rendez donc cinquante mille au nouveau gouvernement? - Dieu nous préserve de payer une obole! Le seul produit de la terre cultivée par des mains laborieuses, endurcies de calus et mouillées de larmes, doit des tributs à la puissanoe législatrice et exécutrice.

Les aumônes qu'on nous a données nous ont mis en état de faire bâtir ces maisons, dont nous tirons cent mille livres par an; mais ces aumônes venant des fruits de la terre, ayant déjà payé le tribut, elles ne doivent pas payer deux fois : elles ont sanctifié les fidèles qui se sont appauvris en nous enrichissant, et nous continuons à demander l'aumône et à mettre à contribution le faubourg St-Germain pour sanctifier encore les fidèles.

" Ayant dit Ces mots, le carme me ferma la porte au nez.

Je passai par-devant l'hôtel des mousquetaires gris; je contai la chose à un de ces messieurs: ils me donnèrent un bon dîner et un écu.

L'un d'eux proposa d'aller brûler le couvent; mais un mousquetaire plus sage lui montra que le temps n'était pas encore venu, et le pria d'attendre encore deux ou trois ans.

AUDIENCE DE MONSIEUR LE CONTROLEUR GÉNÉRAL J'allai, avec mon écu, présenter un placet à monsieur le contrôleur général, qui donnait audience ce jour-là.

Son antichambre était remplie de gens de toute espèce.

Il y avait surtout des visages encore plus pleins, des ventres plus rebondis, des mines plus fières que mon homme aux huit millions.

Je n'osais m'approcher; je les voyais, et ils ne me voyaient pas.

Un moine, gros décimateur, avait intenté un procès à des citoyens qu'il appelait ses paysans.

Il avait déjà plus de revenu que la moitié de ses paroissiens ensemble, et de plus il était seigneur de fief.

Il prétendait que ses vassaux, ayant converti avec des peines extrêmes leurs bruyères en vignes, ils lui devaient la dixième partie de leur vin, ce qui faisait, en comptant le prix du travail et des échalas, et des futailles, et du cellier, plus du quart de la récolte.

" Mais comme les dîmes, disait-il, sont de droit divin, je demande le quart de la substance de mes paysans au nom de Dieu.

Le ministre lui dit: "Je vois combien vous êtes charitable!" Un fermier général, fort intelligent dans les aides, lui dit alors : "Monseigneur, ce village ne peut rien donner à ce moine : car, ayant fait payer aux paroissiens l'année passée trente-deux impôts pour leur vin, et les ayant fait condamner ensuite à payer le trop bu, ils sont entièrement ruinés.

J'ai fait vendre leurs bestiaux et leurs L'homme aux quarante écus L'homme aux quarante écus 12. »

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