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« Pourquoi ne pas déduire du nez le mois de la naissance ? »

Publié le 02/03/2011

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Pour éviter toute mécompréhension et en prévenir de nouvelles, nous voulons ici rappeler une fois pour toutes que le mot « physiognomonie « pris au sens strict signifie l'habileté d'identifier, à partir de la forme et de la nature des parties externes du corps humain, en particulier du visage, la constitution de l'esprit et du cœur d'un individu [...]. Nul ne niera que dans un monde où tout élément est lié par des rapports de cause à effet, et où rien n'advient par miracle, toute chose est comme un miroir du tout. Un œil plus perçant que le nôtre, et pourtant encore infiniment plus myope que l'œil de Celui qui voit tout, serait capable de saisir les conséquences qu'un petit pois jeté dans la Méditerranée provoque sur la côte chinoise. Et qu'est-ce donc de différent qu'un petit éclat de lumière qui frappe la rétine de l'œil, en comparaison à la masse du cerveau et de ses ramifications? C'est justement cette chaîne de rapports qui nous donne souvent la possibilité de déduire ce qui est loin de ce qui est près, ce qui est invisible de ce qui est visible, ce qui est passé ou futur de ce qui est présent. C'est ainsi que les rayures au fond d'un plat en étain nous racontent l'histoire de tous les repas auquel il participa, de même que la forme de chaque région, c'est-à-dire l'état de ses petites collines sablonneuses et de ses rochers, contient, dans l'écriture naturelle, l'histoire de la terre ; en effet, chaque galet arrondi que rejette la mer pourrait, en vérité, raconter l'histoire des abysses marins à une âme qui serait liée à elle comme la nôtre l'est à notre cerveau. Peut-être le destin de Rome se trouvait-il vraiment dans les entrailles de l'animal sacrifié, mais l'imposteur qui laissait entendre de le pouvoir lire était, dans les faits, incapable de le prévoir. L'intériorité de l'homme est-elle donc vraiment imprimée dans les traits extérieurs? Sur le visage, dont nous voulons ici surtout parler, se retrouvent les signes et les traces de nos pensées, de nos inclinations et de nos capacités. Cependant, les signes du climat et de l'affairement ne s'impriment-ils pas sur le corps tout aussi clairement ? Mais qu'est-ce donc que le climat et l'affairement en comparaison d'une âme qui est toujours en mouvement, qui vit et qui crée dans chaque fibre du corps? Nul ne doute de cette absolue lisibilité de tout en tout. C'est pourquoi il n'est point nécessaire de démontrer qu'il y a une physiognomonie et, comme l'ont fait certains auteurs, d'apporter d'abondants exemples montrant comment l'on peut déduire l'intérieur d'une chose à partir de son extérieur. La preuve vient tout de suite si l'on dit : nos sens ne nous livrent jamais que des superficies et tout le reste n'est que déductions faites à partir de celles-ci. Mais la physiognomonie, en absence d'autres spécifications, ne peut tirer de cela nulle consolation particulière, puisque c'est justement cette lecture des superficies qui représente l'origine de nos erreurs et même, dans plusieurs cas, la raison principale de toute notre ignorance. [...] Tout ce qui se trouve dans la tête et le cœur se rapporte-t-il donc au visage? Pourquoi alors ne pas déduire à partir du nez le mois de la naissance, la froideur de l'hiver, les langes trempés, les gouvernantes peu scrupuleuses, les maladies de l'enfance? [...] C'est là une vérité courante qu'il y a peu de mauvaises actions qui sont commises sans passions, lesquelles, dans un autre concours de circonstances, peuvent être aussi les motifs d'actions grandes et dignes de louanges. À quoi bon alors s'obstiner à faire des déductions à partir des similitudes des visages, si cet individu qui a été pendu eût pu être, en d'autres circonstances et sans rien changer de ses dispositions, couronné de lauriers plutôt que cravaté d'une corde? L'occasion ne fait pas seulement le larron, elle fait aussi les grands hommes. « DE LA PHYSIOGNOMONIE « (1777), IN LE COUTEAU SANS LAME ET AUTRES TEXTES SATIRIQUES, TRAD. C. LE BLANC, JOSÉ C0RTI, 1999

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