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Oraison funèbre du Prince de Condé. Bossuet

Publié le 12/07/2011

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Pleurez donc ce grand capitaine, et dites en gémissant : Voilà celui qui nous menait dans les hasards; sous lui se sont formés tant de renommés capitaines que ses exemples ont élevés aux premiers honneurs de la guerre; son ombre eût pu encore gagner des batailles, et voilà que dans son silence son nom même nous anime, et ensemble il nous avertit que pour trouver à la mort quelque reste de nos travaux, et n'arriver pas sans ressource à notre éternelle demeure, avec le roi de la terre il faut encore servir le roi du ciel. Servez donc ce roi immortel et si plein de miséricorde, qui vous comptera un soupir et un verre d'eau donné en son nom plus que tous les autres ne feront jamais tout votre sang répandu,- et commencez à compter le temps de vos utiles services du jour que vous vous serez donnés à un maître si bienfaisant. Et vous, ne viendrez-vous pas à ce triste monument, vous, dis-je, qu'il a bien voulu mettre au rang de ses amis? tous ensemble, en quelque degré de sa confiance qu'il vous ait reçus, environnez ce tombeau, versez des larmes avec des prières, et, admirant dans un si grand prince une amitié si commode, et un commerce si doux, conservez le souvenir d'un héros dont la bonté avait égalé le courage. Ainsi puissiez-vous profiter de ses vertus; et que la mort, que vous déplorez, vous serve à la fois de consolation et d'exemple! Pour moi, s'il m'est permis après tous les autres de venir rendre les derniers devoirs à ce tombeau, ô prince, le digne sujet de nos louanges et de nos regrets, vous vivrez éternellement dans ma mémoire; votre image y sera tracée, non point avec cette audace qui promettait la victoire, non, je ne veux rien voir en vous de ce que la mort y efface; vous aurez dans cette image des traits immortels; je vous y verrai tel que vous étiez à ce dernier jour sous la main de Dieu, lorsque sa gloire sembla commencer à vous apparaître. C'est là que je vous verrai plus triomphant qu'à Fribourg et à Rocroy; et ravi d'un si beau triomphe, je dirai en action de grâces ces belles paroles du bien-aimé disciple: Et haec est Victoria quae vincit mundum, fides nostra, « La véritable victoire, celle qui met sous nos pieds le monde entier, t'est notre foi. « Jouissez, prince, de cette victoire, jouissez-en éternellement par l'immortelle vertu de ce sacrifice; agréez ces derniers efforts d'une voix qui vous fut connue; vous mettrez fin à tous ces discours. Au lieu de déplorer la mort des autres, grand prince, dorénavant je veux apprendre de vous à rendre la mienne sainte; heureux si, averti par ces cheveux blancs du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie les restes d'une voix qui tombe et d'une ardeur qui s'éteint.

L'ensemble. — La fin de l'Oraison funèbre du Prince de Condé présente les plus beaux traits du génie de Bossuet : au point de vue du fond, on y retrouve la force et la grandeur des idées, l'ardeur du sentiment religieux, la beauté d'une amitié humaine, l'émotion du détachement de soi, l'admirable sérénité de l'acceptation. Au point de vue de la forme : le mouvement, l'éloquence entraînante, et surtout cet accent personnel, ce lyrisme pathétique qui font de Bossuet le plus grand de nos orateurs et le plus grand de nos poètes. L'Oraison funèbre de Condé offre aussi un intérêt historique de premier ordre, car sa vie, son caractère et ses batailles y sont retracés, et, étant donné le rôle joué par le Prince au XVIIe siècle, c'est une page d'histoire.

Le style. — La prose de Bossuet offre un des plus beaux exemples de notre langue : la période est ample et harmonieuse — elle se ressent encore de l'influence latine —, le ton est noble; le rythme mesuré, grave et pénétrant; les images sont fréquentes, évocatrices, pleines de vie et de poésie; les citations bibliques nombreuses, caractérisant à la fois la forme et le fond des œuvres de Bossuet. 

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