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Molière: Le Malade imaginaire. ACTE III. SCENE III

Publié le 12/07/2011

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BÉRALDE. — Rien. Il ne faut que demeurer en repos. La nature, d'elle-même, quand nous la laissons faire, se tire doucement du désordre où elle est tombée. C'est notre inquiétude, c'est notre impatience qui gâte tout, et presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies. ARGAN. — Mais il faut demeurer d'accord, mon frère, qu'on peut aider cette nature par de certaines choses. BÉRALDE. — Mon Dieu! mon frère, ce sont pures idées, dont nous aimons à nous repaître; et, de tout temps, il s'est glissé parmi les hommes de belles imaginations que nous venons à croire parce qu'elles nous flattent et qu'il serait à souhaiter qu'elles fussent véritables. Lorsqu'un médecin vous parle d'aider, de secourir, de soulager la nature, de lui ôter ce qui lui nuit et lui donner ce qui lui manque, de la rétablir et de la remettre dans une pleine facilité de ses fonctions; lorsqu'il vous parle de rectifier le sang, de tempérer les entrailles et le cerveau, de dégonfler la rate, de raccommoder la poitrine, de réparer le foie, de fortifier le cœur, de rétablir et conserver la chaleur naturelle et d'avoir des secrets pour étendre la vie à de longues années: il vous dit justement le roman de la médecine. Mais quand vous en venez à la vérité et à l'expérience, vous ne trouvez rien de tout cela, et il en est comme de ces beaux songes qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir crus. Ce que j'en dis n'est qu'entre nous, et j'aurais souhaité de pouvoir un peu vous tirer de l'erreur où vous êtes, et pour vous divertir, vous mener voir, sur ce chapitre, quelqu'une des comédies de Molière. ARGAN. — C'est un bon impertinent que votre Molière avec ses comédies, et je le trouve bien plaisant d'aller jouer d'honnêtes gens comm^les médecins, BÉRALDE. — Ce ne sont point les médecins qu'il joue, mais le ridicule de la médecine. ARGAN. — C'est bien à lui à faire de se mêler de contrôler la médecine ; voilà un bon nigaud, un bon impertinent, de se moquer des consultations et des ordonnances, de s'attaquer au corps des médecins, et d'aller mettre sur son théâtre des personnes vénérables comme ces Messieurs-là ! BÉRALDE. — Que voulez-vous qu'il y mette, que les diverses professions des hommes? On y met bien tous les jours les princes et les rois, qui sont d'aussi bonne maison que les médecins. ARGAN. — Par la mort non de diable! si j'étais que des médecins, je me vengerais de son impertinence ; et, quand il sera malade, je le laisserais mourir sans secours. Il aurait beau faire et beau dire, je ne lui ordonnerais pas la moindre petite saignée, le moindre petit lavement, et je lui dirais : « Crève, crève : cela t'apprendra une autre fois à te jouer de la Faculté. « BÉRALDE. — Vous voilà bien en colère contre lui. ARGAN. — Oui, c'est un malavisé, et si les médecins sont sages, ils feront ce ce que je dis. BÉRALDE. — Il sera encore plus sage que vos médecins, car il ne leur demandera point de secours. ARGAN. — Tant pis pour lui s'il n'a point recours aux remèdes, BÉRALDE. — Il a ses raisons pour n'en point vouloir, et il soutient que cela n'est permis qu'aux gens vigoureux et robustes, et qui ont des forces de reste pour porter les remèdes avec la maladie; mais que, pour lui, il n'a justement de la force que pour porter son mal. ARGAN. — Les sottes raisons que voilà! Tenez, mon frère, ne parlons point de cet homme-là davantage, car cela m'échauffe la bile, et vous me donneriez mon mal.

L'ensemble. — Dans cette dernière comédie de Molière, certains passages empruntent une grande émotion à l'état de leur auteur qui, en les écrivant, était déjà atteint par la grave maladie dont il devait mourir, à la quatrième représentation de la pièce. Molière, ici, rit de lui-même, de ses souffrances, de sa propre tristesse. Il met en scène deux frères : l'un, Argan, est un malade imaginaire et un homme crédule; il est en proie à la cupidité de ses médecins et à l'hypocrisie de sa femme, et ses filles sont victimes de sa manie. L'autre, Béralde, est un philosophe, porte-parole de Molière, qui ne croit guère à la médecine, car il sait trop que les hommes ne peuvent pas être guéris. Il en profite pour exprimer les thèses chères à Molière : la nature est bonne, il n'y a qu'à lui obéir pour trouver le secret de la vie. Cette forme d'épicurisme est discutable dans un grand nombre de ses conséquences, mais on ne peut, dans ce passage, que l'approuver. Elle donne souvent, d'ailleurs, une compréhension franche et équilibrée des choses et s'unit aux conclusions du bon sens. Molière oppose cette philosophie à tous les excès, à toutes les affectations, à tous les mensonges; il en tire son idéal de mesure, d'équilibre, de vertu moyenne et de soumission au devoir d'état. Au point de vue du temps, on peut souligner dans ce fragment du Malade l'ignorance des médecins du XVIIe siècle.   

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