S'ENGAGER A 18 ANS
Publié le 12/08/2011
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PHILIPPE - Alors, c'est vrai? SENAC - Ah, ah... PHILIPPE - C'est vrai? SENAC - C'était presque sûr. Maintenant c'est sûr tout à fait. PHILIPPE - Eh bien! tu sais, c'est tout vu, tout réfléchi. Il y a des jours que cela me tracasse. C'est décidé : je pars avec toi. SENAC - Je le savais bien. PHILIPPE - Mon vieux, mon vieux... C'est-à-dire que c'en est épouvantable tellement on va s'amuser, que c'en est à se demander si ce qu'on fait, ce n'est pas mal. Et puis, tu vas voir si je vais me battre! J'en tuerai plus que toi, tu sais. SENAC - Attends un peu. PHILIPPE - Tu seras blessé, je te soignerai... ou bien non, c'est moi qui serai blessé... Ma foi, je ne sais pas ce qui est le mieux. SENAC - On essaiera d'arranger ça à tour de rôle. PHILIPPE - Sens-tu que nous allons mener une vie admirable, libre, large, héroïque, une vie comme il n'est plus donné d'en vivre dans notre bêtasse d'époque? Nous serons sales!... Nous aurons de la barbe!... Nous serons Achille et Patrocle 1, Marchand et Baratier Ah, tiens, je ne sais pas ce que j'ai. J'ai envie de pousser des cris, de me rouler par terre. Est-ce que c'est très bête? Tu ne te roules pas par terre, toi? SENAC - Mais si, tu vois bien. PHILIPPE - J'entends de la musique partout... SENAC - C'est Le Chant du Départ. PHILIPPE - Horreur, horreur, c'est Tannhauser! Oui, je suis idiot, mais tu sais, au fond, je t'aime beaucoup. Ce n'est pas ma faute. Toi et puis ma mère. Ainsi, par exemple, je... Mais non, ce ne sont pas des choses qu'on avoue. SENAC - Vas-y. PHILIPPE, sans lever les yeux - Jamais, jamais une seule seconde je ne t'ai voulu du mal. SENAC - Décidément, tu es dangereux. PHILIPPE - Tu sais combien il est méritoire de sympathiser avec la joie d'un ami. Eh bien, toi, je voudrais que tu sois heureux, toujours - c'est-à-dire que je te laisserais les grandes douleurs, et que, pour t'épargner une petite contrariété, je ferais passer ton intérêt avant le mien. (Pause.) Que veux-tu, j'en suis resté à quand nous étions chez les bons messieurs prêtres... SENAC - Le temps où tu allais voir en cachette mes places de composition, pour venir me les dire le premier... PHILIPPE - Où je voulais toujours qu'on t'attaque pour pouvoir te défendre... SENAC - Où tu aimais mieux ne pas jouer plutôt que de ne pas être dans mon équipe... Nous voici de la même équipe, cette fois! PHILIPPE - Je n'ai plus treize ans. SENAC - Oh si, alors! PHILIPPE - Avec toi, peut-être. SENAC - Et avec les autres? PHILIPPE - Dix-huit. Quelquefois davantage. SENAC - Quand ça? PHILIPPE - Quand je suis embêté. SENAC - Oui, et alors tu rages, tu fais ta rosse. Je te connais. Il n'y a rien de pire que les tendres. PHILIPPE - Hélas, je suis un tendre. Souvent on ne s'en douterait pas. SENAC - il suffit de t'entendre te ficher de tout... C'est un peu cliché ce que je dis là, mais c'est vrai. PHILIPPE - Les clichés sont toujours vrais. SENAC - Dire qu'il faut être paradoxal pour avoir du bon sens! PHILIPPE - Et dire qu'en ce moment même, nous voici qui recommençons à ergoter! SENAC - Encore le collège. PHILIPPE - Collège, collège, tout est collège! Ce que nous savons le mieux, c'est notre commencement. SENAC - Et nos discussions par écrit, en classe de philo, sur des petits papiers que nous nous faisions passer! L'instinct, la passion, la vie affective, c'étaient nos grands sujets... avec toujours des exemples personnels! PHILIPPE - Ce sont encore nos grands sujets. Seulement nous avons moins d'exemples personnels. (Changeant de tan.) C'est égal, on va s'en payer! Si tu es tué... SENAC - Au moins je prendrai garde que ce soit à côté de toi. Comme ça je pourrai te dire des choses définitives. PHILIPPE - Tu me diras : « Mes hommes sont saufs, je meurs content. « SENAC - Tu blagues : avec ça que tu ne le dirais pas. PHILIPPE - Mais j'en suis persuadé, que je le dirais! Tu sais, je crois que je m'en vais faire un soldat tout à fait épatant. D'abord j'y mettrai d'autant plus mon point d'honneur que j'ai plus donné l'impression d'un raffiné, à seule fin d'être une perplexité pour la famille. J'aurai mon insouciance naturelle, la prudence que je déployais aux barres, ma passion de la camaraderie, cette discipline perinde ac cadaver que je trouve une volupté. Quant au courage, si seulement tu me regardes, ah, je crèverais de peur que je marcherais encore comme un lion! J'outrerai mon esprit militaire, rien que pour agacer ces morveux dont aucun ne l'a; j'accepterai toutes les incommodités pour le plaisir de la sensation imprévue; je serai très affable parce que je suis très chic, très religieux par fierté de faire rire de moi, très rustre par repos de mes débauches cérébrales... Ah, tout cela, ça ne devrait pas être permis que ce soit si merveilleux, ça enlève tout le mérite! Songe donc, ça va être du collège en grand, et c'est juste ce qui nous manquait, car tant qu'on ne se voit pas tous les jours, on ne peut pas dire que ce soit tout à fait ça... Nous avons une occasion unique, que jamais nous ne retrouverons. SENAC - Il y a longtemps que je l'avais pensé.
H. de MONTHERLANT. L'Exil, 1914, Acte I, Scène 3. Ed. La Table Ronde, 1929.
1. Héros légendaires de la guerre de Troie; leur amitié est célèbre. 2. Baratier, officier de la mission commandée par Marchand, collabore avec son chef et ami auquel il ouvre la route pour passer du bassin du Congo à celui du Nil et qui aboutit à Fachoda (1898).
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- Dans Les Mouches, pièce de Jean-Paul Sartre, l'un des personnages expose ce qu'est pour lui la culture (il s'agit du pédagogue qui s'adresse à son élève, Oreste, un jeune homme de dix-huit ans) : « Que faites-vous de la culture, monsieur?... Ne vous ai-je pas fait, de bonne heure, lire tous les livres, pour vous familiariser avec la diversité des opinions humaines et parcourir cent États, en vous remontrant en chaque circonstance comme c'est chose variable que les mœurs des hommes? A
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