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Sport et société

Publié le 24/04/2011

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Le monde du sport est celui qui organise l'expression systématique de l'agressivité. C'est aussi celui du libre engagement et du jeu, où le plaisir est plus qu'une finalité puisqu'il lui est intrinsèque : on ne joue pas dans l'ennui, on ne peut contraindre quelqu'un à jouer — pas plus qu'à prier. En sport, comme dans tout jeu, la règle est admise de tous, sans refus, et même le tricheur opère dans la perspective de la règle qu'il transgresse sans aucunement la nier : sans cela quel plaisir de tricher? Le monde de la vie est, pour l'immense majorité des hommes et pour la majeure partie de leur existence, celui du travail ou celui du sommeil. Deux ou trois heures sur vingt-quatre, un jour par semaine, ils peuvent consacrer librement les forces qui leur restent, au loisir, au jeu, au sport s'ils en ont le goût. Le travail a certes pour fin le plaisir — manger, boire, se distraire — mais celui-ci lui est rarement intrinsèque ou bien alors le bon sens populaire déclare qu'il ne s'agit plus d'un travail, tant il est vrai que le mot reste marqué par son étymologie, celle d'un supplice romain... Il est également vrai que le sport peut lui aussi s'apparenter au travail. Quand on explore l'univers angoissant où vivent les professionnels du football, on constate que le jeu en a disparu. Au libre engagement sportif, où l'être choisit et se choisit, crée en quelque sorte son essence momentanée, s'oppose le monde de la vie, où l'on ne choisit pas sa condition, ni souvent même son activité.

On compare volontiers la compétition sportive et la compétition sociale. Or la compétition sociale est bien plus proche de la rivalité animale, dont la fin est extérieure à la lutte, que de la compétition sportive, où le résultat est souvent considéré comme d'importance seconde. La compétition sociale est un état de tension permanent et diffus, davantage subi que désiré et qui prend souvent des formes névrotiques (que l'on ne retrouve en sport, précisément, que dans la haute compétition ou le professionnalisme). Quant à la compétition qui oppose les entreprises dans le système libéral, elle ne concerne que les responsables au niveau de la direction. Les tentatives faites en U.R.S.S. (stakhanovisme) ou en Occident (intéressement) se perdent dans l'indifférence des travailleurs. Ce n'est qu'à l'échelle de la petite entreprise, quand la tâche et le rendement son évidents, que l'employé peut se laisser « prendre au jeu «. Et parfois même, on l'a vu dans des coopératives ouvrières, il s'y montre plus impitoyable au faible que le patron paternaliste. Si la tentative stakhanoviste, qui était très proche du défi sportif, a fait long feu, c'est que précisément elle tentait un transfert impossible ou, tout au moins, insoutenable dans le temps. Le sport, comme le jeu, est affaire de plaisir libre, momentané, capricieux et fragile... On assimile souvent la règle sportive à la règle sociale. Celle-ci est imposée, elle est garde-fou contre l'agressivité, barrière entre groupes ou individus. Elle est, au mieux, intériorisée, c'est-à-dire acceptée. La règle sportive ne canalise pas l'agressivité : elle l'organise, elle lui est un indispensable prétexte, le moyen choisi de s'exprimer. Pulsion douteuse, maladive dans la vie sociale, l'agressivité devient en sport vertu majeure. Si je défie un ami dans un sport aussi « pur « — dénué de contact physique — que le tennis, nulle pitié, nulle affection ne m'empêcheront de tenter de le battre, c'est-à-dire de le réduire, de le dominer, en profitant sans vergogne des points faibles que je lui connais, en le trompant, en l'épuisant, bref, en le considérant pendant toute la partie comme un ennemi. Loin d'altérer nos rapports, ma victoire me vaudra sa considération. Bien au contraire, si je l'épargne, je suscite sa colère. Et notre combat sans merci reçoit la bénédiction de l'éducateur, du prêtre et du gendarme. Jean Paulhac, « le Monde «, 27 décembre 1972.

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