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L'Immortel lord Palmerston,--on le cote très haut à l'Institut et au quai d'Orsay.

Publié le 11/04/2014

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palmerston
L'Immortel lord Palmerston,--on le cote très haut à l'Institut et au quai d'Orsay. C'est, paraît-il, le seul de nos chargés d'affaires que Bismarck n'ait jamais osé regarder en face. On le dit sur le point d'occuper une de nos grandes ambassades. Que deviendra la duchesse? Le suivre, quitter Paris? c'est bien grave pour cette mondaine. Et puis, à l'étranger, acceptera-t-on cette liaison équivoque et reconnue, consacrée ici comme un mariage, grâce à la tenue, aux ménagements gardés et au triste état du duc, hémiplégique, plus vieux de vingt ans que sa femme qui est aussi sa nièce? Sans doute, le prince s'entretenait de ces choses graves avec Lavaux et Mme Astier, quand je me suis approché d'eux. Nouveau venu dans n'importe quel monde, on s'aperçoit bientôt comme on en est peu, au courant de rien, des mots, des idées, un importun. Je m'en allais, quand la bonne Mme Astier me rappelle: «Montez donc le voir ... il sera si heureux....» Et je monte vers mon vieux maître, par un étroit escalier intérieur. Du fond du corridor, j'entends sa forte voix: «C'est vous, Fage? --Non, mon bon maître. --Tiens, Freydet! Prenez garde, baissez la tête....» Impossible, en effet, de se tenir debout dans cette soupente, et quelle différence avec les archives du ministère où je le vis la dernière fois, cette haute galerie tapissée de cartons. «Un chenil, n'est-ce pas? m'a dit l'excellent homme en souriant, mais si vous saviez quels trésors!...» Et son geste indiquait un grand classeur renfermant au moins dix mille pièces autographiques des plus rares, recueillies par lui en ces dernières années. «Il y en a, de l'histoire, là-dedans, répétait-il en se montant, agitant sa loupe à grimoire; et de la neuve et de la solide, quoi qu'ils en aient!» Au fond, il me semblait assombri et nerveux. On a été si dur avec lui. Cette destitution brutale; et puis, comme il continuait à publier des livres d'histoire très documentés, n'a-t-on pas dit qu'il avait décatalogué des pièces du fonds Bourbon. Et d'où est venue cette calomnie? de l'Institut même, de ce baron Huchenard qui se fait appeler le prince des autographiles français, et que la collection Astier désespère. De là une guerre hypocrite et sauvage, un lancinement de perfidies, d'attaques en dessous. «Jusqu'à mes Charles-Quint ... mes Charles-Quint qu'on me conteste maintenant.... Pourquoi, je vous demande? Pour un lapsus, une vétille: Maître Rabelais au lieu de frère Rabelais ... comme si la plume des Empereurs ne fourchait jamais.... Mauvaise foi! mauvaise foi!» Et voyant que je m'indignais avec lui, mon bon maître me prit les mains: «Laissons ces vilenies.... Mme Astier vous a dit, n'est ce pas, pour votre livre? Il y en a encore un peu trop pour mon goût ... mais, n'importe! je suis content.» Ce dont il y a trop dans mes vers, c'est ce qu'il appelle la mauvaise herbe, imagination, fantaisie; au lycée, déjà, il nous faisait la guerre là-dessus, arrachant, épluchant. Maintenant, écoute ceci, ma Germaine; mot pour mot la fin de notre entretien. Moi: «Pensez vous, mon maître, que j'aie quelque chance pour le prix Boisseau?» Le maître: «Après ce livre-là, mon cher enfant, ce n'est pas un prix, c'est un fauteuil qu'il vous faut. Loisillon en a dans l'aile, Ripault ne durera pas longtemps.... Ne bougez pas, laissez moi faire.... Pour moi, dès ce moment, votre candidature est posée....» Qu'ai-je dit ou répondu? Je n'en sais rien. Tel était mon trouble heureux qu'il me semble rêver encore. Moi, moi, de l'Académie française!... Oh! soigne-toi, soeur chérie, guéris tes maudites jambes, que tu puisses venir à Paris pour le grand jour, voir ton frère l'épée au côté, dans l'habit vert brodé de palmes, prendre place parmi tout ce que la France compte d'illustre. Tiens! la tête me tourne, je t'ombrasse vite et vais me coucher, Ton frère bien aimant, III 21 L'Immortel ABEL DE FREYDET. Tu penses qu'au milieu de ces aventures, j'ai oublié les graines, paillassons, arbustes, toutes mes emplettes; ce sera pour bientôt, je resterai ici quelque temps. Astier-Réhu m'a bien recommandé de ne rien dire, mais de fréquenter les milieux académiques. Me montrer, qu'on me voie, c'est plus important que tout. IV «Méfie-toi, mon Freydet.... Je connais ce coup-là, c'est le coup du racolage.... Au fond, ces gens se sentent finis, en train de moisir sous leur coupole.... L'Académie est un goût qui se perd, une ambition passée de mode.... Son succès n'est qu'une apparence.... Aussi, depuis quelques années, l'illustre compagnie n'attend plus le client chez elle, descend sur le trottoir et fait la retape. Partout, dans le monde, les ateliers, les librairies, les couloirs de théâtre, tous les milieux de littérature ou d'art, vous trouvez l'académicien racoleur souriant aux jeunes talents qui bourgeonnent: «L'Académie a l'oeil sur vous, jeune homme!...» Si le renom est déjà venu, si l'auteur en est à son troisième ou quatrième bouquin, comme toi, alors l'invite est plus directe: «Pensez à nous, mon cher, c'est le moment....» Ou brutalement, dans une bourrade affectueuse: «Ah ça! décidément, vous ne voulez pas être des nôtres?...» Le coup se fait aussi, mais plus insinuant, plus en douceur, avec l'homme du monde, traducteur de l'Arioste, fabricant de comédies de sociétés: «Hé! hé!... dites donc ... mais savez-vous que...?» Et si le mondain se récrie sur son indignité, le peu de sa personne et de son bagage, le racoleur lui sort la phrase consacrée: «l'Académie est un salon....» Bon sang de Dieu! ce qu'elle a servi, cette phrase-là: «l'Académie est un salon ... elle ne reçoit pas l'oeuvre seulement, mais l'homme....» En attendant, c'est le racoleur qui est reçu, choyé, de tous les dîners, de toutes les fêtes.... Il devient le parasite adulé des espérances qu'il fait naître et qu'il a soin de cultiver....» Ici, le bon Freydet s'indigna. Jamais son maître Astier ne se livrerait à des besognes aussi basses. Et Védrine haussant les épaules: «Lui, mais c'est le pire de tous, le racoleur convaincu, désintéressé.... Il croit à l'Académie; toute sa vie est là, et quand il vous dit: «Si vous saviez que c'est bon!» avec le clapement de langue qui savoure une pêche mûre, il parle comme il pense et son amorce est d'autant plus forte et dangereuse. Par exemple, une fois l'hameçon happé, bien ancré, l'Académie ne s'occupe plus de son patient, elle le laisse s'agiter, barboter.... Voyons, toi, pêcheur, quand tu as pris une belle perche, un brochet de poids et que tu le files derrière ton bateau, comment appelles-tu ça? --Noyer le poisson?... --Tout juste! Regarde Moser.... A-t-il bien une tête de poisson noyé!... dix ans qu'on le charrie à la remorque. Et de Salèle, et Guérineau ... combien d'autres qui ne se débattent même plus. --Mais enfin, on y entre, à l'Académie, on y arrive.... --Jamais à la remorque.... Et puis, quand on réussit, la belle affaire! Qu'est-ce que ça rapporte?... de l'argent? pas tant que tes foins.... La notoriété? Oui, dans un coin d'église grand comme un fond de chapeau.... Encore si ça donnait du talent, si ceux qui en ont ne le perdaient pas une fois là, glacés par l'air de la maison. L'Académie est un salon, tu comprends; il y a un ton qu'il faut prendre, des choses qui ne se disent pas ou s'atténuent. Finies, les belles inventions; finis, les coups d'audace à se casser les reins. Les plus grouillants ne bougent plus, de peur d'un accroc à l'habit vert; c'est comme les petits qu'on endimanche: «Amusez-vous, mais ne vous salissez pas.» Ils s'amusent, je t'en réponds.... Il leur reste, je sais bien, l'adulation des popotes académiques et des belles dames qui les tiennent. Mais c'est si ennuyeux! J'en parle par expérience, m'y étant laissé quelquefois traîner. Oui, comme dit le vieux Réhu, j'ai vu ça, moi!... Des pécores prétentieuses m'ont IV 22
palmerston

« ABEL DE FREYDET. Tu penses qu'au milieu de ces aventures, j'ai oublié les graines, paillassons, arbustes, toutes mes emplettes; ce sera pour bientôt, je resterai ici quelque temps.

Astier-Réhu m'a bien recommandé de ne rien dire, mais de fréquenter les milieux académiques.

Me montrer, qu'on me voie, c'est plus important que tout. IV «Méfie-toi, mon Freydet....

Je connais ce coup-là, c'est le coup du racolage....

Au fond, ces gens se sentent finis, en train de moisir sous leur coupole....

L'Académie est un goût qui se perd, une ambition passée de mode....

Son succès n'est qu'une apparence....

Aussi, depuis quelques années, l'illustre compagnie n'attend plus le client chez elle, descend sur le trottoir et fait la retape.

Partout, dans le monde, les ateliers, les librairies, les couloirs de théâtre, tous les milieux de littérature ou d'art, vous trouvez l'académicien racoleur souriant aux jeunes talents qui bourgeonnent: «L'Académie a l'oeil sur vous, jeune homme!...» Si le renom est déjà venu, si l'auteur en est à son troisième ou quatrième bouquin, comme toi, alors l'invite est plus directe: «Pensez à nous, mon cher, c'est le moment....» Ou brutalement, dans une bourrade affectueuse: «Ah ça! décidément, vous ne voulez pas être des nôtres?...» Le coup se fait aussi, mais plus insinuant, plus en douceur, avec l'homme du monde, traducteur de l'Arioste, fabricant de comédies de sociétés: «Hé! hé!...

dites donc ...

mais savez-vous que...?» Et si le mondain se récrie sur son indignité, le peu de sa personne et de son bagage, le racoleur lui sort la phrase consacrée: «l'Académie est un salon....» Bon sang de Dieu! ce qu'elle a servi, cette phrase-là: «l'Académie est un salon ...

elle ne reçoit pas l'oeuvre seulement, mais l'homme....» En attendant, c'est le racoleur qui est reçu, choyé, de tous les dîners, de toutes les fêtes....

Il devient le parasite adulé des espérances qu'il fait naître et qu'il a soin de cultiver....» Ici, le bon Freydet s'indigna.

Jamais son maître Astier ne se livrerait à des besognes aussi basses.

Et Védrine haussant les épaules: «Lui, mais c'est le pire de tous, le racoleur convaincu, désintéressé....

Il croit à l'Académie; toute sa vie est là, et quand il vous dit: «Si vous saviez que c'est bon!» avec le clapement de langue qui savoure une pêche mûre, il parle comme il pense et son amorce est d'autant plus forte et dangereuse.

Par exemple, une fois l'hameçon happé, bien ancré, l'Académie ne s'occupe plus de son patient, elle le laisse s'agiter, barboter....

Voyons, toi, pêcheur, quand tu as pris une belle perche, un brochet de poids et que tu le files derrière ton bateau, comment appelles-tu ça? —Noyer le poisson?... —Tout juste! Regarde Moser....

A-t-il bien une tête de poisson noyé!...

dix ans qu'on le charrie à la remorque.

Et de Salèle, et Guérineau ...

combien d'autres qui ne se débattent même plus. —Mais enfin, on y entre, à l'Académie, on y arrive.... —Jamais à la remorque....

Et puis, quand on réussit, la belle affaire! Qu'est-ce que ça rapporte?...

de l'argent? pas tant que tes foins....

La notoriété? Oui, dans un coin d'église grand comme un fond de chapeau....

Encore si ça donnait du talent, si ceux qui en ont ne le perdaient pas une fois là, glacés par l'air de la maison. L'Académie est un salon, tu comprends; il y a un ton qu'il faut prendre, des choses qui ne se disent pas ou s'atténuent.

Finies, les belles inventions; finis, les coups d'audace à se casser les reins.

Les plus grouillants ne bougent plus, de peur d'un accroc à l'habit vert; c'est comme les petits qu'on endimanche: «Amusez-vous, mais ne vous salissez pas.» Ils s'amusent, je t'en réponds....

Il leur reste, je sais bien, l'adulation des popotes académiques et des belles dames qui les tiennent.

Mais c'est si ennuyeux! J'en parle par expérience, m'y étant laissé quelquefois traîner.

Oui, comme dit le vieux Réhu, j'ai vu ça, moi!...

Des pécores prétentieuses m'ont L'Immortel IV 22. »

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