Devoir de Philosophie

L'art naïf (Exposé – Art & Littérature – Collège/Lycée)

Publié le 15/11/2018

Extrait du document

C'est en effectuant ses tournées qu’il commence à ramasser les pierres, les morceaux de céramique, les tessons avec lesquels il décorera son «palais idéal», sorte de maison de rêve entièrement bâtie de ses mains, à la décoration baroque. Il lui faudra plus de quarante ans pour achever son œuvre, qui devient peu à peu une curiosité locale, puis une gloire nationale. Le facteur Cheval, qui se rapproche autant du monde des petits inventeurs de la fin du XIXe siècle que de celui des artistes naïfs, connaît la gloire populaire dans ses dernières années. Toutefois, ni artistes ni critiques ne s'intéresseront guère à son travail, à l'exception notable des surréalistes, qui visitent à plusieurs reprises le «palais idéal» dans les années 1920 et 1930.

L'IGNORANCE DELIBEREE DE TOUT ENSEIGNEMENT

La peinture moderne s'est développée contre ce que l’on nomme l'académisme : l'art tel qu'on l’enseignait au XIXe siècle dans les écoles, entre perfection technique et conventions esthétiques. Les Manet, Courbet, leurs successeurs impressionnistes et nabis, les fauves se définissent par opposition à cette peinture académique, assimilée au monde bourgeois, à sa morale étriquée et à son goût réactionnaire. Dans les années 1880, les jeunes artistes modernes découvrent un art surprenant, dont l'audace involontaire leur ouvre des perspectives considérables. On

nommera «art naïf» cette peinture pratiquée en autodidacte par des peintres du dimanche, sans formation, et qui, à l’instar du plus célèbre d'entre eux, le douanier Rousseau, n'ont que faire de l'académie, des querelles d'école et de l'esprit du temps. Cette séduisante liberté a bien sûr ses limites, mais la peinture naïve trouve sa force dans l’ignorance délibérée de tout enseignement, qui est promesse de personnalité, de style et de trouvailles surprenantes : tout ce qui fait le cœur d'une modernité acharnée à «trouver du nouveau », pour reprendre le mot de Baudelaire.

PRÉMICES D'UNE DÉCOUVERTE

Les peintres du dimanche ne datent pas d'hier. Les contemporains de Voltaire savent où trouver des artistes amateurs, qui offrent leurs toiles pour une bouchée de pain : sur le Pont-Neuf. Certains, plus modestes, se contentent de peindre les enseignes des estaminets et des boutiques de mode. Les sujets sont variés, mais les dames se consacrent plutôt aux fleurs, les messieurs se hasardent au paysage. Les uns et les autres, toutefois, n'auraient pas l'audace de considérer leurs travaux comme de véritables œuvres d'art : les artistes, les vrais, sont de l'Académie royale. Une stricte hiérarchie régit les artistes, et jusqu'aux genres qu’ils pratiquent. Chardin, peintre de nature morte, n'oserait pas se comparer à Pierre, premier peintre du roi, spécialisé dans les grands formats de la peinture d'histoire. Autant dire que ceux qui barbouillent en amateur n'auraient jamais l'idée de se considérer comme des artistes. L’histoire de l’art naïf est en fait l'histoire d'une reconnaissance. Une première étape est franchie quand, vers 1850, un groupe d’artistes anglais commence à affirmer que toute l'histoire de la peinture, depuis Raphaël, est une fausse route (ci-dessous, The Soul of the Rose, de John William Waterhouse). Ces «préraphaélites», comme ils se nomment, tentent de retrouver les secrets des primitifs italiens du Trecento (XIVe siècle), comme Giotto (1266-1337) : des maîtres admirables, aux techniques rudimentaires, qui ne maîtrisent pas la perspective, par exemple, et dont le regard n'a pas été perverti par les habitudes esthétiques de l'académisme.

 

Les conquêtes esthétiques de la peinture moderne, dans la France des années 1850-1880, se font, elles aussi, contre l'académisme, contre son obsession du «bien peint» qui finit par tuer toute émotion. Courbet et Manet se révoltent contre l'«école» et imposent des maladresses délibérées. Ils sont bientôt suivis par les impressionnistes, Monet et Renoir en tête, qui font de l'inachèvement un principe de qualité. Dans le fracas des polémiques, les critères esthétiques commencent à évoluer : les critiques les plus perspicaces, tel l'écrivain Émile Zola, devinent que certaines maladresses peuvent réserver des émotions esthétiques plus fortes que la technique la plus éprouvée.

« De nouveaux artistes apparaissent, de la même génération, comme Dominique-Paul Peyronnet, ou plus jeunes, tels Jules Lefranc, René Rimbert et Jean Ève.

Cette insistance sur le réalisme, sur le côté populaire, cette promotion au rang de cc maîtres» portent la trace d'une époque marquée par le communisme et par certains mouvements littéraires comme le populisme de Barbusse.

L'heure est au Front populaire : la culture et l'art populaires acquièrent droit de cité; pour certains critiques et intellectuels, les artistes issus du peuple verraient plus juste que les autres.

Ils posséderaient en somme une légitimité indiscutable, bien supérieure à celle d'un milieu de l'art compromis avec le capitalisme.

C'est sur la même base que se développera après-guerre un mouvement international de l'art naïf, notamment en Europe centrale et en Yougoslavie.

Il faut notamment citer l'cc école de Hlebine », qui rassemble des cc peintres-paysans>> croates : Marko Virius, Franjo Mraz et Ivan Generali{.

puisant leur inspiration aux sources de la tradition nationale.

La promotion du folklore par les régimes communistes n'est bien sûr pas étrangère à cette forte valorisation de l'art naïf après la guerre; cependant, elle est aussi le fait de critiques particulièrement sensibles à -� l'•«>ert anticulturel ces années-là, est de ceux qui découvrent des artistes tel Joseph Crépin ou des peintres étrangers : Hector Hyppolite (Ha'rli) et Miguel-Garcia Vivancos (Espagne) lui doivent assurément une grande partie de leur notoriété.

En Amérique latine et aux Antilles, notamment à H11ili, la peinture naïve assure le lien avec la nature et les coutumes ancestrales : elle ne bénéficie pas là-bas d'un effet de mode, mais rencontre un public populaire sensible à sa dimension religieuse.

Il existe enfin une école 11méric11ine (Peoceable Kingdom, d'Edward Hicks), s'inspirant des artisans anonymes des XVJII' et XIX' siècles et reprenant leurs sujets favoris : la vie à la ferme, les animaux et les natures mortes, les portraits de familiers.

LES PRINCIPAUX PEINTRES • Le précurseur HENRI ROUSSEAU (1844-1910) Clarinettiste, puis fonctionnaire à l'Octroi, il commence à peindre en autodidacte vers 1880.

Il se risque en 1886 à envoyer une toile au Salon des Indépendants, suscitant l'hilarité des critiques.

Il ne se décourage pas, prend sa retraite dès 1889 et se met à donner des cours de violon, de poésie et de peinture aux petites gens de son quartier.

Armé d'un mètre de couturière, il brosse aussi leur portrait.

Il donne dans ces années des paysages (Vue du parc Montsouris, 1895) et des portraits (Lo Bohémienne endormie, 1897).

L'amitié d'Alfred Jarry, dont il fait le portrait en 1895, lui est précieuse.

Au tournant 1900, il sort de l'anonymat grâce à une série de fHiysllges exotiques : le dessin méticuleux, d'une facture un peu maladroite cependant, est très net; les couleurs vives et lumineuses, l'aspect figé des corps et des visages donnent à son style une puissance étonnante.

Il donne alors quelques toiles classiques, notamment des scènes de la vie populaire comme Une noce ,; 111 CllmfHigne (1905).

Ses dernières années sont marquées par l'estime et l'amitié d'Apollinaire- représenté avec Marie Laurencin en 1909 (La Muse inspirant le poète) -.

de Picasso et des Delaunay, Robert et Sonia.

• Les peintres du Cœur- Sacré LOUIS VIVIN (1861-1936) Nommé inspecteur des Postes en 1881, il consacre tous ses dimanches, pendant des années, à représenter les paysages qu'il sillonne dans ses tournées.

li lui faut attendre la soixantaine pour être découvert par Uhde.

La retraite venue, comme le douanier Rousseau, il se consacre entièrement à la peinture.

On lui doit de nombreux paysages de Paris et de la banlieue : pierre par pierre, rues et maisons sont reproduites avec minutie, dans une ignorance totale ART NAÏF ET ART BRUT Séraphine de Senlis et Joseph A eury sont considérés comme des artistes naïfs, mais on pourrait tout aussi bien voir en eux des représentants de l'art brut.

De quoi s'agit-il? La formule date de la fin des années 1940, et on la doit à lelin Dubuffrt, qui, avec l'aide d'André Breton, entreprend de valoriser les œuvres d'art réalisées par des fous.

L'artiste la plus célèbre sera Aloïse, une psychotique dont les figures à la lim�e de l'abstraction fascineront longtemps les amateurs.

Comme la peinture naïve, l'art brut semble correspondre au goût d'une époque.

Sa reconnaissance peut se comprendre dans la lignée de la lecture psychanalytique de l'œuvre d'art et des travaux menés par Jacques Lacan dans les années 1930 sur les psychoses.

Reconnaître la créativité des cc autres», les fous et les déclassés, c'est valoriser les alternatives à la morale, à l'esthétique, à la psyché de la société bourgeoise.

des lois de la perspective.

Sa notoriété tardive fera évoluer son art: se souciant davantage de son époque, il donne à ses dernières toiles une tonalité plus abstraite et des couleurs moins vives.

S�RAPHINE LOUIS, DITE DE SENLIS (1864-1942) Après avoir été bergère, Séraphine devient femme de ménage à Senlis, où son employeur n'est autre que le critique Wilhelm Uhde, qui découvre sa peinture et l'encourage à persévérer.

S'inspirant essentiellement des vitraux de la cathédrale, elle travaille devant une image de la Vierge, à la lumière d'une bougie.

Ce penchant mystique s'accentue avec les années, jusqu'à ce qu'elle perde définitivement la raison en 1930.

On ne sait s'il faut la classer dans les artistes naïfs ou parmi les représentants de l'art brut.

la frontière étant quelquefois mal définie.

Ses tableaux ne représentent presque aucun personnage, mais un monde végétal grouillant, tout en arabesques, avec des fruits dotés de cils et des motifs religieux, telle Buisson ardent.

ANOR� BAUCHANT (1873-1958) Ce jardinier commence à peindre pendant la Grande Guerre mais n'envoie ses premières toiles au Salon d'Automne que la cinquantaine passée.

Remarqué par Le Corbusier, Lipchitz et Jean Lurçat il est invité par la galeriste Jeanne Bûcher, qui le présente à Wilhelm Uhde.

1927 est sa grande année: outre l'exposition des Peintres du Cœur-Sacré, Serge de Diaghilev lui commande les décors pour un ballet de Stravinsky, Apollon Musagète.

Marqué par une certaine mégalomanie, André Bauchant donne alors de vastes compositions sur des sujets bibliques, historiques ou mythologiques, comme Périclès l'emploi des deniers du peuple ou Louis Xl faisant planter des mûriers près de Tours.

Ses couleurs claires et ses détails minutieux seront toutefois plus convaincants dans les paysages auxquels il consacre ses dernières années (Le Verger, 1956).

CAMILLE BOMBOIS (1883-1970) Il a fait tous les métiers : valet de ferme, batelier, terrassier, lutteur de foire ...

et tire de cette expérience un coup d'œil et une grande sensibilité à la poésie des scènes de rue (P11ris, S11cré-Cœur.

1932).

Néanmoins, ce sont les scènes de la vie de campagne qui feront son succès.

Comme chez les autres na'1ls de sa génération, le goût du détail et des couleurs vives s'accompagne d'un dessin extrêmement précis, révélant un goût de la cc belle ouvrage» qui contraste avec l'ignorance de la perspective.

• Les maîtres populaires de la réalité DOMINIQUE-PAUL PEYRONNET (1872-1943) Cet artisan typographe n'a donné qu'une trentaine de toiles, pour l'essentiel des paysages :forêts et marines.

Couleurs vives, feuilles peintes une à une donnent un étonnant relief à ses toiles, qui ne sont pas sans évoquer les tableaux exotiques du douanier Rousseau.

IULES LEFRANC (1887-1972) Quincaillier de son état, Lefranc est comme tous les nails marqué par les objets de son existence quotidienne.

Outils et machines, qu'il représente à l'aide de règles et de compas, composent de véritables natures mortes, la rigueur du dessin contrastant avec la liberté dans l'emploi des couleurs.

REN� RIMBERT (1896-1891) Remarqué par Max Jacob dans les années 1930, Rimbert passe toute sa vie dans l'administration des Postes et Télégraphes.

Sa retraite, en 1960,Iui permettra de se consacrer entièrement à la peinture, comme d'autres artistes naïfs avant lui.

Marqué par les maîtres hollandais et notamment Vermeer de Delft, il se consacre à des scènes urbaines.

Son monde de prédilection, ce sont les petites rues des quartiers Saint-Germain et Saint-Sulpice, leurs passants tranquilles et leur lumière ténue.

lEAN ÈVE (1900-1968) Dessinateur métreur de formation, il passe toute sa carrière dans les chemins de fer: à l'instar d'un Louis Vivin, ses sujets préférés sont les paysages franciliens que lui fait découvrir son métier.

C'est son goût pour les primitifs flamands et les tableaux de Courbet qui lui donne envie de peindre, et sur le motif.

Il restitue avec précision le cycle des saisons, donnant une grande importance au dessin, et trouve sa véritable voie dans la fraîcheur avec laquelle il utilise les couleurs.

• Les peintres d'André Breton JoSEPH CR�PIN (1875-1948) Rebouteux de village, Crépin découvre à soixante-trois ans la peinture, qu'il pratiquera dès lors avec une ferveur religieuse, imaginant que de son œuvre dépend une partie de l'histoire du monde ...

Un peu dérangé, Joseph Crépin a souvent été comparé au facteur Cheval.

Ses toiles généralement sans titre représentent des scènes religieuses, des temples, des épiphan ies rendues dans des couleurs étonnantes (dominées par le vert), dont le graphisme précis doit beaucoup aux petits carreaux des cahiers dans lesquels Crépin élabore ses esquisses.

Pour l'anecdote, son principal client fut le galeriste et marchand de couleurs Lefranc, qui lui échangeait ses toiles contre des tubes de peinture à l'huile.

HEC TOR HYPPOLITE (1894-1948) C'est en Haïti, où il passe quelques mois lors de son exil américain pendant la guerre, qu'André Breton découvre cet artiste obsédé par le monde des divinités vaudoues (Marinéte Pie Che Che, 1947; Une déês réprésonté mét gron bras, 1946), le premier sans doute à les avoir représentées autrement qu'en empruntant à l'iconographie chrétienne.

Autodidacte, Hyppolite montre à l'égard du dessin un dédain qui tranche avec la précision méticuleuse de la plupart des na'1ls français.

En revanche, il se montre d'une inventivité prodigieuse comme coloriste, et ses scènes mi-réalistes mi­ oniriques s'imposent par l'étonnante présence des décors, feuillages tachés de rouille, aux couleurs soutenues et aux contours flous.

MIGUEL·CARCIA VIVANCOS (1895-1972) Il fait tous les métiers avant de devenir colonel de l'armée républicaine espagnole.

Encouragé par Picasso, il ne commence à peindre qu'à la cinquantaine, après avoir passé cinq ans dans les camps de Franco.

Fasciné par l'arch itecture, il représente des églises et des bâtiments (Église Saint­ Ouen, 1953) avec la même précision méticuleuse que Louis Vivin, par exemple.

L'équilibre des compositions, la rareté et l'immobilité des figures, le côté un peu figé des éléments végétaux donne à sa peinture une sérénité remarquable.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles