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Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre. Bossuet

Publié le 12/07/2011

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La voilà, malgré ce grand cœur, cette princesse si admirée et si chérie! la voilà telle que la mort nous l'a faite; encore ce reste tel quel va-t-il disparaître, cette ombre de gloire va s'évanouir, et nous Talions voir dépouillée même de cette triste décoration. Elle va descendre à ces sombres lieux, à ces demeures souterraines, pour y dormir dans la poussière avec les grands de la terre, comme parle Job, avec ces rois et ces princes anéantis, parmi lesquels à peine peut-on la placer, tant les rangs y sont pressés, tant la mort est prompte à remplir ces places! Mais ici notre imagination nous abuse encore: la mort ne nous laisse pas assez de corps pour occuper quelque place, et on ne voit là que les tombeaux qui fassent quelque figure: notre chair change bientôt de nature, notre corps prend un autre nom: même celui de cadavre, dit Tertullien, parce qu'il nous montre encore quelque forme humaine, ne lui demeure pas longtemps; il devient un je ne sais quoi qui n'a plus de nom dans aucune langue; tant il est vrai que tout meurt en lui, jusqu'à ces termes funèbres par lesquels on exprimait ses malheureux restes! C'est ainsi que la puissance divine, justement irritée contre notre orgueil, le pousse jusqu'au néant, et que, pour égaler à jamais les conditions, elle ne fait de nous tous qu'une même cendre. Peut-on bâtir sur ces ruines? peut-on appuyer quelque grand dessein sur ce débris inévitable des choses humaines? Mais quoi, messieurs, tout est-il donc désespéré pour nous? Dieu qui foudroie toutes nos grandeurs jusqu'à les réduire en poudre, ne nous laisse-t-il aucune espérance? lui aux yeux de qui rien ne se perd, et qui suit toutes les parcelles de nos corps en quelque endroit écarté du monde que la corruption ou le hasard les jette, verra-t-il périr sans ressources ce qu'il a fait capable de le connaître et de l'aimer? Ici un nouvel ordre de choses se présente à moi; les ombres de la mort se dissipent: (c Les voies me sont ouvertes à la véritable vie. « Madame n'est plus dans le tombeau ; la mort, qui semblait tout détruire, a tout établi: voici le secret de l'Ecclésiaste, que je vous ai marqué dès le commencement de ce discours, et dont il me faut maintenant découvrir le fond. débris : fin, ruine, brisement. poudre : poussière. Ecclésiaste : un des livres qui fait partie de l'Ancien Testament et dont l'auteur est Salomon.  

L'ensemble. — Dans le fragment que nous citons ici, tiré de l'Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre, Bossuet se révèle surtout poète, et grand poète lyrique. Sous les voûtes mêmes de Saint-Denis, devant les sépultures royales où la grandeur humaine se confond dans la mort, il touche ces grands lieux communs de la fragilité et du néant de la vie, de l'universalité de la mort, de la faiblesse de l'homme, qui passe si vite, et qui sera bientôt réduit à rien... Il traite ces thèmes lyriques d'une façon d'autant plus émouvante qu'il est entraîné par son imagination et sa sensibilité, qu'il est, lui- même, affecté par la mort de la princesse; il introduit donc l'élément personnel indispensable au lyrisme; il est surtout frappé par l'horreur de la condition humaine et il cherche plus haut, en Dieu, le "secret du destin : c'est la base même de toute poésie, parce que c'est là l'élan de toutes les âmes.   

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