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Une anthologie poétique

Publié le 14/12/2011

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Claude Bonnefoy publie au Seuil une anthologie

consacrée à la Poésie Française des origines

à nos jours. Il y a, dans cet ouvrage,

plus de six cents pages. Pouvait-il y en avoir

moins ? Ne pouvait-on pas en mettre plus ?

C'est toujours le même problème. Au fond,

qu'est-ce qu'une anthologie ? Les goûts et

les dégoûts de l'auteur y sont toujours visibles,

même si on s'adresse aux écoliers. Il

faut bien faire un choix et on ne choisit que

ce qu'on aime; faute de quoi, on tombe dans

la vulgarité, le tout-venant et l'incertain. Pourtant

depuis pas mal de temps, on a l'impression

que l'anthologie poétique n'a de signification

que si elle réhabilite les inconnus ou

les oubliés, comme pour réparer les injustices

de l'histoire littéraire. Cela se conçoit et se

justifie : il y a tant d'écrivains que leurs

contemporains ont délaissés, méprisés, méconnus,

parce qu'ils étaient seuls, étra:ngers aux

coteries, parce qu'ils parlaient une langue en

avance sur leur temps, parce que la mode

allait vers d'autres produits ... Les raisons sont

-nombreuses. Mais le succès ne va pas seulement

à la qualité, comme on sait. De là une

entreprise de redécouverte, parfois de défrichement

qui n'est pas sans intérêt. « Sur le

Racine mort, disait Hugo, le Campistron pullule

«.

« une verv.e, un talent, une audace qui vous cou­ pent le souffle.

On ne se lasse pas de lire les Mémoires dont on annonce la réédition dans un format plus accessible, en vingt-cinq volumes (seulement !).

L'histoire de ces Mémoires est curieuse.

C'était un manuscrit d'onze volumes qu'on a pu voir à la Nationale.

Saint-Simon avait soixante-cinq ans quand il en commença la rédaction par be­ soin de régler quelques comptes avec des gens qui l'avaient déçu, parce qu'il les avait admirés ou parce qu'il les jalousait.

Personne n'échap­ pait à sa dent : le roi, trop vieux pour sauver le rovaume de la misère oit il s'embourbe; le da"iiphin, qui a failli mourir d'une indigestion de harengs; le Régent, la Montespan, le duc de Bourgogne, tous les bâtards, autant de gens qu'ii détestait et dont, par déception et esprit de vengeance, il a tracé des portraits .exemplaires.

Cet étonnant chroniqueur, ce merveilleux jour­ naliste du Grand Siècle finissant et des débuts de la Hégence, avait l'œil à tout, le goût du re­ gard, la passion des secrets et des intrigues et, surtout, une perspicacité qui lui faisait décou­ vrir, au-delà des masques et des comédies, la vérité.

Il n'hésitait guère, mauvaise langue qu'il était, à écouter les mauvaises langues, quitte à I.eur faire confiance et à répéter, comme vérité, tous les mensonges qui couraient les couloirs du palais ou les salons; mais ces mensonges allaient dans le sens de son esprit, servaient sa démonstration et s.ervaient sa hargne.

Il voulait avoir raison et donner des preuves, aux autres sans doute, mais d'abord à lui-même, qu'il y avait contre lui toute une cabale qu'il fallait dénoncer.

Il peign.it une galerie de per­ sonnages qui mélangent la perversité à la bê­ tise, l'imbécillité au vice.

On ne peut pas êtrle en meilleure compagnie.

Le vitriol qu'il ajou­ tait à sa peinture est l'expression de son amer­ tume.

Dix années durant, il travailla à son œuvre comme il aurait fait un devoir.

Il fallait que ses descendants eussent connaissance d'une vé­ rité qu'il était seul à détenir.

Il déposait une bombe dans son coffre.

Louis XV en eut bruit .et fit mettre la bombe en lieu sûr, aux Affaires étrangères, avec tous les papiers, les lettres et autres documents laissés par le duc.

La Révolu­ tion vint, puis la Restauration.

Un descendant de Saint-Simon alla voir Louis XVIII pour ré­ clamer les écrits de son aïeul.

Le roi les lui fit rendre; il y avait beau temps que les victi­ mes du mémorialiste avaient disparu, et tant de choses s'étaient passées depuis lors ...

Qui aujourd'hui lirait Saint-Simon, s'il n'é­ tait cet écrivain surprenant qu'il fut ? Les méchants mémorialistes ont pullulé en son temps, et personne ne s'intéresse à eux, sinon les historiens.

Mais Saint-Simon, c'est d'abord une façon d'écrire autant qu'une façon d'être.

Cet observateur du monde a trouvé dans la lan­ gue l'exacte correspondance de son regard.

Il voyait avec des yeux brûlants, sûr qu'il était d'être le témoin d'un événement unique; il a traduit cela en termes qui sont brûlants aussi.

L'.exposition de la Bibliothèque nationale a montré, face au témoin, ses victimes, face à i'écrivain son spectacle.

Etrange théâtre.

Le spectacle est envoûtant.

Un best-seller de la littérature française Qui l'aurait cru ? Un des livres les plus lus de la littérature française est Le tour de la France par deux enfants, ouvrage paru en 1876 et régulièrement réédité depuis lors par la li­ brairie Eugène Belin.

En 1877, le tirage attei­ gnait 55 000 exemplaires, ce .qui était considé­ rable; en 1878, on en vendait 136 000 exem­ plaires.

Vers 1910, la vente annuelle se situait autour du demi-million d'exemplaires.

Chiffre fabuleux ! Huit millions d'exemplaires ont été vendus en cent ans.

Les réimpressions, pour être plus modestes, n'en sont pas moins consi­ dérables.

La guerre de 1870 a jeté deux pauvres en­ fants de l'Est sur les routes, à la dérive.

Ils font leur tour de France comme les Compa­ gnons, avec un baluchon sur l'épaule, décou­ vrant, au hasard des chemins et des étapes l'histoire, la géographie, l'industrie, l'agricul­ ture, les populations et la civilisation d'un pays pour lequel ils ont choisi de vivre, en reniant la victoire prussienne.

André et Julien, les deux héros de cette belle histoire morale, vont de cité en cité, en récitant avec ardeur leurs résumés de l'école primaire, grâce à quoi le lecteur découvre Le Creusot ct ses forges, Lyon et ses ateliers de soie, Marseille et son port, Bordeaux ct ses vignobles.

Personne ne manque à l'appel, ni les bergers sur échasses des Landes, ni les pêcheurs de la Bretagne, ni les marchands parisiens.

Le livre, dû à une femme qui signait du pseudonyme de G.

Bru­ no, avait des relents cléricaux, au goût des gens de 1900.

On l'expurgea.

Tout ce qui avait trait à la religion, aux mœurs religieuses, aux traditions chrétiennes d'un pays, comme la France, encore marqué par des siècles de civi­ lisation rurale oit les fêtes de la terre ètai.ent celles de la foi, fut gommé et remplacé par des références laïques.

On ne lit plus le texte original de cet étonnant chef-d'œuvre fait de naïveté et de bons sentiments.

C'était le livre de lecture de toutes les clas­ ses primaires du début du siècle.

Tous ceux qui ont aujourd'hui près de quatre-vingts ans y ont appris à lire, les uns dans la version pri­ mitive, celle des « curés », avec des foules de références religieuses, les autres dans la version laïque, oit Notre-Dame de La Garde avait disparu des hauteurs de Marseille, la basilique de Fourvière de celles de Lyon.

Un texte ess.entiel qui a formé des générations de jeunes Français et qu'il faut relire de temps en temps, dans la version qu'on voudra, si on veut avoir une idée exacte de la France à la veille de la guerre de 1914, et au-delà.

Ce n'est pas dans Hugo ou Corneille que !.es généra­ tions du début du siècle ont appris le monde, mais dans ce livre naïf dont les images, même dans les éditions édulcorées, gardent le charme d'un passé proche et lointain à la fois.. »

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