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Paysage de sapins (1868) - TAINE

Publié le 03/05/2011

Extrait du document

Voici un excellent modèle de développement. Le thème est simple : « Vous supposerez que vous faites une excursion dans les Vosges, et vous décrirez les sapins à travers lesquels vous passez pour gravir la montagne.... « — Taine varie ce thème de la façon la plus naturelle; il nous présente les sapins groupés, isolés, éclairés, dans l'ombre, — sur le flanc de la montagne, au fond des vallées, etc.... Mais il donne à tout une vie mystérieuse et puissante.

 

Au soleil levant, à travers une forêt de sapins, on gravit la montagne. Les yeux ne se lassent pas de voir leurs corps droits, leurs tailles fines. D'un élan superbe, ils montent nus par centaines jusqu'au dôme noircissant qui ferme le ciel, et leur roideur est héroïque. Parfois, sur un versant, il y a deux ou trois solitaires, pareils à un poste avancé de sentinelles, immobiles et debout, avec une fierté et une beauté d'adolescents barbares. D'autres, en troupe, descendent jusqu'au fond d'une gorge, comme une bande en marche. Le soleil les frappe en travers; mais leurs lamelles serrées ne se laissent pas transpercer par la lumière; on la démêle vaguement, à travers la colonnade des troncs, bleuie et transfigurée comme par des vitraux de rosaces. D'autres fois, par une percée subite, elle arrive avec un flamboiement magnifique, coupe un peu.de forêt, blanchit les troncs, ruisselle sur les lichens luisants des roches; au-dessous de ces illuminations on voit, dans les profondeurs, les sveltes fûts des jeunes arbres s'élancer, se presser par myriades, comme les colonnettes d'une cathédrale infinie. La forêt s'ouvre, et l'on arrive sur une route à mi-côte. En face, échelonnés sur le versant, montent des files de pins rouges éclaircis par la hache. Un à un, accrochés aux rocs, ils lèvent haut dans l'azur leur panache de verdure pâle. La sève du printemps crève leur écorce, et le sang végétal suinte entre les écailles de leurs troncs. La pleine lumière du jour les enveloppe; la force du soleil fait sortir de leurs vieux membres une senteur d'aromates. Ces candélabres vivants demeurent ainsi tout le jour sous la pluie des rayons et dans la gloire du ciel éblouissant exhalant leur parfum vague, et çà et là, autour de leurs têtes, des couples de ramiers voltigent. Plus droits encore et plus grandioses, des sapins argentés sur l'autre flanc du chemin étagent les uns au-dessous des autres leurs pyramides noirâtres. Ils descendent en des creux où le soleil ne pénètre pas et font une ombre sépulcrale. Dans ces fondrières, l'air froid et le jour éteint sont ceux d'une crypte; les rocs écroulés et les cadavres d'arbres gisants y semblent des ruines; des mousses livides moisissent sur les troncs ou pendent aux branches, et de toutes parts l'obscurité humide tombe comme un suaire. Mais des êtres agiles et charmants peuplent toute la pente. Ce sont les eaux éparpillées, ruisselantes; elles glissent sur les mousses, sautent et bouillonnent à l'aventure, avec des caprices mignons ou de petites colères folles dans leurs rigoles obstruées de pierres. Au tournant de la montagne, elles s'étalent pour un instant, avec des teintes d'acier, sur un lit de sable; les myosotis, les fougères, les cressons, toutes ces fraîches créatures qu'elles abreuvent, leur font un cadre de vive verdure, et le cadre se ploie, suivant et enlaçant toujours de ses deux bords leurs reflets subits, leur pétillement d'éclairs, leur long ondoiement lumineux qui se perd entre les roches.

(Essais de critique et d'histoire, Saint-Odile, Hachette et Cie, édit.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Un tableau sylvestre. — 1° Situez le lieu de l'excursion; 2° Quand vous avez lu cette page, voyez-vous, en imagination, le paysage décrit? 3° D'où vous paraît provenir cette netteté de vision? 4° De quels éléments a tenu compte l'auteur, dans la composition de son tableau? (aspect des arbres, — jeux de lumière, — degré de vie); 5° Comment les arbres lui apparaissent-ils, suivant les milieux? (troupes de héros, — colonnettes d'une cathédrale..., — candélabres vivants...); 6° La vue du paysage ne varie-t-elle pas suivant l'éclairage? (montrer que l'auteur a noté toute la gamme de la lumière, depuis le flamboiement magnifique jusqu'à l'ombre sépulcrale); 7° Le tableau est-il animé? (Dans l'affirmative, par quoi?) ; 8° N'a-t-il pas parfois un caractère lugubre? 9° Quelle impression d'ensemble vous laisse le paysage? II. — L'analyse du morceau. — 1° Distinguez les différentes parties du morceau. L'aspect de la forêt de sapins : a) En gravissant la montagne; b) Sur la route à mi-côte : flanc montant; flanc descendant; 2° Les sapins ne sont-ils pas personnifiés, dans la première partie? (les trois aspects qu'ils présentent?); 3° Que voit-on, au-dessous d'eux, dans la profondeur, quand leurs têtes sont illuminées? 4° Les sapins qui croissent sur le flanc montant ne sont-ils pas fortement éclairés? Pourquoi? 5° A quoi les compare l'auteur? 6° Que remarque-t-on au-dessus de leurs têtes? 6° Quel est l'aspect des sapins sur le flanc descendant? (Voit-on leurs troncs? leurs têtes?...) ; 7° Comment sont les profondeurs où ils descendent? 8° Par quels termes est marquée l'impression de ce paysage de mort? 9° Est-ce que la nature ne reprend pas ses droits? (Comment ?...) ; 10° Montrez le contraste qui existe entre le frais et gracieux tableau d'êtres et de choses minuscules et l'aspect lugubre des creux profonds à l'ombre sépulcrale.

III. — Le style ; — les expressions. — 1° Indiquez les comparaisons employées par l'auteur; — montrez-en la beauté et la justesse; 2° Quelle qualité du style résulte de l'emploi de ces comparaisons? (le relief, le pittoresque...); 3° Faites remarquer aussi la concision du style (le dédain de l'auteur pour tout terme inutile...) ; 4° Indiquez le sens des expressions suivantes : les lichens luisants des roches, les sveltes fûts, — les pins échelonnés sur le versant.

IV.— La grammaire. — 1° Indiquez les mots de la même famille que sapin, forêt; 2° Quelle est la composition des verbes transpercer, transfigurer, exhaler? 3° Quels sont les compléments de étalent, — les sujets de font (dernière phrase du morceau)?  

Rédaction. — Récit d'une promenade que vous avez faite dans un bois ou dans une forêt.

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