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V Je suis exilé de la maison paternelle Nous n'avions pas fait plus d'un demi-mille, et mon mouchoir de poche était tout trempé, quand le voiturier s'arrêta brusquement.

Publié le 15/12/2013

Extrait du document

V Je suis exilé de la maison paternelle Nous n'avions pas fait plus d'un demi-mille, et mon mouchoir de poche était tout trempé, quand le voiturier s'arrêta brusquement. Je levai les yeux pour voir ce qu'il y avait, et je vis, à mon grand étonnement, Peggotty sortir de derrière une haie et grimper dans la carriole. Elle me prit dans ses bras, et me serra si fort contre son corset que mon pauvre nez en fut presque aplati, ce qui me fit grand mal, mais je n'y pensai seulement pas sur le moment ; ce ne fut qu'après que je m'en aperçus, en le trouvant très sensible. Peggotty ne dit pas un mot. Elle plongea son bras jusqu'au coude dans sa poche, en tira quelques sacs remplis de gâteaux qu'elle fourra dans les miennes avec une bourse qu'elle mit dans ma main, mais tout cela sans dire un mot. Après m'avoir de nouveau serré dans ses deux bras, elle redescendit de la carriole : j'ai toujours été persuadé, comme je le suis encore, qu'en se sauvant, elle n'emporta pas un seul bouton à sa robe. Moi j'en ramassai un, j'avais de quoi choisir, et je l'ai longtemps gardé précieusement comme un souvenir. Le voiturier me regarda comme pour me demander si elle n'allait pas revenir. Je secouai la tête, et lui dis que je ne le croyais pas. « Alors, en marche », dit-il à son indolente bête, qui se mit effectivement en marche. Après avoir pleuré toutes les larmes de mes yeux, je commençai à réfléchir que cela ne servait à rien de pleurer plus longtemps, d'autant plus que ni Roderick Random, ni le capitaine de la marine royale, n'avaient jamais, à ma connaissance, pleuré dans leurs situations les plus critiques. Le voiturier voyant ma résolution, me proposa de faire sécher mon mouchoir sur le dos de son cheval. Je le remerciai et j'y consentis. Mon mouchoir ne faisait pas grande figure, en manière de couverture de cheval. Je passai ensuite à l'examen de la bourse. Elle était en cuir épais, avec un fermoir, et contenait trois shillings bien luisants que Peggotty avait évidemment polis et repolis avec soin pour ma plus grande satisfaction. Mais ce qu'elle contenait de plus précieux, c'étaient deux demi-couronnes enveloppées dans un morceau de papier, sur lequel ma mère avait écrit : « Pour Davy avec toutes mes tendresses. » Cela m'émut tellement, que je demandai au voiturier d'avoir la bonté de me rendre mon mouchoir de poche ; mais il me répondit que selon lui, je ferais mieux de m'en passer, et je trouvai qu'il avait raison ; j'essuyai donc tout bonnement mes yeux sur ma manche et ce fut fini pour de bon. Cependant il me restait encore de mes émotions passées, un profond sanglot de temps à autre. Après avoir ainsi voyagé pendant quelque temps, je demandai au voiturier s'il devait me conduire tout le long du chemin. « Jusqu'où ? demanda le voiturier. - Eh bien ! jusque-là, dis-je. - Où ça, là ? demanda le voiturier. - Près de Londres, dis-je. - Mais ce cheval-là, dit le voiturier en secouant les rênes pour me le montrer, serait plus mort qu'un cochon rôti, avant d'avoir fait la moitié du chemin. - Vous n'allez donc que jusqu'à Yarmouth ? demandai-je. - Justement, dit le voiturier. Et là je vous mettrai dans la diligence, et la diligence vous mènera... où c'que vous allez. » C'était beaucoup parler pour le voiturier (qui s'appelait M. Barkis), homme d'un tempérament flegmatique, comme je l'ai dit dans un chapitre précédent, et point du tout conversatif. Je lui offris un gâteau, comme marque d'attention ; il l'avala d'une bouchée, ainsi qu'aurait pu faire un éléphant, et sa large face ne bougea pas plus que n'aurait pu faire celle d'un éléphant. « Est-ce que c'est elle qui les a faits ? dit M. Barkis, toujours penché, avec son air lourdaud, sur le devant de sa carriole, un bras placé sur chacun de ses genoux. - C'est de Peggotty que vous voulez parler, monsieur ? - Ah ! dit M. Barkis. Elle-même. - Oui, c'est elle qui fait tous les gâteaux chez nous, d'ailleurs elle fait toute la cuisine. - Vraiment ? » dit M. Barkis. Il arrondit ses lèvres comme pour siffler, mais il ne siffla pas. Il se pencha pour contempler les oreilles de son cheval, comme s'il y découvrait quelque chose de nouveau, et resta dans la même position pas mal de temps, enfin il me dit : « Pas d'amourettes, je suppose ? - Des amourettes de veau, voulez-vous dire, monsieur Barkis ? Je vous demande pardon, elle les accommode aussi à merveille, car je croyais qu'il avait envie de prendre quelque chose, et qu'il désirait particulièrement se régaler d'un plat d'amourettes. - Non, des amourettes... d'amour. Il n'y a personne qui aille se promener avec elle ? - Avec Peggotty ? - Ah ! dit-il, elle-même ! - Oh ! non, jamais, jamais elle n'a eu d'amour ni d'amourettes. - Non, vraiment ? » dit M. Barkis. Il arrondit de nouveau ses lèvres comme pour siffler, mais il ne siffla pas plus que la première fois, et se mit à considérer encore les oreilles de son cheval. « Et ainsi, dit M. Barkis, après un long silence, elle fait toutes les tartes aux pommes, et toute la cuisine, n'est-ce pas ? » Je répondis que oui. « Eh bien ! dit M. Barkis, je vais vous dire. Peut-être que vous lui écrirez ? - Je lui écrirai certainement, repris-je. - Ah ! dit-il en tournant lentement les yeux vers moi. Eh bien ! si vous lui écrivez, peut-être vous souviendrez-vous de lui dire que Barkis veut bien, voulez-vous ? - Que Barkis veut bien, répétai-je innocemment. Est-ce là tout ? - Oui, dit-il lentement, oui, Barkis veut bien. - Mais vous serez demain de retour à Blunderstone, monsieur Barkis, lui dis-je (et mon coeur se serrait à la pensée que moi j'en serais bien loin), il vous serait plus facile de faire votre commission vous-même. » Mais il me fit signe de la tête que non, et répéta de nouveau du ton le plus grave : « Barkis veut bien. Voilà tout. » Je promis de transmettre exactement la chose. Et ce jour-là même en attendant à Yarmouth la diligence, je me procurai un encrier et une feuille de papier, et j'écrivis à Peggotty un billet ainsi conçu : « Ma chère Peggotty, je suis arrivé ici à bon port. Barkis veut bien. Mes tendresses à maman. Votre bien affectionné, « Davy. » P. S. Il tient beaucoup à ce que vous sachiez que Barkis veut bien. Lorsque j'eus fait cette promesse, M. Barkis retomba dans un silence absolu ; quant à moi, je me sentais épuisé par tout ce qui m'était arrivé récemment, et me laissant tomber sur une couverture, je m'endormis. Mon sommeil dura jusqu'à Yarmouth, qui me parut si nouveau et si inconnu dans l'hôtel où nous nous arrêtâmes, que j'abandonnai aussitôt le secret espoir que j'avais eu jusqu'alors d'y rencontrer quelque membre de la famille de M. Peggotty, peutêtre même la petite Émilie. La diligence était dans la cour, parfaitement propre et reluisante, mais on n'avait pas encore attelé les chevaux, et dans cet état il me semblait impossible qu'elle allât jamais jusqu'à Londres. Je réfléchissais sur ce fait, et je me demandais ce que deviendrait définitivement ma malle, que M. Barkis avait déposée dans la cour, après avoir fait tourner sa carriole, et ce que je deviendrais moi-même, lorsqu'une dame mit la tête à une fenêtre où étaient suspendus quelques gigots et quelques volailles, et me dit : « Êtes-vous le petit monsieur qui vient de Blunderstone ? - Oui, madame, dis-je. - Votre nom ? demanda la dame. - Copperfield, madame, dis-je. - Ce n'est pas ça, reprit la dame. On n'a pas commandé à dîner pour une personne de ce nom ? - Est-ce Murdstone, madame ? dis-je. - Si vous êtes le jeune Murdstone, dit la dame, pourquoi commencez-vous par me dire un autre nom ? » Je lui expliquai ce qu'il en était, elle sonna et cria : « William, montrez à monsieur la salle à manger » sur quoi un garçon arriva en courant, de la cuisine qui était de l'autre côté de la cour, et parut très surpris de voir que c'était pour moi seul qu'on le dérangeait. C'était une grande chambre, garnie de grandes cartes de géographie. Je crois que, quand les cartes auraient été de vrais pays étrangers, au milieu desquels on m'aurait lancé comme une bombe, je ne me serais pas senti plus dépaysé. Il me semblait que je prenais une étrange liberté d'oser m'asseoir, ma casquette à la main, sur un coin de la chaise la plus rapprochée de la porte, et lorsque je vis le garçon mettre une nappe sur la table, tout exprès pour moi, et y placer une salière, je suis sûr que je devins tout rouge de modestie. Il m'apporta des côtelettes et des légumes, et enleva les couvercles des plats avec tant de brusquerie que j'avais la plus grande peur de l'avoir apparemment offensé. Mais je me sentis rassuré en le voyant mettre une chaise pour moi devant la table, et me dire du ton le plus affable : « Maintenant, mon petit géant, asseyez-vous. » Je le remerciai et je m'établis devant la table ; mais il me semblait extraordinairement difficile de manier un peu adroitement mon couteau ou ma fourchette, ou d'éviter de jeter de la sauce sur moi, tant que le garçon serait là debout en face de moi, ne me quittant pas des yeux, et me faisant rougir jusqu'aux oreilles chaque fois que je le regardais. Lorsqu'il me vit entamer la seconde côtelette : « Voilà, dit-il, une demi-pinte d'ale pour vous. La voulez-vous à présent. - Merci, lui dis-je, je veux bien. » Alors il versa la bière dans un grand verre, et la mit devant la fenêtre pour m'en faire admirer la belle couleur. « Ma foi ! dit-il, il y en a beaucoup, n'est-ce pas ? - Il y en a beaucoup », répondis-je en souriant. Car j'étais charmé de le trouver si aimable. C'était un petit homme, aux yeux brillants, avec un visage rougeaud et des cheveux tout hérissés ; il avait l'air très avenant, le poing sur la hanche, et de l'autre main il tenait en l'air le verre plein d'ale. « Il y avait bien ici un monsieur, dit-il, un gros monsieur qu'on nommait Topsawyer, peut-être le connaissez-vous ? - Non, dis-je, je ne crois pas. - En culotte courte et en guêtres, un chapeau à larges bords, un habit gris, un cache-nez à pois, dit le garçon. - Non, dis-je avec embarras, je n'ai pas ce plaisir. - Il est venu ici hier, dit le garçon en regardant la bière au jour, il a demandé un verre de cette ale, il l'a voulu absolument, je lui ai dit qu'il avait tort, il l'a bue et il est tombé mort. Elle était trop forte pour lui. On ne devrait plus en donner, voilà le fait. » J'étais épouvanté de ce terrible accident, et je lui dis que je ferais peut-être mieux de ne boire qu'un verre d'eau. « C'est que, voyez-vous, dit le garçon tout en regardant toujours la bière à la fenêtre, et en clignant de l'oeil, on n'aime pas beaucoup ici qu'on laisse ce qu'on a commandé. Ça blesse mes maîtres. Mais moi, je peux la boire si vous voulez. J'y suis habitué, et l'habitude fait tout. Je ne crois pas que cela me fasse mal, pourvu que je renverse ma tête en arrière, et que j'avale lestement. Voulez-vous ? »

« carriole, unbras placé surchacun deses genoux. – C’est dePeggotty quevous voulez parler, monsieur ? – Ah ! ditM. Barkis.

Elle-même. – Oui, c’estellequifait tous lesgâteaux cheznous, d’ailleurs ellefaittoute lacuisine. – Vraiment ? » ditM. Barkis. Il arrondit seslèvres comme poursiffler, maisilne siffla pas.Ilse pencha pourcontempler lesoreilles deson cheval, comme s’ilydécouvrait quelquechosedenouveau, etresta danslamême position pasmal detemps, enfinil me dit : « Pas d’amourettes, jesuppose ? – Des amourettes deveau, voulez-vous dire,monsieur Barkis ?Jevous demande pardon,ellelesaccommode aussi à merveille, carjecroyais qu’ilavait envie deprendre quelque chose,etqu’il désirait particulièrement serégaler d’un plat d’amourettes. – Non, desamourettes...

d’amour.Iln’y apersonne quiaille sepromener avecelle ? – Avec Peggotty ? – Ah ! dit-il,elle-même ! – Oh ! non,jamais, jamaisellen’aeud’amour nid’amourettes. – Non, vraiment ? » ditM. Barkis. Il arrondit denouveau seslèvres comme poursiffler, maisilne siffla pasplus quelapremière fois,etse mit à considérer encorelesoreilles deson cheval. « Et ainsi, ditM. Barkis, aprèsunlong silence, ellefaittoutes lestartes auxpommes, ettoute lacuisine, n’est-ce pas ? » Jerépondis queoui. « Eh bien ! ditM. Barkis, jevais vous dire.Peut-être quevous luiécrirez ? – Je luiécrirai certainement, repris-je. – Ah ! dit-ilentournant lentement lesyeux versmoi.

Ehbien ! sivous luiécrivez, peut-être voussouviendrez-vous de luidire queBarkis veutbien, voulez-vous ? – Que Barkis veutbien, répétai-je innocemment.

Est-celàtout ? – Oui, dit-illentement, oui,Barkis veutbien. – Mais vousserez demain deretour àBlunderstone, monsieurBarkis,luidis-je (etmon cœur seserrait àla pensée que moi j’enserais bienloin), ilvous serait plusfacile defaire votre commission vous-même. » Mais ilme fitsigne delatête quenon, etrépéta denouveau duton leplus grave : « Barkis veutbien.

Voilà tout. » Je promis detransmettre exactementlachose.

Etce jour-là mêmeenattendant àYarmouth ladiligence, jeme procurai un encrier etune feuille depapier, etj’écrivis àPeggotty unbillet ainsiconçu : « Ma chère Peggotty, jesuis arrivé iciàbon port.

Barkis veutbien.

Mestendresses àmaman.

Votrebien affectionné, « Davy. » P.

S.Iltient beaucoup àce que vous sachiez que Barkis veutbien . Lorsque j’eusfaitcette promesse, M. Barkisretombadansunsilence absolu ; quantàmoi, jeme sentais épuisépar tout cequi m’était arrivérécemment, etme laissant tombersurune couverture, jem’endormis.

Monsommeil dura jusqu’à Yarmouth, quime parut sinouveau etsiinconnu dansl’hôtel oùnous nousarrêtâmes, quej’abandonnai aussitôt lesecret espoir quej’avais eujusqu’alors d’yrencontrer quelquemembre delafamille deM. Peggotty, peut- être même lapetite Émilie.. »

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