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Urbanisme et spéculation à Paris

Publié le 14/04/2013

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Au XIXe siècle, parallèlement à la révolution industrielle, la société française est en pleine mutation et l'urbanisation va bon train : afflux de ruraux pour travailler dans l'industrie, émergence de « classes moyennes « tels les employés ou les ouvriers spécialisés, etc. Dans le même temps, Napoléon III confie au baron Haussmann la charge de rénover Paris, pour rendre la ville plus fonctionnelle et en augmenter le prestige. Beaucoup de logements — jugés insalubres — sont détruits pour laisser place à de grands immeubles bourgeois qui se dressent sur les nouveaux boulevards. Les moins riches font les frais de ces mutations et de la spéculation à outrance qui en découle ; ils doivent alors se reloger dans les faubourgs et la banlieue.

Urbanisme et spéculation à Paris, 18 mai 1861

 

L’admiration qu’inspire la merveilleuse transformation de Paris, à laquelle nous assistons depuis plusieurs années, fait place, de jour en jour, à une préoccupation profonde, à une vive inquiétude sur les fâcheuses conséquences d’une situation fatalement anormale, c’est-à-dire sur le malaise général produit par les prix excessifs auxquels les loyers se sont élevés et semblent vouloir s’élever chaque jour davantage. [L’auteur de cette brochure anonyme expose ensuite les évolutions dernières dans la capitale : flux migratoires vers Paris et politique de démolition des immeubles anciens.]

 

 

S’il est incontestable que des quartiers entiers ont disparu presque simultanément sous le marteau des démolisseurs, il est également prouvé avec la dernière évidence que les nouvelles constructions, tant sur l’emplacement des quartiers démolis que sur l’étendue considérable des terrains devenus libres par le reculement des barrières jusqu’aux fortifications, sont de beaucoup supérieures en nombre aux maisons abattues. L’infériorité numérique des nouvelles constructions sur les maisons détruites ne peut donc être considérée comme étant la cause du renchérissement excessif du loyer des petits logements. Ce mal qui pèse si lourdement sur l’immense majorité de la population parisienne prend exclusivement sa source dans la fausse appropriation, dans la destination inintelligente, à notre avis, des nouvelles maisons substituées aux anciennes.

 

 

Parmi les maisons démolies, il s’en trouvait un grand nombre divisées en petits logements, en appartements modestes donnant asile aux ouvriers, aux employés et à une foule de petites industries dont l’ensemble constitue la grande majorité de la population. Or, ces maisons ont été remplacées, même sur les points les plus éloignés et sans exception, par des édifices somptueux, surchargés à l’extérieur de sculptures inutiles, tout resplendissants à l’intérieur de glaces et de dorures fastueuses et n’offrant à tous les étages que de grands appartements splendides d’un prix inabordable, qu’expliquent d’ailleurs les sommes considérables qu’il a fallu dépenser pour les établir.

 

 

Or ces aménagements, ces dispositions sont l’œuvre exclusive de la spéculation dont les écarts sur ce point ont été, dans bien des cas, poussés jusqu’à un aveuglement en opposition avec les propres intérêts des spéculateurs… C’est donc à la spéculation seule qu’il faut attribuer la perturbation, le malaise apporté dans la partie la plus essentielle de l’économie domestique : l’asile de la famille.

 

 

En élevant de toutes parts et aveuglément des palais… la spéculation a fait un très faux calcul… elle a escompté l’avenir au profit du présent. Dans un temps très rapproché, elle apprendra à ses dépens, et ce sera justice, qu’en matière de construction surtout, l’équilibre entre les besoins et les moyens d’y pourvoir, constitue seule la véritable base de toute entreprise intelligente…, que la rareté ou l’abondance des objets de première nécessité en élève ou en abaisse la valeur. Une diminution prochaine, forcée, inévitable dans le prix des loyers des grands appartements, déjà beaucoup trop nombreux… lui démontrera, avant peu, que malgré tous les efforts contraires, elle sera impuissante à échapper aux conséquences ruineuses de cette loi infaillible, inexorable…

 

 

Ceux qui ont eu, et qui ont, surtout en ce moment, le plus à souffrir d’un état de choses vraiment déplorable, ce sont les employés, les petits rentiers, les ouvriers, et cette multitude infinie, en un mot, de familles entières ne vivant que du produit de leur travail et formant dans Paris, malheureusement pour l’état de choses actuel, plus des trois quarts de la population. Subitement expulsés de leurs modestes demeures, ils se sont vus, et se voient obligés, chaque jour, de se réfugier — heureux encore ceux qui en trouvent — dans des réduits situés aux points les plus extrêmes de Paris, et loin de leurs affaires ou de leur travail.

 

 

Source : Urbanisme et spéculation à Paris, brochure anonyme du 18 mai 1861.

 

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