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- Seize ans et demi.

Publié le 29/10/2013

Extrait du document

- Seize ans et demi. - Tu mens ! « Mentir, mon Dieu ! pourquoi ? Elle eut un haussement d'épaules plein d'un abandon et d'une lassitude immenses. « Et, la première fois, où ça s'est-il passé ? - A la Croix-de-Maufras. « Il hésita une seconde, ses lèvres s'agitaient, une lueur jaune troublait ses yeux. « Et, je veux que tu me dises, qu'est-ce qu'il t'a fait ? « Elle resta muette. Puis, comme il brandissait le poing : « Tu ne me croirais pas. - Dis toujours... Il n'a pu rien faire, hein ? « D'un signe de tête, elle répondit. C'était bien cela. Et alors, il s'acharna sur la scène, il voulut la connaître jusqu'au bout, il descendit aux mots crus, aux interrogations immondes. Elle ne desserrait plus les dents, elle continuait à dire oui, à dire non, d'un signe. Peut-être ça les soulagerait-il l'un et l'autre, quand elle aurait avoué. Mais lui souffrait davantage de ces détails, qu'elle croyait être une atténuation. Des rapports normaux, complets, l'auraient hanté d'une vision moins torturante. Cette débauche pourrissait tout, enfonçait et retournait au fond de sa chair les lames empoisonnées de sa jalousie. Maintenant, c'était fini, il ne vivrait plus, il évoquerait toujours l'exécrable image. Un sanglot déchira sa gorge. « Ah ! nom de Dieu... ah ! nom de Dieu !... ça ne peut pas être, non, non ! c'est trop, ça ne peut pas être ! « Puis, tout d'un coup, il la secoua. « Mais nom de Dieu de garce ! pourquoi m'as-tu épousé ?... Sais-tu que c'est ignoble de m'avoir trompé ainsi ? Il y a des voleuses, en prison, qui n'en ont pas tant sur la conscience... Tu me méprisais donc, tu ne m'aimais donc pas ?... Hein ! pourquoi m'as-tu épousé ? « Elle eut un geste vague. Est-ce qu'elle savait au juste, à présent ? En l'épousant, elle était heureuse, espérant en finir avec l'autre. Il y a tant de choses qu'on ne voudrait pas faire et qu'on fait, parce qu'elles sont encore les plus sages. Non, elle ne l'aimait pas  et ce qu'elle évitait de lui dire, c'était que, sans cette histoire, jamais elle n'aurait consenti à être sa femme. « Lui, n'est-ce pas ? désirait te caser. Il a trouvé une bonne bête... Hein ? il désirait te caser pour que ça continue. Et vous avez continué, hein ? à tes deux voyages, là-bas. C'est pour ça qu'il t'emmenait ? « D'un signe, elle avoua de nouveau. « Et c'est pour ça encore qu'il t'invitait, cette fois ?... Jusqu'à la fin, alors, ça aurait recommencé, ces ordures ? Et, si je ne t'étrangle pas, ça recommencera ! « Ses mains convulsées s'avançaient pour la reprendre à la gorge. Mais, ce coup-ci, elle se révolta. « Voyons, tu es injuste. Puisque c'est moi qui ai refusé d'y aller. Tu m'y envoyais, j'ai dû me fâcher, rappelle-toi... Tu vois bien que je ne voulais plus. C'était fini. Jamais, jamais plus, je n'aurais voulu. « Il sentit qu'elle disait la vérité, et il n'en eut aucun soulagement. L'affreuse douleur, le fer qui lui restait en pleine poitrine, c'était l'irréparable, ce qui avait eu lieu entre elle et cet homme. Il ne souffrait horriblement que de son impuissance à faire que cela ne fût pas. Sans la lâcher encore, il s'était rapproché de son visage, il semblait fasciné, attiré là, comme pour retrouver, dans le sang de ses petites veines bleues, tout ce qu'elle lui avouait. Et il murmura, obsédé, halluciné : « A la Croix-de-Maufras, dans la chambre rouge... Je la connais, la fenêtre donne sur le chemin de fer, le lit est en face. Et c'est là, dans cette chambre... Je comprends qu'il parle de te laisser la maison. Tu l'as bien gagnée. Il pouvait veiller sur tes sous et te doter, ça valait ça... Un juge, un homme riche à millions, si respecté, si instruit, si haut ! Vrai, la tête vous tourne... Et, dis donc, s'il était ton père ? « Séverine, d'un effort, se mit debout. Elle l'avait repoussé, avec une vigueur extraordinaire, pour sa faiblesse de pauvre être vaincu. Violente, elle protestait. « Non, non, pas ça ! Tout ce que tu voudras, pour le reste. Bats-moi, tue-moi... Mais ne dis pas ça, tu mens ! « Roubaud lui avait gardé une main dans les siennes. « Est-ce que tu en sais quelque chose ? C'est bien parce que tu en doutes toi-même, que ça te soulève ainsi. « Et, comme elle dégageait sa main, il sentit sa bague, le petit serpent d'or à tête de rubis, oublié à son doigt. Il l'en arracha, le pila du talon sur le carreau, dans un nouvel accès de rage. Puis, il marcha d'un bout de la pièce à l'autre, muet, éperdu. Elle, tombée assise au bord du lit, le regardait de ses grands yeux fixes. Et le terrible silence dura. La fureur de Roubaud ne se calmait point. Dès qu'elle semblait se dissiper un peu, elle revenait aussitôt, comme l'ivresse, par grandes ondes redoublées, qui l'emportaient dans leur vertige. Il ne se possédait plus, battait le vide, jeté à toutes les sautes du vent de violence dont il était flagellé, retombant à l'unique besoin d'apaiser la bête hurlante au fond de lui. C'était un besoin physique, immédiat, comme une faim de vengeance, qui lui tordait le corps et qui ne lui laisserait plus aucun repos, tant qu'il ne l'aurait pas satisfaite. Sans s'arrêter, il se tapa les tempes de ses deux poings, il bégaya, d'une voix d'angoisse : « Qu'est-ce que je vais faire ? « Cette femme, puisqu'il ne l'avait pas tuée tout de suite, il ne la tuerait pas maintenant. Sa lâcheté de la laisser vivre exaspérait sa colère, car c'était lâche, c'était parce qu'il tenait encore à sa peau de garce, qu'il ne l'avait pas étranglée. Il ne pouvait pourtant la garder ainsi. Alors, il allait donc la chasser, la mettre à la rue, pour ne jamais la revoir ? Et un nouveau flot de souffrance l'emportait, une exécrable nausée le submergeait tout entier, lorsqu'il sentait qu'il ne ferait pas même ça. Quoi enfin ? Il ne restait qu'à accepter l'abomination et qu'à remmener cette femme au Havre, à continuer la tranquille vie avec elle, comme si de rien n'était. Non ! non ! la mort plutôt, la mort pour tous les deux, à l'instant ! Une telle détresse le souleva, qu'il cria plus haut, égaré : « Qu'est-ce que je vais faire ? « Du lit où elle restait assise, Séverine le suivait toujours de ses grands yeux. Dans la calme affection de camarade qu'elle avait eue pour lui, il l'apitoyait déjà, par la douleur démesurée où elle le voyait. Les gros mots, les coups, elle les aurait excusés, si cet emportement fou lui avait laissé moins de surprise, une surprise dont elle ne revenait pas encore. Elle, passive, docile, qui toute jeune s'était pliée aux désirs d'un vieillard, qui plus tard avait laissé faire son mariage, simplement désireuse d'arranger les choses, n'arrivait pas à comprendre un tel éclat de jalousie, pour des fautes anciennes, dont elle se repentait  et, sans vice, la chair mal éveillée encore, dans sa demi-inconscience de fille douce, chaste malgré tout, elle regardait son mari, aller, venir, tourner furieusement, comme elle aurait regardé un loup, un être d'une autre espèce, Qu'avait-il donc en lui ? Il y en avait tant sans colère ! Ce qui l'épouvantait, c'était de sentir l'animal, soupçonné par elle depuis trois ans, à des grognements sourds, aujourd'hui déchaîné, enragé, prêt à mordre. Que lui dire, pour empêcher un malheur ? A chaque retour, il se retrouvait près du lit, devant elle. Et elle l'attendait au passage, elle osa lui parler. « Mon ami, écoute... « Mais il ne l'entendait pas, il repartait à l'autre bout de la pièce, ainsi qu'une paille battue d'un orage. « Qu'est-ce que je vais faire ? Qu'est-ce que je vais faire ? « Enfin elle lui saisit le poignet, elle le retint une minute. « Mon ami, voyons, puisque c'est moi qui ai refusé d'y aller... Je n'y serais jamais plus allée, jamais ! jamais ! C'est toi que j'aime. « Et elle se faisait caressante, l'attirant, levant ses lèvres pour qu'il les baisât. Mais, tombé près d'elle, il la repoussa, dans un mouvement d'horreur. « Ah ! garce, tu voudrais maintenant... Tout à l'heure, tu n'as pas voulu, tu n'avais pas envie de moi... Et, maintenant, tu voudrais, pour me reprendre, hein ? Lorsqu'on tient un homme par là,

« « Non, non,pasça ! Tout ceque tuvoudras, pourlereste. Bats-moi, tue-moi… Maisnedis pas ça,tumens ! »Roubaud luiavait gardé unemain dansles siennes. « Est-ce quetuen sais quelque chose ?C'estbienparce quetuen doutes toi-même, queçate soulève ainsi.»Et, comme elledégageait samain, ilsentit sabague, lepetit serpent d'oràtête de rubis, oublié àson doigt.

Ill'en arracha, lepila dutalon surlecarreau, dansunnouvel accès de rage.

Puis,ilmarcha d'unbout delapièce àl'autre, muet,éperdu.

Elle,tombée assiseau bord dulit,leregardait deses grands yeuxfixes.

Etleterrible silencedura. La fureur deRoubaud nesecalmait point.Dèsqu'elle semblait sedissiper unpeu, ellerevenait aussitôt, commel'ivresse, pargrandes ondesredoublées, quil'emportaient dansleurvertige.

Il ne sepossédait plus,battait levide, jetéàtoutes lessautes duvent deviolence dontilétait flagellé, retombant àl'unique besoind'apaiser labête hurlante aufond delui.

C'était unbesoin physique, immédiat, commeunefaim devengeance, quiluitordait lecorps etqui nelui laisserait plusaucun repos, tantqu'il nel'aurait passatisfaite. Sans s'arrêter, ilse tapa lestempes deses deux poings, ilbégaya, d'unevoixd'angoisse : « Qu'est-ce quejevais faire ? »Cette femme, puisqu'il nel'avait pastuée toutdesuite, ilne la tuerait pasmaintenant.

Salâcheté delalaisser vivreexaspérait sacolère, carc'était lâche, c'était parcequ'iltenait encore àsa peau degarce, qu'ilnel'avait pasétranglée.

Ilne pouvait pourtant lagarder ainsi.Alors, ilallait donc lachasser, lamettre àla rue, pour nejamais la revoir ? Et un nouveau flotdesouffrance l'emportait, uneexécrable nauséelesubmergeait toutentier, lorsqu'il sentaitqu'ilneferait pasmême ça.Quoi enfin ? Ilne restait qu'àaccepter l'abomination etqu'à remmener cettefemme auHavre, àcontinuer latranquille vieavec elle, comme side rien n'était. Non ! non !lamort plutôt, lamort pourtouslesdeux, àl'instant ! Unetelle détresse lesouleva, qu'il criaplus haut, égaré : « Qu'est-ce quejevais faire ? »Du litoù elle restait assise, Séverine lesuivait toujours deses grands yeux.Danslacalme affection decamarade qu'elleavaiteuepour lui,ill'apitoyait déjà, par ladouleur démesurée oùelle levoyait.

Lesgros mots, lescoups, ellelesaurait excusés, si cet emportement fouluiavait laissé moins desurprise, unesurprise dontellenerevenait pas encore.

Elle,passive, docile,quitoute jeune s'était pliéeauxdésirs d'unvieillard, quiplus tard avait laissé fairesonmariage, simplement désireused'arranger leschoses, n'arrivait pasà comprendre untel éclat dejalousie, pourdesfautes anciennes, dontelleserepentait  et,sans vice, lachair maléveillée encore,danssademi-inconscience defille douce, chastemalgré tout, elle regardait sonmari, aller,venir, tourner furieusement, commeelleaurait regardé unloup, un être d'une autreespèce, Qu'avait-il doncenlui ? Ilyen avait tantsans colère ! Cequi l'épouvantait, c'étaitdesentir l'animal, soupçonné parelle depuis troisans,àdes grognements sourds, aujourd'hui déchaîné,enragé,prêtàmordre.

Queluidire, pour empêcher unmalheur ? A chaque retour,ilse retrouvait prèsdulit,devant elle. Et elle l'attendait aupassage, elleosaluiparler. « Mon ami,écoute… »Mais ilne l'entendait pas,ilrepartait àl'autre boutdelapièce, ainsi qu'une paillebattue d'unorage. « Qu'est-ce quejevais faire ? Qu'est-ce quejevais faire ? »Enfin elleluisaisit lepoignet, ellele retint uneminute. « Mon ami,voyons, puisque c'estmoiquiairefusé d'yaller… Jen'y serais jamais plusallée, jamais ! jamais ! C'esttoique j'aime.

»Et elle sefaisait caressante, l'attirant,levantseslèvres pour qu'illesbaisât.

Mais,tombé prèsd'elle, illa repoussa, dansunmouvement d'horreur. « Ah ! garce, tuvoudrais maintenant… Toutàl'heure, tun'as pasvoulu, tun'avais pasenvie de moi… Et,maintenant, tuvoudrais, pourmereprendre, hein ?Lorsqu'on tientunhomme parlà,. »

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