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Pot-bouille Ce soir-la, on s'occupa de Valerie, chez les Campardon, pendant le diner.

Publié le 11/04/2014

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Pot-bouille Ce soir-la, on s'occupa de Valerie, chez les Campardon, pendant le diner. Octave tachait de les faire causer. Mais, comme Angele ecoutait, jetant des regards sournois a Lisa, en train de servir un gigot d'un air serieux, les parents d'abord se repandirent en eloges. L'architecte, d'ailleurs, defendait toujours la "respectabilite" de la maison, avec une conviction de locataire vaniteux, qui semblait en tirer toute une honnetete personnelle. --Oh! mon cher, des gens convenables.... Vous les avez vus chez les Josserand. Le mari n'est pas une bete: il est plein d'idees, il finira par trouver quelque chose de tres fort. Quant a la femme, elle a du cachet, comme nous disons, nous autres artistes. Madame Campardon, plus souffrante depuis la veille, couchee a demi, bien que sa maladie ne l'empechat pas de manger de fortes tranches saignantes, murmurait a son tour, languissamment: --Ce pauvre monsieur Theophile, il est comme moi, il traine.... Allez, Valerie a du merite, car ce n'est pas gai, d'avoir sans cesse pres de soi un homme tremblant la fievre, et que le mal rend le plus souvent tracassier et injuste. Au dessert, Octave, place entre l'architecte et sa femme, en apprit plus qu'il n'en demandait. Ils oubliaient Angele, ils parlaient a demi-mots, avec des coups d'oeil soulignant les doubles sens des phrases; et, quand l'expression leur manquait, ils se penchaient l'un apres l'autre, ils achevaient crument la confidence a l'oreille. En somme, ce Theophile etait un cretin et un impuissant, qui meritait d'etre ce que sa femme le faisait. Quant a Valerie, elle ne valait pas grand'chose, elle se serait tout aussi mal conduite, meme si son mari l'avait contentee, tellement la nature l'emportait. Personne n'ignorait du reste que, deux mois apres son mariage, desesperee de voir qu'elle n'aurait jamais d'enfant, et craignant de perdre sa part de l'heritage du vieux Vabre, si Theophile venait a mourir, elle s'etait fait faire son petit Camille par un garcon boucher de la rue Sainte-Anne. Campardon se pencha une derniere fois a l'oreille d'Octave. --Enfin, vous savez, mon cher, une femme hysterique! Et il mettait, dans ce mot, toute la gaillardise bourgeoise d'une indecence, le sourire lippu d'un pere de famille dont l'imagination, brusquement lachee, se repait de tableaux orgiaques. Angele baissa les yeux sur son assiette, evitant de regarder Lisa pour ne pas rire, comme si elle avait entendu. Mais la conversation tournait, on parlait maintenant des Pichon, et les paroles louangeuses ne tarissaient pas. --Oh! ceux-la, quels braves gens! repetait madame Campardon. Parfois, lorsque Marie sort avec sa petite Lilitte, je lui permets d'emmener Angele. Et je vous le jure, monsieur Mouret, je ne confie pas ma fille a tout le monde; il faut que je sois absolument certaine de la moralite des personnes.... N'est-ce pas, Angele, que tu aimes bien Marie? --Oui, maman, repondit Angele. Les details continuerent. Il etait impossible de trouver une femme mieux elevee, dans des principes plus severes. Aussi fallait-il voir comme le mari etait heureux! Un petit menage si gentil, et propre, et qui s'adorait, et ou l'on n'entendait jamais un mot plus haut l'un que l'autre! --D'ailleurs, on ne les garderait pas dans la maison, s'ils se conduisaient mal, dit gravement l'architecte, oubliant ses confidences sur Valerie. Nous ne voulons ici que des honnetes gens.... Parole d'honneur! je donnerais conge, le jour ou ma fille serait exposee a rencontrer des creatures dans l'escalier. IV 39 Pot-bouille Ce soir-la, il conduisait secretement la cousine Gasparine a l'Opera-Comique. Aussi alla-t-il chercher tout de suite son chapeau, en parlant d'une affaire qui le retiendrait tres tard. Rose pourtant devait connaitre cette partie, car Octave l'entendit murmurer, de sa voix resignee et maternelle, lorsque son mari vint la baiser avec son effusion de tendresse accoutumee: --Amuse-toi bien, et ne prends pas froid, a la sortie. Le lendemain, Octave eut une idee: c'etait de lier amitie avec madame Pichon, en lui rendant des services de bon voisinage; de cette maniere, si elle surprenait jamais Valerie, elle fermerait les yeux. Et une occasion se presenta, le jour meme. Madame Pichon promenait Lilitte, alors agee de dix-huit mois, dans une petite voiture d'osier, qui soulevait la colere de M. Gourd; jamais le concierge n'avait voulu qu'on montat la voiture par le grand escalier, elle devait passer par l'escalier de service; et comme, en haut, la porte du logement se trouvait trop etroite, il fallait chaque fois demonter les roues et le timon, ce qui etait tout un travail. Justement, ce jour-la, Octave rentrait, lorsque sa voisine, genee par ses gants, se donnait beaucoup de mal pour retirer les ecrous. Quand elle le sentit debout derriere elle, attendant qu'elle debarrassat le palier, elle perdit completement la tete, les mains tremblantes. --Mais, madame, pourquoi prenez-vous toute cette peine? demanda-t-il enfin. Il serait plus simple de mettre cette voiture au fond du couloir, derriere ma porte. Elle ne repondit pas, d'une timidite excessive, qui la laissait accroupie, sans force pour se relever; et, sous le bavolet de son chapeau, il voyait une rougeur ardente lui envahir la nuque et les oreilles. Alors, il insista. --Je vous jure, madame, cela ne me generait nullement. Sans attendre, il prit la voiture, l'emporta de son air aise. Elle dut le suivre; mais elle restait si confuse, si effaree de cette aventure considerable dans sa vie plate de tous les jours, qu'elle le regarda faire, ne trouvant autre chose que des bouts de phrase balbuties. --Mon Dieu! monsieur, c'est trop de peine.... Je suis confuse, vous allez vous encombrer.... Mon mari sera bien content.... Et elle rentra, elle s'enferma cette fois hermetiquement, avec une sorte de honte. Octave pensa qu'elle etait stupide. La voiture le genait beaucoup, car elle l'empechait d'ouvrir sa porte, et il lui fallait se glisser de biais chez lui. Mais sa voisine paraissait gagnee, d'autant plus que M. Gourd voulut bien, grace a l'influence de Campardon, autoriser cet embarras, dans ce fond de couloir perdu. Chaque dimanche, les parents de Marie, monsieur et madame Vuillaume, venaient passer la journee. Comme Octave sortait, le dimanche suivant, il apercut toute la famille en train de prendre le cafe; et il pressait le pas par discretion, lorsque la jeune femme s'etant penchee vivement a l'oreille de son mari, celui-ci se hata de se lever, en disant: --Monsieur, excusez-moi, je suis toujours dehors, je n'ai pu encore vous remercier. Mais je tiens a vous exprimer combien j'ai ete heureux.... Octave se defendait. Enfin, il dut entrer. Bien qu'il eut deja bu du cafe, on l'obligea d'en accepter une tasse. Pour lui faire honneur, on l'avait place entre monsieur et madame Vuillaume. En face, de l'autre cote de la table ronde, Marie etait reprise d'une de ces confusions, qui, a chaque instant, sans cause apparente, lui jetaient tout le sang du coeur au visage. Il la regarda, ne l'ayant jamais vue a l'aise. Mais, comme disait Trublot, ce n'etait pas son ideal: elle lui parut pauvre, effacee, la figure plate, les cheveux rares, avec des traits fins et jolis pourtant. Quand elle fut un peu rassuree, elle eut de petits rires, en reparlant de la voiture, sur IV 40

« Ce soir-la, il conduisait secretement la cousine Gasparine a l'Opera-Comique.

Aussi alla-t-il chercher tout de suite son chapeau, en parlant d'une affaire qui le retiendrait tres tard.

Rose pourtant devait connaitre cette partie, car Octave l'entendit murmurer, de sa voix resignee et maternelle, lorsque son mari vint la baiser avec son effusion de tendresse accoutumee: —Amuse-toi bien, et ne prends pas froid, a la sortie. Le lendemain, Octave eut une idee: c'etait de lier amitie avec madame Pichon, en lui rendant des services de bon voisinage; de cette maniere, si elle surprenait jamais Valerie, elle fermerait les yeux.

Et une occasion se presenta, le jour meme.

Madame Pichon promenait Lilitte, alors agee de dix-huit mois, dans une petite voiture d'osier, qui soulevait la colere de M.

Gourd; jamais le concierge n'avait voulu qu'on montat la voiture par le grand escalier, elle devait passer par l'escalier de service; et comme, en haut, la porte du logement se trouvait trop etroite, il fallait chaque fois demonter les roues et le timon, ce qui etait tout un travail.

Justement, ce jour-la, Octave rentrait, lorsque sa voisine, genee par ses gants, se donnait beaucoup de mal pour retirer les ecrous.

Quand elle le sentit debout derriere elle, attendant qu'elle debarrassat le palier, elle perdit completement la tete, les mains tremblantes. —Mais, madame, pourquoi prenez-vous toute cette peine? demanda-t-il enfin.

Il serait plus simple de mettre cette voiture au fond du couloir, derriere ma porte. Elle ne repondit pas, d'une timidite excessive, qui la laissait accroupie, sans force pour se relever; et, sous le bavolet de son chapeau, il voyait une rougeur ardente lui envahir la nuque et les oreilles.

Alors, il insista. —Je vous jure, madame, cela ne me generait nullement. Sans attendre, il prit la voiture, l'emporta de son air aise.

Elle dut le suivre; mais elle restait si confuse, si effaree de cette aventure considerable dans sa vie plate de tous les jours, qu'elle le regarda faire, ne trouvant autre chose que des bouts de phrase balbuties. —Mon Dieu! monsieur, c'est trop de peine....

Je suis confuse, vous allez vous encombrer....

Mon mari sera bien content.... Et elle rentra, elle s'enferma cette fois hermetiquement, avec une sorte de honte.

Octave pensa qu'elle etait stupide.

La voiture le genait beaucoup, car elle l'empechait d'ouvrir sa porte, et il lui fallait se glisser de biais chez lui.

Mais sa voisine paraissait gagnee, d'autant plus que M.

Gourd voulut bien, grace a l'influence de Campardon, autoriser cet embarras, dans ce fond de couloir perdu. Chaque dimanche, les parents de Marie, monsieur et madame Vuillaume, venaient passer la journee.

Comme Octave sortait, le dimanche suivant, il apercut toute la famille en train de prendre le cafe; et il pressait le pas par discretion, lorsque la jeune femme s'etant penchee vivement a l'oreille de son mari, celui-ci se hata de se lever, en disant: —Monsieur, excusez-moi, je suis toujours dehors, je n'ai pu encore vous remercier.

Mais je tiens a vous exprimer combien j'ai ete heureux.... Octave se defendait.

Enfin, il dut entrer.

Bien qu'il eut deja bu du cafe, on l'obligea d'en accepter une tasse. Pour lui faire honneur, on l'avait place entre monsieur et madame Vuillaume.

En face, de l'autre cote de la table ronde, Marie etait reprise d'une de ces confusions, qui, a chaque instant, sans cause apparente, lui jetaient tout le sang du coeur au visage.

Il la regarda, ne l'ayant jamais vue a l'aise.

Mais, comme disait Trublot, ce n'etait pas son ideal: elle lui parut pauvre, effacee, la figure plate, les cheveux rares, avec des traits fins et jolis pourtant.

Quand elle fut un peu rassuree, elle eut de petits rires, en reparlant de la voiture, sur Pot-bouille IV 40. »

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