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si vous avez bien suivi cette discussion et réfléchi sur le système militaire de ces deux peuples, vous verrez qu'ils ont beaucoup à faire pour arriver à la perfection des Anciens.

Publié le 01/10/2013

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si vous avez bien suivi cette discussion et réfléchi sur le système militaire de ces deux peuples, vous verrez qu'ils ont beaucoup à faire pour arriver à la perfection des Anciens. Les Suisses sont devenus naturellement de bons soldats, par la raison que je vous en ai donnée au commencement de cet entretien. Quant aux Espagnols, ils ont été formés par la nécessité : faisant la guerre dans un pays étranger, et forcés de vaincre ou mourir, sachant n'avoir aucune retraite possible, ils ont dû déployer toute leur virtù. Mais la supériorité de ces deux peuples est bien loin de la perfection, puisqu'ils ne sont vraiment recommandables que pour s'être accoutumés à attendre l'ennemi à la pointe de la pique ou de l'épée. Et il n'y a personne qui ait le moyen de leur apprendre ce qui leur manque, et encore moins celui qui ignore leur langue. Mais revenons à nos Italiens qui, gouvernés par des princes ignares, n'ont su adopter aucune bonne institution militaire, et n'ayant point été, comme les Espagnols, pressés par la nécessité, n'ont pu se former eux-mêmes, et sont ainsi restés la risée des nations. Au reste, ce ne sont pas les peuples d'Italie qu'il faut ici accuser, mais seulement leurs souverains, qui d'ailleurs en ont été sévèrement châtiés, et ont porté la juste peine de leur ignorance en perdant ignominieusement leurs Etats, sans avoir donné la plus faible marque de virtù. Voulez-vous vous assurer de la vérité de tout ce que j'avance ? Repassez dans votre esprit toutes les guerres qui ont eu lieu en Italie, depuis l'invasion de Charles VIII jusqu'à nos jours. La guerre ordinairement rend les peuples plus braves et plus recommandables ; mais chez nous, plus elle a été active et sanglante, plus elle a fait mépriser nos troupes et nos capitaines. Quelle est la cause de ces désastres ? C'est que nos institutions militaires étaient et sont encore détestables, et que personne n'a su adopter celles récemment établies chez d'autres peuples. Jamais on ne rendra quelque lustre aux armes italiennes que par les moyens que j'ai proposés, et par la volonté des principaux souverains d'Italie ; car pour établir une pareille discipline, il faut avoir des hommes simples, rudes et soumis aux lois, non pas des débauchés, des vagabonds et des étrangers. Jamais un bon sculpteur n'essaiera de faire une belle statue d'un bloc mal dégrossi, il lui faut un marbre intact. Nos princes d'Italie, avant d'avoir essuyé les coups des guerriers d'Outre-monts, s'imaginaient qu'il leur suffisait de savoir, dans leur cabinet, bien aiguiser une réponse, écrire une belle lettre, étaler dans leurs discours de la subtilité et de l'à-propos, ourdir une perfidie ; couverts d'or et de pierreries, ils voulaient surpasser tous les mortels par le luxe de leur table et de leur lit ; environnés de débauches, au sein d'une honteuse oisiveté, gouvernant leurs sujets avec orgueil et avarice, ils n'accordaient qu'à la faveur les grades de l'armée, dédaignaient tout homme qui aurait osé leur donner un conseil salutaire, et prétendaient que leurs moindres paroles fussent regardées comme des oracles. Ils ne sentaient pas, les malheureux, qu'ils ne faisaient que se préparer à devenir la proie du premier assaillant ! De là vinrent, en 1494, les terreurs subites, les fuites précipitées, et les miraculeuses défaites. C'est ainsi que les trois plus puissants États d'Italie ont été plusieurs fois saccagés et livrés au pillage. Mais ce qu'il y a de plus déplorable, c'est que nos princes actuels vivent dans les mêmes désordres et persistent dans les mêmes erreurs. Ils ne songent pas que, chez les Anciens, tout prince jaloux de maintenir son autorité pratiquait avec soin toutes les règles que je viens de prescrire, et se montrait constamment appliqué à endurcir son corps contre les fatigues et fortifier son âme contre les dangers. Alexandre, César, et tous les grands hommes de ces tempslà, combattaient toujours aux premiers rangs, marchaient à pied, chargés de leurs armes, et n'abandonnaient leur empire qu'avec la vie, voulant également vivre et mourir avec honneur. On pouvait peut-être reprendre en quelques-uns d'entre eux une trop grande ardeur de dominer, mais jamais on ne leur reprocha nulle mollesse, ni rien de ce qui énerve et dégrade l'humanité. Si nos princes pouvaient s'instruire et se pénétrer de pareils exemples, ils prendraient sans aucun doute une autre manière de vivre, et changeraient certainement ainsi la fortune de leurs Etats. Vous vous êtes plaint de votre milice au commencement de cet entretien ; si elle a été organisée d'après les règles que j'ai prescrites, et que vous n'ayez point eu lieu d'en être satisfait, vous avez raison de vous en plaindre ; mais si on a suivi à cet égard un système tout différent de ce que j'ai proposé, c'est votre milice même qui a droit de se plaindre de vous, qui n'avez fait qu'une ébauche manquée au lieu d'une figure parfaite. Les Vénitiens et le duc de Ferrare ont commencé cette réforme, et ne l'ont pas poursuivie, mais il ne faut en accuser qu'eux seuls et non pas leur armée. Au reste, je soutiens que celui de nos souverains qui, le premier, adoptera le système que je propose fera incontestablement la loi à l'Italie. Il en sera de sa puissance comme decelle des Macédoniens sous Philippe. Ce prince avait , appris d'Epaminondas à former et discipliner une armée ; tandis que le reste de la Grèce languissait dans l'oisiveté, occupée uniquement à entendre réciter des comédies, il devint si puissant, grâce à ses institutions militaires, qu'il fut en état d'asservir la Grèce tout entière, et de laisser à son fils les moyens de conquérir le monde. Quiconque dédaigne de semblables institutions se désintéresse de son autorité, s'il est monarque ; de sa patrie, s'il est citoyen. Quant à moi, je me plains du destin qui aurait dû, ou me refuser la connaissance de ces importantes maximes, ou me donner les moyens de les mettre en pratique : car à présent que me voilà arrivé à la vieillesse, puis-je espérer avoir jamais l'occasion d'exécuter cette grande entreprise ? J'ai donc voulu vous communiquer toutes mes méditations, à vous qui êtes jeunes et d'un rang élevé, et qui, si elles vous paraissent de quelque utilité, pourrez un jour, en des temps plus heureux, profiter de la faveur de vos souverains pour leur conseiller cette indispensable réforme et en aider l'exécution. Que les difficultés ne vous inspirent ni crainte ni découragement ; notre patrie semble destinée à faire revivre l'Antiquité, comme l'ont prouvé nos poètes, nos sculpteurs et nos peintres. Je ne puis concevoir pour moi de

« rudes et soumis aux lois, non pas des débauchés, des vagabonds et des étrangers.

Jamais un bon sculpteur n'essaiera de faire une belle statue d'un bloc mal dégrossi, il lui faut un marbre intact.

Nos princes d'Italie, avant d'avoir essuyé les coups des guer- riers d'Outre-monts, s'imaginaient qu'il leur suffisait de savoir, dans leur cabinet, bien aiguiser une réponse, écrire une belle lettre, étaler dans leurs discours de la subtilité et de l'à-propos, ourdir une perfidie ; couverts d'or et de pierreries, ils voulaient surpasser tous les mortels par le luxe de leur table et de leur lit ; environnés de débauches, au sein d'une honteuse oisiveté, gouvernant leurs sujets avec orgueil et avarice, ils n'accordaient qu'à la faveur les grades de l'armée, dédaignaient tout homme qui aurait osé leur donner un conseil salutaire, et prétendaient que leurs moindres paroles fussent regardées comme des oracles.

Ils ne sentaient pas, les malheureux, qu'ils ne faisaient que se préparer à devenir la proie du premier assaillant ! De là vinrent, en 1494, les terreurs subites, les fuites précipitées, et les miracu- leuses défaites.

C'est ainsi que les trois plus puissants États d'Italie ont été plusieurs fois saccagés et livrés au pillage.

Mais ce qu'il y a de plus déplorable, c'est que nos princes actuels vivent dans les mêmes désordres et persistent dans les mêmes erreurs.

Ils ne songent pas que, chez les Anciens, tout prince jaloux de mainte- nir son autorité pratiquait avec soin toutes les règles que je viens de prescrire, et se montrait constamment appliqué à endurcir son corps contre les fatigues et fortifier son âme contre les dan- gers.

Alexandre, César, et tous les grands hommes de ces temps- là, combattaient toujours aux premiers rangs, marchaient à pied, chargés de leurs armes, et n'abandonnaient leur empire qu'avec la vie, voulant également vivre et mourir avec honneur.

On pouvait peut-être reprendre en quelques-uns d'entre eux une trop grande ardeur de dominer, mais jamais on ne leur reprocha nulle mollesse, ni rien de ce qui énerve et dégrade l'humanité.

Si nos princes pouvaient s'instruire et se pénétrer de pareils exemples, ils prendraient sans aucun doute une autre. »

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