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UNE BELLE DÉFENSE D'IPHIGÉNIE

Publié le 09/04/2011

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   « Mme Montague (1) s'efforce d'être touchée des beautés d'Euripide, pour tâcher d'être insensible aux perfections de Racine. Je la plaindrais beaucoup si elle avait le malheur de ne pas pleurer au rôle inimitable de la Phèdre française et de ne pas être hors d'elle-même à toute la tragédie d'Iphigénie. Elle paraît estimer beaucoup Brumoy, parce que Brumoy en qualité de traducteur d'Euripide, semble donner au poète grec la préférence sur le poète français. Mais si elle savait que Brumoy traduit le grec très infidèlement; si elle savait que « vous y serez ma fille «, n'est pas dans Euripide; si elle savait que Clytemnestre embrasse les genoux d'Achille dans la pièce grecque, comme dans la française (quoique Brumoy ose supposer le contraire); enfin si son oreille était accoutumée à cette mélodie enchanteresse, qu'on ne trouve, parmi tous les tragiques de l'Europe, que chez Racine seul, alors Mme Montague changerait de sentiment.    « L'Achille de Racine, dit-elle, ressemble à un jeune amant qui a du courage; et pourtant Ylphigénie est une des meilleures tragédies françaises. « Je lui dirais : Et pourtant, Madame, elle est un chef-d'œuvre qui honorera éternellement ce beau siècle de Louis XIV, ce siècle, notre gloire, notre modèle et notre désespoir. Si nous avons été indignés contre Mme de Sévigné, qui écrivait si bien et qui jugeait si mal; si nous sommes révoltés de cet esprit misérable de parti, de cette aveugle prévention qui lui fait dire que « la mode d'aimer Racine passera comme la mode du café «, jugez, madame, combien nous devons être affligés qu'une personne aussi instruite que vous ne rende pas justice à l'extrême mérite d'un si grand homme. Je vous le dis, les yeux encore mouillés des larmes d'admiration et d'attendrissement que la centième lecture d'Iphigénie vient de m'arracher... «    Voltaire : Nouvelle lettre à l'Académie française pour la dédicace d'Irène, 1778.    1. Auteur d'une Apologie de Shakespeare en réponse aux critiques que Voltaire adressait à Shakespeare dans sa lettre à l'Académie française, lue dans la séance du 25 août 1776.

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