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Moïse - Alfred de Vigny

Publié le 09/07/2011

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vigny

« Moïse « représente l'homme de génie méconnu ; le poète veut montrer que nul n'est prophète en son pays, et c'est en somme le développement poétique de cet adage qu'il veut nous donner. — Dans ce but, il a encore recours au symbole. Au lieu de nous dire SA peine, SON opinion, comme l'eût fait un autre romantique, Vigny met en vers une IDÉE : cette idée que l'homme de génie est méconnu, et non pas que lui est méconnu. Il le pense sans doute, mais il ne le dit pas, il ne nous le fait pas voir, il ne nous étale pas son MOI. On peut distinguer trois parties dans ce poème :

1° Le cadre où se déroule la scène : la montagne, le désert, la terre promise, le camp des Hébreux ; c'est lu soir. 2° Les plaintes de Moïse : il se plaint à Dieu de sa lassitude, de sa science funeste, de sa puissance et de sa misère. Les divers couplets finissent tous par ce cri : « Hélas ! je suis, Seigneur, puissant et solitaire, laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre ! « qui est comme le refrain, le leitmotiv de la pièce.

Et, debout devant Dieu, Moïse ayant pris place, Dans le nuage obscur lui parlait face à face. Il disait au Seigneur : « Ne finirai-je pas ? Où voulez-vous encor que je porte mes pas ? Je vivrai donc toujours puissant et solitaire ? Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre. Que vous ai-je donc fait pour être votre élu ? J'ai conduit votre peuple où vous avez voulu. Voilà que son pied touche à la terre promise ; De vous à lui qu'un autre accepte l'entremise. Au coursier d'Israël qu'il attache le frein ; Je lui lègue mon livre et la verge d'airain. Hélas! vous m'avez fait sage parmi les sages! Mon doigt du peuple errant a guidé les passages ; J'ai fait pleuvoir du feu sur la tête des rois ; L'avenir à genoux adorera mes lois ; Des tombes des humains j'ouvre la plus antique, La mort trouve à ma voix une voix prophétique, Je suis très grand, mes pieds sont sur les nations, Ma main fait et défait les générations ; Hélas, je suis, Seigneur, puissant et solitaire, Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre! Hélas ! je sais aussi tous les secrets des cieux, Et vous m'avez prêté la force de vos yeux. Je commande à la nuit de déchirer ses voiles ; Ma bouche par leur nom a compté les étoiles, Et, dès qu'au firmament mon geste l'appela, Chacune s'est hâtée en disant : Me voilà. J'impose mes deux mains sur le front des nuages Pour tarir dans leurs flancs la source des orages ; J'engloutis les cités sous les sables mouvants ; Je renverse les monts sous les ailes des vents ; Mon pied infatigable est plus fort que l'espace ; Le fleuve aux grandes eaux se range quand je passe, Et la voix de la mer se tait devant ma voix. Lorsque mon peuple souffre ou qu'il lui faut des lois, J 'élève mes regards, votre esprit me visite ; La terre alors chancelle et le soleil hésite, Vos anges sont jaloux et m'admirent entre eux. — Et cependant, Seigneur, je ne suis pas heureux ; Vous m'avez fait vieillir puissant et solitaire, Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre!

Notes pour commentaire. — 1. Réserves à faire sur le fond. — On peut accorder à Vigny que les grands élus du Ciel sont, d'ordinaire, de grands martyrs, el, de Jérémie à saint Paul, ils gémissent parfois sous le poids de leur rôle. Mais leur plainte a un bien autre accent, plus humain à la fois et plus religieux, avec moins de prétention superbe et avec un fond de soumission aimante que Vigny n'a pas su ou voulu voir. Ce n'est pas le prophète, chef d'Israël que nous entendons ici, mais un génie quelconque affectant le dégoût d'une supériorité qu'il serait d'ailleurs fâché de perdre. 2. Mérites de la composition et de la forme. — Expliquer et discuter, s'il y a lieu, par l'exemple de ce poème, le jugement suivant : « Vigny avait la recherche du rare et de l'exquis, mais surtout dans l'idée ; son «effort d'artiste vers la perfection consistait moins dans le travail du style, toujours -soigné pourtant, que dans la spiritualisation de plus en plus exquise de la pensée, et aussi dans l'art savant de la composition, où aucun de ses rivaux ne l'a égalé. Dans l'exécution, surtout dans ses vers, on peut trouver parfois quelque effort, quelque incertitude, et nous avons, il se peut, des ouvriers plus habiles que lui à ciseler une rime. Mais il a des coups d'aile sans pareil, des vers d'une ampleur superbe, et quand il s'élève dans l'azur poétique, c'est à la façon de cet aigle blessé qui, dans son vol, comme il l'a dit :

Monte aussi vite au ciel que l'éclair en descend. «

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