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Monsieur Bergeret a Paris et tous ses ordres au cou, quand il aura des ministres libéraux, il sera libéral.

Publié le 11/04/2014

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Monsieur Bergeret a Paris et tous ses ordres au cou, quand il aura des ministres libéraux, il sera libéral. Rien ne nous empêche alors d'être des ultras. Nous tirerons à droite, pendant que les républicains tireront à gauche. Nous serons dangereux et l'on nous traitera favorablement. Et qui dit que cette fois ce ne seront pas les ultras qui sauveront la monarchie? Nous avons déjà une armée introuvable. L'armée est aujourd'hui plus religieuse que le clergé. Nous avons une bourgeoisie introuvable, une bourgeoisie antisémite qui pense comme on pensait au moyen âge. Louis XVIII n'en avait pas tant. Qu'on me donne le portefeuille de l'intérieur, et, avec ces excellents éléments, je me charge de faire durer la monarchie absolue une dizaine d'années. Après quoi ce sera la sociale. Mais dix ans, c'est un joli bail. Ayant ainsi parlé, Henri Léon alluma un cigare. Joseph Lacrisse, qui suivait son idée, pria Henri de Brécé de voir s'il ne restait pas une bonne préfecture. Mais le président répéta qu'il n'avait plus que Guéret et Draguignan. --Je retiens Draguignan pour Gustave Dellion, dit Lacrisse en soupirant. Il ne sera pas content. Mais je lui ferai comprendre que c'est le pied à l'étrier. XVI La baronne de Bonmont avait invité tous les châtelains titrés et tous les châtelains industriels et financiers de la région à une fête de charité qu'elle devait donner le 29 du mois dans cet illustre château de Montil, que Bernard de Paves, grand maître de l'artillerie sous Louis XII, avait fait construire en 1508 pour Nicolette de Vaucelles, sa quatrième femme, et que le baron Jules avait acheté après l'emprunt français de 1871. Elle avait eu la délicatesse de n'envoyer aucune invitation aux châteaux juifs, bien qu'elle y eût des amis et des parents. Baptisée après la mort de son mari et naturalisée depuis cinq ans déjà, elle était toute dévouée à la religion et à la patrie. Ainsi que son frère Wallstein, de Vienne, elle se distinguait honorablement de ses anciens coreligionnaires par un antisémitisme sincère. Cependant elle n'était point ambitieuse, et son inclination naturelle la portait aux joies intimes. Elle se serait contentée d'un état modeste dans la noblesse chrétienne, si son fils ne l'avait obligée à paraître. C'est le petit baron Ernest qui l'avait poussée chez les Brécé. C'est lui qui avait mis tout l'armorial de la province sur la liste des invités à la fête qu'on préparait. C'est lui qui avait amené à Montil, jouer la comédie, la petite duchesse de Mausac, qui se disait d'assez bonne maison pour pouvoir souper chez des écuyères et boire avec des cochers. Le programme de la fête comportait une représentation de Joconde par des acteurs mondains, une kermesse dans le parc, une fête vénitienne sur l'étang, des illuminations. C'était déjà le 17. Les préparatifs se faisaient avec une grande hâte, dans une extrême confusion. La petite troupe répétait la pièce dans la longue galerie Renaissance, sous le plafond dont les caissons portaient avec une ingénieuse variété d'arrangements le paon de Bernard de Paves lié par la patte au luth de Nicolette de Vaucelles. M. Germaine accompagnait au piano les chanteurs, tandis que, dans le parc, les charpentiers assujettissaient à grands coups de maillet les fermes des baraques. Largillière, de l'Opéra-Comique, mettait en scène. --A vous, duchesse. Les doigts de M. Germaine, dépouillés de leurs bagues, hors une qui restait au pouce, descendirent sur le clavier. --La, la... Mais la duchesse, prenant le verre que lui tendait le petit Bonmont: XVI 53 Monsieur Bergeret a Paris --Laissez-moi boire mon cocktail. Lorsque ce fut fait, Largillière reprit: --Allons, duchesse! Tout me seconde, Je l'ai prévu... Et les doigts de M. Germaine, sans or ni pierreries, hors une améthyste au pouce, descendirent de nouveau sur le clavier. Mais la duchesse ne chanta pas. Elle regardait l'accompagnateur avec intérêt: --Mon petit Germaine, je vous admire. Vous vous êtes fait de la poitrine et des hanches! Mes compliments! Vous y êtes arrivé, vrai!... Tandis que moi, regardez! Elle coula de haut en bas ses mains sur son costume de drap: --Moi, j'ai tout ôté. Elle fit demi-tour. --Plus rien! C'est parti. Et pendant ce temps-là, ça vous est venu, à vous. C'est drôle tout de même!... Oh! il n'y a pas de mal. Ça se compense. Cependant René Chartier, qui jouait Joconde, se tenait immobile, le cou allongé comme un tuyau, soucieux uniquement du velours et des perles de sa voix, grave et même un peu sombre. Il s'impatienta et dit sèchement: --Nous ne serons jamais prêts. C'est déplorable! --Reprenons le quatuor et enchaînons, dit Largillière. Tout me seconde, Je l'ai prévu; Pauvre Joconde! Il est vaincu. --Passez, monsieur Quatrebarbe. M. Gérard Quatrebarbe était le fils de l'architecte diocésain. On le recevait dans le monde depuis qu'il avait cassé les carreaux du bottier Meyer, présumé juif. Il avait une jolie voix. Mais il manquait ses entrées. Et René Chartier lui jetait des regards furieux. --Vous n'êtes pas à votre place, duchesse, dit Largillière. --Ah! pour ça non, répondit la duchesse. Amer, René Chartier s'approcha du petit Bonmont et lui dit à l'oreille: --Je vous en prie, ne donnez plus de cocktails à la duchesse. Elle fera tout manquer. XVI 54

« —Laissez-moi boire mon cocktail. Lorsque ce fut fait, Largillière reprit: —Allons, duchesse! Tout me seconde, Je l'ai prévu... Et les doigts de M.

Germaine, sans or ni pierreries, hors une améthyste au pouce, descendirent de nouveau sur le clavier.

Mais la duchesse ne chanta pas.

Elle regardait l'accompagnateur avec intérêt: —Mon petit Germaine, je vous admire.

Vous vous êtes fait de la poitrine et des hanches! Mes compliments! Vous y êtes arrivé, vrai!...

Tandis que moi, regardez! Elle coula de haut en bas ses mains sur son costume de drap: —Moi, j'ai tout ôté. Elle fit demi-tour. —Plus rien! C'est parti.

Et pendant ce temps-là, ça vous est venu, à vous.

C'est drôle tout de même!...

Oh! il n'y a pas de mal.

Ça se compense. Cependant René Chartier, qui jouait Joconde, se tenait immobile, le cou allongé comme un tuyau, soucieux uniquement du velours et des perles de sa voix, grave et même un peu sombre.

Il s'impatienta et dit sèchement: —Nous ne serons jamais prêts.

C'est déplorable! —Reprenons le quatuor et enchaînons, dit Largillière. Tout me seconde, Je l'ai prévu; Pauvre Joconde! Il est vaincu. —Passez, monsieur Quatrebarbe. M.

Gérard Quatrebarbe était le fils de l'architecte diocésain.

On le recevait dans le monde depuis qu'il avait cassé les carreaux du bottier Meyer, présumé juif.

Il avait une jolie voix.

Mais il manquait ses entrées.

Et René Chartier lui jetait des regards furieux. —Vous n'êtes pas à votre place, duchesse, dit Largillière. —Ah! pour ça non, répondit la duchesse.

Amer, René Chartier s'approcha du petit Bonmont et lui dit à l'oreille: —Je vous en prie, ne donnez plus de cocktails à la duchesse.

Elle fera tout manquer.

Monsieur Bergeret a Paris XVI 54. »

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