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L'homme sensible et l'être pensant (textes philosophiques)

Publié le 12/06/2011

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« Il est donc évident qu'il y a un plaisir correspondant à chacun de nos sens. Ne disons-nous pas, en effet, que les sensations de la vue et de l'ouïe sont agréables ? Manifestement, elles le seront d'autant plus que la faculté de sentir sera plus développée et s'exercera sur un objet plus parfait. Si ces conditions sont réalisées dans l'objet sensible et dans le sujet sentant, le plaisir ne pourra manquer de naître, puisqu'il se trouvera un objet propre à le produire et un sujet capable de l'éprouver. Le plaisir parachève l'activité qui se déploie, non pas à la manière d'une disposition ou d'une qualité inhérente, mais à la manière d'un ornement qui s'ajouterait de surcroît, comme la beauté pour ceux qui sont dans la fleur de la jeunesse. Donc quand les conditions nécessaires seront réalisées, tant dans l'objet pensable ou sensible que dans le sujet qui discerne et contemple, on éprouvera du plaisir dans le déploiement de l'activité, puisque le même résultat apparaît naturellement, quand patient et agent se trouvent dans les mêmes conditions et entretiennent entre eux les mêmes rapports. « On pourrait donc aussi penser que, si tous les hommes tendent vers le plaisir, c'est que tous désirent vivre. Or la vie est, en quelque sorte, une activité qui se déploie et chacun consacre ses forces vives aux sujets pour lesquels il éprouve une préférence marquée et en employant les facultés qu'il aime exercer. Exemples : le musicien utilise le sens de l'ouïe pour les mélodies qu'il aime ; l'homme qui aime le savoir consacre sa réflexion aux spéculations de la science, et ainsi de suite, dans les différents domaines. Or, nous avons dit que le plaisir parachève les différentes formes d'activité ; il parachève donc la vie à quoi tendent les hommes. Aussi est-ce avec raison qu'ils recherchent également le plaisir qui donne son couronnement à la vie de chacun, chose désirable. «

ARISTOTE, Éthique de Nicomaque, Garnier-Flammarion. « Il y a une grande différence entre l'esprit et le corps, en ce que le corps, de sa nature, est toujours divisible, et que l'esprit est entièrement indivisible. Car en effet, lorsque je considère mon esprit, c'est-à-dire moi-même en tant que je suis seulement une chose qui pense, je n'y puis distinguer aucunes parties, mais je me conçois comme une chose seule et entière. Et quoique tout l'esprit semble être uni à tout le corps, toutefois un pied, ou un bras, ou quelqu'autre partie étant séparée de mon corps, il est certain que pour cela il n'y aura rien de retranché de mon esprit. Et les facultés de vouloir, de sentir, de concevoir, etc., ne peuvent pas proprement être dites ses parties : car le même esprit s'emploie tout entier à vouloir, et aussi tout entier à sentir, à concevoir, etc. Mais c'est tout le contraire dans les choses corporelles ou étendues : car il n'y en a pas une que je ne mette aisément en pièces par ma pensée, et par conséquent que je ne connaisse être divisible. Ce qui suffirait pour m'enseigner que l'esprit ou l'âme de l'homme est entièrement différente du corps, si je ne l'avais déjà d'ailleurs assez appris. «

René DESCARTES, VIe Méditation, Méditations.

« Nous sommes libres quand nos actes émanent de notre personnalité entière, quand ils l'expriment, quand ils ont avec elle cette indéfinissable ressemblance qu'on trouve parfois entre l'oeuvre et l'artiste. En vain on alléguera que nous cédons alors à l'influence toute puissante de notre caractère. Notre caractère, c'est encore nous ; et parce qu'on s'est plu à scinder la personne en deux parties pour considérer tour à tour, par un effort d'abstraction, le moi qui sent ou pense et le moi qui agit, il y aurait quelque puérilité à conclure que l'un des deux moi pèse sur l'autre. Le même reproche s'adressera à ceux qui demandent si nous sommes libres de modifier notre caractère. Certes, notre caractère se modifie insensiblement tous les jours, et notre liberté en souffrirait, si ces acquisitions nouvelles venaient se greffer sur notre moi et non pas se fondre avec lui. Mais dès que cette fusion aura lieu, on devra dire que le changement survenu dans notre caractère est bien nôtre, que nous nous le sommes approprié. «

Henri BERGSON, philosophe français (1859-1941).

 

* Pratiques empiriques : pratiques fondées sur l'expérience et l'observation.

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