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XXI Je jetai les yeux sur M.

Publié le 15/12/2013

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XXI Je jetai les yeux sur M. Wemmick, tout en marchant à côté de lui, pour voir à quoi il ressemblait en plein jour. Je trouvai que c'était un homme sec, plutôt court que grand, ayant une figure de bois, carrée, dont les traits semblaient avoir été dégrossis au moyen d'un ciseau ébréché, il y avait quelques endroits qui auraient formé des fossettes si l'instrument eût été plus fin et la matière plus délicate, mais qui, de fait, n'étaient que des échancrures : le ciseau avait tenté trois ou quatre de ces embellissements sur son nez, mais il les avait abandonnés sans faire le moindre effort pour les parachever. Je jugeai qu'il devait être célibataire, d'après l'état éraillé de son linge, et il semblait avoir supporté bien des pertes, car il portait au moins quatre anneaux de deuil, sans compter une broche représentant une dame et un saule pleureur devant une tombe surmontée d'une urne. Je remarquai aussi que plusieurs anneaux et un certain nombre de cachets pendaient à sa chaîne de montre, comme s'il eût été surchargé de souvenirs d'amis qui n'étaient plus. Il avait des yeux brillants, petits, perçants et noirs, des lèvres minces et entrouvertes, et avec cela, selon mon estimation, il devait avoir de quarante à cinquante ans. « Ainsi donc vous n'êtes encore jamais venu à Londres ? me dit M. Wemmick. - Non, dis-je. - J'ai moi-même été autrefois aussi neuf que vous ici, dit M. Wemmick, c'est une drôle de chose à penser aujourd'hui. - Vous connaissez bien tout Londres, maintenant ? - Mais oui, dit M. Wemmick, je sais comment tout s'y passe. - C'est donc un bien mauvais lieu ? demandai-je plutôt pour dire quelque chose que pour me renseigner. - Vous pouvez être floué, volé et assassiné à Londres ; mais il y a partout des gens qui vous en feraient autant. - Il y a peut-être quelque vieille rancune entre vous et ces gens-là ? dis-je pour adoucir un peu cette dernière phrase. - Oh ! je ne connais pas les vieilles rancunes, repartit M. Wemmick. Il n'y a guère de vieille rancune quand il n'y a rien à y gagner. - C'est encore pire. - Vous croyez cela ? reprit M. Wemmick. - Ma foi, je ne dis pas non. » Il portait son chapeau sur le derrière de la tête et regardait droit devant lui, tout en marchant avec indifférence dans les rues comme s'il n'y avait rien qui pût attirer son attention. Sa bouche était ouverte comme le trou d'une boîte aux lettres, et il avait l'air de sourire machinalement. Nous étions déjà en haut d'Holborn Hill, avant que j'eusse pu me rendre compte qu'il ne souriait pas du tout, et que ce n'était qu'un mouvement mécanique. « Savez-vous où demeure M. Mathieu Pocket ? demandai-je. - Oui, dit-il, à Hammersmith, à l'ouest de Londres. - Est-ce loin ? - Assez... à peu près cinq milles. - Le connaissez-vous ? - Mais vous êtes un véritable juge d'instruction, dit M. Wemmick en me regardant d'un air approbateur, oui, je le connais..., je le connais !... » Il y avait une espèce de demi-dénégation dans la manière dont il prononça ces mots qui m'oppressa, et je jetai un regard de côté sur le bloc de sa tête dans l'espoir d'y trouver quelque signe atténuant un peu le texte quand il m'avertit que nous étions arrivés à l'Hôtel Barnard. Mon oppression ne diminua pas à cette nouvelle, car j'avais supposé que cet établissement était un hôtel tenu par M. Barnard, auprès duquel le Cochon bleu de notre ville n'était qu'un simple cabaret. Cependant, je trouvai que Barnard n'était qu'un esprit sans corps, ou, si vous préférez, une fiction, et son hôtel le plus triste assemblage de constructions mesquines qu'on ait jamais entassées dans un coin humide pour y loger un club de matous. Nous entrâmes dans cet asile par une porte à guichet, et nous tombâmes, par un passage de communication, dans un mélancolique petit jardin carré, qui me fit l'effet d'un cimetière sans sépulture ni tombeaux. Je crus voir qu'il y avait dans ce lieu les plus affreux arbres, les plus affreux pierrots, les plus affreux chats et les plus affreuses maisons, au nombre d'une demi-douzaine à peu près, que j'eusse jamais vus. Je m'aperçus que les fenêtres de cette suite de chambres, qui divisaient ces maisons, avaient à chaque étage des jalousies délabrées, des rideaux déchirés, des pots à fleurs desséchés, des carreaux brisés, des amas de poussière et de misérables haillons, pendant que les écriteaux : À LOUER - À LOUER - À LOUER - À LOUER, se penchaient sur moi en dehors des chambres vides, comme si de nouveaux infortunés ne pouvaient se résoudre à les occuper, et que la vengeance de l'âme de Barnard devait être lentement apaisée par le suicide successif des occupants actuels et par leur enterrement non sanctifié. Un linceul, dégoûtant de suie et de fumée, enveloppait cette création abandonnée de Barnard. Voilà tout ce qui frappait la vue aussi loin qu'elle pouvait s'étendre, tandis que la pourriture sèche et la pourriture humide et toutes les pourritures muettes qui existaient de la cave au grenier, également négligés, la mauvaise odeur des rats et des souris, des punaises et des remises qu'on avait sous la main, s'adressaient à mon sens olfactif et semblaient gémir à mes oreilles : « Voilà la Mixture de Barnard, essayez-en. » Cela réalisait si peu la première de mes grandes espérances, que je jetai un regard de désappointement sur M. Wemmick. « Ah ! dit-il en se méprenant, cette retraite vous rappelle la campagne ; c'est comme à moi. » Il me conduisit par un coin en haut d'un escalier qui me parut s'effondrer lentement sous la poussière dont il était encombré ; de sorte qu'au premier jour les locataires de l'étage supérieur, en sortant de chez eux, pouvaient se trouver dans l'impossibilité de descendre. Sur l'une des portes, on lisait : M. Pocket junior, et écrit à la main, sur la boîte aux lettres : va bientôt rentrer. « Il ne pensait sans doute pas que vous seriez arrivé si matin, dit M. Wemmick. Vous n'avez plus besoin de moi ? - Non, je vous remercie, dis-je. - Comme c'est moi qui tiens la caisse, dit M. Wemmick, il est probable que nous nous verrons assez souvent. Bonjour ! - Bonjour ! » J'avançai la main, et M. Wemmick commença par la regarder, comme s'il croyait que je lui demandais quelque chose, puis il me regarda, et dit en se reprenant : « Oh ! certainement oui... vous avez donc l'habitude de donner des poignées de main ? » J'étais quelque peu confus, en pensant que cela n'était plus de mode à Londres ; mais je répondis que oui. « J'en ai si peu l'habitude maintenant, dit M. Wemmick ; cependant, croyez que je suis bien aise de faire votre connaissance. Bonjour. » Quand nous nous fûmes serré les mains et qu'il fut parti, j'ouvris la fenêtre donnant sur l'escalier, et je manquai d'avoir la tête coupée, car les cordes de la poulie étaient pourries et la fenêtre retomba comme une guillotine 1 . Heureusement cela fut si prompt que je n'avais pas eu le temps de passer ma tête au dehors. Après avoir échappé à cet accident, je me contentai de prendre une idée confuse de l'hôtel à travers la fenêtre incrustée de poussière, regardant tristement dehors, et me disant que décidément Londres était une ville infiniment trop vantée. L'idée que M. Pocket junior se faisait du mot « bientôt », n'était certes pas la mienne, car j'étais devenu presque fou, à force de regarder dehors, et j'avais écrit, avec mon doigt, mon nom plusieurs fois sur la poussière de chacun des carreaux de la fenêtre avant d'entendre le moindre bruit de pas dans l'escalier. Peu à peu cependant, parut devant moi le chapeau, puis la tête, la cravate, le gilet, le pantalon et les bottes d'un gentleman à peu près semblable à moi. Il portait sous chacun de ses bras un sac en papier et un pot de fraises dans une main. Il était tout essoufflé. « Monsieur Pip ? dit-il. - Monsieur Pocket ? dis-je. - Mon cher ! s'écria-t-il, je suis excessivement fâché, mais j'ai appris qu'il arrivait à midi une diligence de votre

« cabaret. Cependant, jetrouvai queBarnard n’étaitqu’unespritsanscorps, ou,sivous préférez, unefiction, etson hôtel le plus triste assemblage deconstructions mesquinesqu’onaitjamais entassées dansuncoin humide pouryloger un club dematous. Nous entrâmes danscetasile parune porte àguichet, etnous tombâmes, parunpassage decommunication, dans un mélancolique petitjardin carré,quime fitl’effet d’uncimetière sanssépulture nitombeaux.

Jecrus voirqu’il yavait dans celieu lesplus affreux arbres,lesplus affreux pierrots, lesplus affreux chatsetles plus affreuses maisons,au nombre d’unedemi-douzaine àpeu près, quej’eusse jamaisvus.Jem’aperçus quelesfenêtres decette suitede chambres, quidivisaient cesmaisons, avaientàchaque étagedesjalousies délabrées, desrideaux déchirés, despots à fleurs desséchés, descarreaux brisés,desamas depoussière etde misérables haillons,pendant quelesécriteaux : À LOUER –À LOUER –À LOUER –À LOUER, sepenchaient surmoi endehors deschambres vides,comme side nouveaux infortunés nepouvaient serésoudre àles occuper, etque lavengeance del’âme deBarnard devaitêtrelentement apaisée parlesuicide successif desoccupants actuelsetpar leur enterrement nonsanctifié.

Unlinceul, dégoûtant de suie etde fumée, enveloppait cettecréation abandonnée deBarnard.

Voilàtoutcequi frappait lavue aussi loinqu’elle pouvait s’étendre, tandisquelapourriture sècheetlapourriture humideettoutes lespourritures muettesqui existaient delacave augrenier, également négligés,lamauvaise odeurdesrats etdes souris, despunaises etdes remises qu’onavaitsouslamain, s’adressaient àmon sensolfactif etsemblaient gémiràmes oreilles : « Voilà laMixture deBarnard, essayez-en. » Cela réalisait sipeu lapremière demes grandes espérances, quejejetai unregard dedésappointement sur M. Wemmick. « Ah ! dit-ilenseméprenant, cetteretraite vousrappelle lacampagne ; c’estcomme àmoi. » Il me conduisit paruncoin enhaut d’unescalier quime parut s’effondrer lentementsouslapoussière dontilétait encombré ; desorte qu’au premier jourleslocataires del’étage supérieur, ensortant dechez eux,pouvaient setrouver dans l’impossibilité dedescendre.

Surl’une desportes, onlisait : M. Pocket junior,etécrit àla main, surlaboîte aux lettres : va bientôt rentrer.« Il nepensait sansdoute pasque vous seriez arrivésimatin, ditM. Wemmick.

Vousn’avez plusbesoin demoi ? – Non, jevous remercie, dis-je. – Comme c’estmoiquitiens lacaisse, ditM. Wemmick, ilest probable quenous nousverrons assezsouvent. Bonjour ! – Bonjour ! » J’avançai lamain, etM. Wemmick commençaparlaregarder, commes’ilcroyait quejelui demandais quelque chose, puisilme regarda, etdit ensereprenant : « Oh ! certainement oui...vousavezdonc l’habitude dedonner despoignées demain ? » J’étais quelque peuconfus, enpensant quecela n’était plusdemode àLondres ; maisjerépondis queoui. « J’en aisipeu l’habitude maintenant, ditM. Wemmick ; cependant,croyezquejesuis bien aisedefaire votre connaissance.

Bonjour. » Quand nousnous fûmes serrélesmains etqu’il futparti, j’ouvris lafenêtre donnant surl’escalier, etjemanquai d’avoir latête coupée, carlescordes delapoulie étaient pourries etlafenêtre retomba commeuneguillotine 1 . Heureusement celafutsiprompt quejen’avais paseuletemps depasser matête audehors.

Aprèsavoiréchappé à cet accident, jeme contentai deprendre uneidée confuse del’hôtel àtravers lafenêtre incrustée depoussière, regardant tristement dehors,etme disant quedécidément Londresétaituneville infiniment tropvantée. L’idée queM. Pocket juniorsefaisait dumot « bientôt », n’étaitcertespaslamienne, carj’étais devenu presque fou, àforce deregarder dehors,etj’avais écrit,avecmon doigt, monnomplusieurs foissurlapoussière dechacun des carreaux delafenêtre avantd’entendre lemoindre bruitdepas dans l’escalier.

Peuàpeu cependant, parutdevant moi le chapeau, puislatête, lacravate, legilet, lepantalon etles bottes d’ungentleman àpeu près semblable àmoi.

Il portait souschacun deses bras unsac enpapier etun pot defraises dansunemain.

Ilétait toutessoufflé. « Monsieur Pip ?dit-il. – Monsieur Pocket ?dis-je. – Mon cher !s’écria-t-il, jesuis excessivement fâché,maisj’aiappris qu’ilarrivait àmidi unediligence devotre. »

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