L'Immortel --Non, inutile, tu ne pourrais pas .
Publié le 11/04/2014
Extrait du document
«
La tête courbée à cause du plafond bas, elle essayait les clefs d'un trousseau à la serrure fermant les traverses
du cartonnier et, devant la difficulté, le temps qui pressait, sans hésiter voulut faire sauter un des montants.
Mais ses mains s'énervaient, elle cassait ses ongles.
Il fallait un levier, un objet quelconque; elle ouvrit le tiroir
de la table à jeu et les trois lettres, les trois Charles-Quint qu'elle cherchait, s'offrirent à elle, griffonnés et
jaunis.
Il y a de ces miracles!...
Penchée dans le cintre de la vitre basse, elle s'assura que c'était bien cela, «À
François Rabelais, maître en toutes sciences et bonnes lettres ...» n'en lut pas davantage, se cogna durement la
tête en se relevant mais ne sentit rien qu'en bas dans le fiacre qui l'emportait chez ce Bos de la rue de
l'Abbaye.
Elle descendit à l'entrée de cette rue, très courte, paisible, abritée dans l'ombre de Saint-Germain-des-Prés et
les briques rouges des vieux bâtiments de l'école de Chirurgie où stationnaient quelques coupés de maître à la
somptueuse livrée de Messieurs les professeurs.
Peu de passants; des pigeons picorant à même le trottoir
qu'elle fit envoler en arrivant devant le magasin, moitié librairie, moitié curiosités, qui étalait juste en face de
l'école son enseigne archaïque bien à sa place dans ce recoin du vieux Paris: «Bos, archiviste-paléographe.»
Il y avait de tout, à cette devanture; anciens manuscrits, livres de raison aux tranches piquées de moisissures,
antiques missels dédorés, fermoirs, gardes de livres, puis, collés sur les hautes vitres, des assignats, de vieilles
affiches, plans de Paris, complaintes, bons de poste militaires tachés de sang, autographes de tous les temps,
une poésie de Mme Lafarge, deux lettres de Chateaubriand à Perluzé bottier; et des noms de célébrités
anciennes et modernes sous des invitations à dîner, quelquefois des demandes d'argent, des aveux de détresse
ou des confidences d'amour, à donner la terreur et le dégoût d'écrire.
Ces autographes portaient tous leurs
chiffres de vente; et Mme Astier arrêtée un moment à la vitrine pouvait voir, près d'une lettre de Rachel cotée
trois cents francs, un billet de Léonard Astier-Réhu à son éditeur Petit-Séquard: deux francs cinquante.
Mais
ce n'était pas cela qu'elle cherchait derrière l'écran de soie verte qui masquait l'intérieur, le profil de
l'archiviste-paléographe, l'homme à qui elle aurait à faire.
Une appréhension lui venait à la dernière minute:
pourvu qu'il fût là, seulement!
L'idée que son Paul attendait la fit entrer enfin dans le noir, le renfermé poussiéreux de la boutique, et, sitôt
introduite vers un second petit cabinet au fond, elle entreprit d'expliquer à M.
Bos, un gros rouge ébouriffé,
tête d'orateur de réunions publiques, leur détresse momentanée et comment son mari n'avait pu se décider à
venir lui-même.
Il ne la laissa pas mentir toute son histoire: «Mais comment donc, madame!» Tout de suite,
un chèque sur le Crédit Lyonnais, et des égards, des saluts de reconduite jusqu'au fiacre.
«Une femme bien distinguée,» pensait-il, enchanté de son acquisition; et elle, en dépliant le chèque glissé
dans son gant, relisant le bienheureux chiffre, songeait: «Quel homme charmant!» Du reste, nul remords, pas
même ce petit sursaut de la mauvaise action accomplie; la femme ne connaît pas ces choses-là.
Toute à son
désir de l'heure présente, elle a des oeillères naturelles qui l'empêchent de voir autour d'elle, lui épargnent les
réflexions dont l'homme encombre ses actes décisifs.
De temps en temps, celle-ci pensait bien à la colère de
son mari constatant le vol; mais cela lui semblait confus, très lointain, peut-être même était-elle heureuse
d'ajouter cette épreuve à tous les tremblements ressentis depuis la veille: «Encore ça que mon enfant me
coûte.»
C'est que sous ses dehors tranquilles, sous sa patine de mondaine académique, il y avait chez elle ce qu'il y a
chez toutes, du monde ou pas du monde, la passion.
Le mari ne la trouve pas toujours, cette pédale qui met le
clavier féminin en mouvement; l'amant lui-même la manque quelquefois, jamais le fils.
Dans le triste roman
sans amour, que sont tant d'existences de femmes, c'est lui le héros, le grand premier rôle.
À son Paul, surtout
depuis qu'il avait l'âge d'homme, Mme Astier devait les seules vraies émotions de sa vie, les délicieuses
angoisses de l'attente, les pâleurs, les froids, les brûlures au creux des mains, les intuitions surnaturelles qui
font dire infailliblement: «le voilà!» avant que la voiture s'arrête, toutes choses ignorées d'elle, même aux
premières années du mariage, même au temps où le monde l'accusait de légèreté, où Léonard Astier disait
avec bonhomie: «C'est singulier....
Je ne fume jamais, et les voilettes de ma femme sentent le tabac....» L'Immortel
VI 36.
»
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