Devoir de Philosophie

L’ÉPOPÉE DE LA Peinture nouvelle

Publié le 25/12/2018

Extrait du document

À la fin du xixe siècle, les ruptures amorcées dans l’histoire de la peinture et de la sensibilité par les impressionnistes, puis amplifiées par les post-impressionnistes, semblent rendre tout recul impossible, même si le public est loin encore de les admettre sans réticence. Et de fait, la première décennie du xxe siècle inaugure une période de concurrence effrénée entre les jeunes artistes dans la recherche de nouveaux modes d’expression picturale: fauves, expressionnistes, Picasso, le Douanier Rousseau peignent des œuvres qui se soustraient, d’une manière toujours plus radicale, à la traduction de la réalité visuelle. Paris apparaît alors comme le centre majeur de rayonnement mondial où s’effectuent les recherches les plus importantes; l’attraction exercée par la capitale française est le résultat de l'apport des grands créateurs post-impressionnistes, pionniers de l’art moderne (Seurat, Van Gogh, Gauguin et Cézanne), dont les démarches, fort diverses, ne vont pas cesser de préoccuper les artistes de la génération suivante. Pendant les dix premières années du siècle, la plupart des jeunes peintres qui tiendront des rôles de premier plan dans les mouvements à naître viennent à Paris; beaucoup, français comme étrangers, s’y fixent définitivement, phénomène qui donnera naissance à la notion d’école de Paris.

 

Cependant, il ne faut pas oublier que les artistes qui nous paraissent aujourd’hui dominer ce moment exceptionnel, où s’élaborent des langages picturaux bouleversant les schémas traditionnels,

 

sont alors perçus par le plus grand nombre comme des écervelés ou comme des provocateurs et se retrouvent en butte à l’hostilité de l’art officiel. Ce dernier tient le haut du pavé à Paris — avec ses deux bastions que sont l’Académie et l’École des beaux-arts — comme dans toute l’Europe, monopolisant commandes de l’État et clientèle privée. C’est que le conflit, surgi au xixe siècle, entre l’art moderne et la bourgeoisie est loin encore d'être résolu, condamnant les créateurs d’avant-garde à une semi-marginalité nourrie de haine, d’incompréhension et de mépris qui est comme l’envers de la Belle Époque.

 

Cette opposition officielle confère à l’histoire de l’art moderne une allure d'épopée héroïque, souvent soulignée par les exégètes. Dans une telle conjoncture s’avère décisif le rôle joué par les rares amateurs, mécènes, collectionneurs ou marchands, qui ont à cœur de soutenir les peintres les plus radicaux dans leurs recherches; citons seulement la famille Stein (Gertrude, son frère Léo), l’Allemand Wilhelm Uhde, véritable père spirituel de l’art naïf, les deux collectionneurs moscovites Stchoukine et Morozov, introducteurs de la peinture moderne (Matisse, Picasso) en Russie, ou encore, parmi les marchands, Daniel-Henry Kahnweilcr qui expose les fauves puis les cubistes. Enfin, si le Salon officiel demeure le foyer de l’académisme, le Salon des Indépendants, créé en 1884 «sans jury ni récompense», et le Salon d’Automne, fondé en 1903, permettent aux artistes novateurs de se manifester.

 

La scène officielle

 

En 1904 meurent Gérôme et, en 1905, Bouguereau, deux symboles de l’art officiel du xixe siècle; mais leur relève est assurée. La grande peinture historique trouve toujours de très compétents praticiens avec des hommes tels que Georges Rochegrosse, Édouard Détaillé, dont les scènes militaires font fureur, ou Cormon, célèbre pour ses évocations de la vie préhistorique dans un style anatomique, froid et précis, qui lui vaut le surnom de «père La Rotule». La nouveauté du monde officiel réside dans l’accueil d’artistes dont l’art s’ouvre timidement à une vision plus spontanée, superficiellement tributaire de l’impressionnisme: une touche plus libre, des contours moins secs et, surtout, une palette plus claire caractérisent les nus de Gervcx ou de Carricr-Belleuse. Plus audacieuse, par l’emploi de la division des touches, apparaît la technique d’Henri Martin, malgré le conformisme de ses compositions pour la Sorbonne (1908) ou le Capitole de Toulouse (1906). Devenu au xixe siècle le genre par excellence de l’autocélébration bourgeoise, le portrait demeure florissant avec Léon Bonnat, qui brosse les effigies officielles des personnalités de la IIIe République, tandis que l’élégant Boldini, Italien de Paris, se par-

« tage la clientèle mondaine avec Jacques-Émile Blanche et Paul César Helleu.

tous deux amis de Marcel Proust, auquel le second aurait inspiré en partie le personnage du peintre Elstir dans À la recherche du temps perdu.

LE FAUVISME Lors du vernissage du Salon d'Automne, en 1905, le cri­ tique Louis Vauxcelles, remarquant un buste du sculpteur Albert Marque, d'inspiration florentine, placé à côté de toiles d'une agressive nouveauté, sc serait écrié: "Donatello parmi les fauves.,.

Le mot fait fortune et donne bientôt le substantif fauvisme.

JI est vrai que, face aux courants traditionnels, les œuvres incriminées ne pouvaient que choquer par leur franchise d'écriture et surtout par la stridence des couleurs employées en tons purs, sans souci d'exactitude du ton local.

Première en date, avec la Brücke allemande, des révolutions artis­ tiques du xx• siècle, baptisé de l'extérieur.

comme l'impressionnisme ou le cubisme, le fauvisme n'est ni un système ni une école.

mais un accord momentané de tendances entre des jeunes peintres soucieux de réagir contre la perspective classique, la lumière de l'impressionnisme ou les mièvreries du symbolisme, et qu'unit une commune exaltation de la couleur issue des démarches de Seurat (utilisation du ton pur), Gauguin (usage de l'aplat) et Van Gogh (valeur expressive de la couleur).

On peut distinguer, parmi les fauves, trois groupes princi­ paux, auxquels s'adjoint un isolé d'origine néerlandai§e, Van Dongen : les élèves de l'atelier libéral de Gustave Moreau à l'Ecole des beaux­ arts (Matisse, Rouault.

Marquet, Camoin.

Manguin).

les paysagistes de Chatou (Derain, Vlaminck) et le trio du Havre composé de Dufy.

Friesz et Braque, tous trois originaires de cette ville.

Brève Hambée.

culminant dans les toiles solaires exécutées par Matisse et Derain lors d'un séjour commun à Collioure, durant l'été 1905, le fauvisme té­ moigne d'une vitalité heureuse, sensualiste et exubérante, sauf chez Rouault qui occupe une place à part: ses couleurs plus sourdes, cer­ nées de noir, traduisent une conception tragique de la condition hu­ maine dont la déchéance lui inspire des visions à la fois horrifiées ct fraternelles (thèmes des filles et des clowns) qui font de lui le grand peintre expressionniste français, avant qu'il ne devienne le plus boule­ versant peintre sacré moderne.

Le paroxysme fauve est de courte durée; dès 1907, un apai­ sement se manifeste chez la plupart des artistes: la réaction sera cubiste chez Braque, n�oclassique chez Derain; Marquet quant à lui va devenir le peintre harmonieux et sensible des ports et des cam­ pagnes de France, Dufy un coloriste délicat et frais, au trait élégant et elliptique.

C'est Matisse qui fait alors figure de chef de file.

non seule­ ment du fauvisme.

mais de la peinture française; en 1907, il ouvre, dans son atelier parisien, une académie qui sera surtout fréquentée par des artistes allemands, scandinaves ou américains, et publie, en 1908, dans la Grande Revue, les Notes d'u11 peimre.

Il y affirme obtenir l'expression non par le contenu émotionnel du tableau, comme les expressionnistes allemands, mais par sa disposition formelle: propor­ tions, rythmes, musicalité intrinsèque de la couleur et de la ligne.

Il décante son art, maîtrisant ses dons prodigieux de coloriste par Je rôle structural attribué aux aplats de couleur, synthétisant le trait pour obtenir les grandes arabesques apolliniennes du Lrue Il ( 1907) et de la Danse (1909-1910) où se manifeste, en même temps que son goOt pour les thèmes édéniques et arcadiens, cette volonté de délectation en laquelle il voit, à la suite de Poussin, la finalité de la création artistique.

L·ExPRESSIONNlSME Au fauvisme, on associe souvent le groupe exactement contemporain Die Brücke (le Pont, c'est-à-dire le lien entre les ar­ tistes) qui inaugure l'art moderne en Allemagne: même orgie de couleurs, mêmes simplifications agressives des formes: mais, malgré ces analogies, confirmées par les contacts entre les deux mouvements, la démarche des artistes allemands est chargée d'un lourd contenu affectif et émotionnel qui correspond à une conception esthétique spécifiquement germanique et nordique.

Fondée en juin 1905, à Dres­ de, par quatre étudiants en architecture (Heckel, Kirchner, Schmidt­ Rottluff, Bleyl), J'association de la Brücke se propose de créer un art neuf où s'exprime librement l'instinct, où se traduisent les sensations, les émotions et les pulsions les plus immédiates.

Aux exemples de Munch et Ensor, précurseurs de l'expressionnisme nordique, et des LA PEINTURE NOUVELLE.

Ce Couple nu sur un canapé est l'œuvre de Kirchner, l'tm des fondateurs du groupe allemand Die Bnïcke.

� Staarsgalerie Srurrgarr � SPADEM 1991 LA PEINTURE NOUVELLE.

L'expres.!iomlisme viennois w bien représenté par l'œuvre d'O ska r Kokoschka, dom on voit ici un portrait de 1909: Adolf Loos.

© Jorg P.

A11ders - Suuuliclre Museum Preussischer Kulrurbesill., National Galerie, Ber lin © ADAGP 1991 grands créateurs post-impressionnistes (Van Gogh, Gauguin, Tou­ louse-Lautrec), s'ajoutent la réactivation d'une tradition nationale tOurnée vers la distorsion des formes et l'emphase expressive (go­ thique tardif, Grünewald) ainsi que le choc décisif des arts africains et océaniens découverts par Kirchner au musée ethnographique de Dresde en 1904.

D'autres artistes viennent bientôt se joindre au mou­ vement: Max Pechstein et le Finlandais Akseli Gallen-Kallela en 1906, ainsi que, la même année, Nolde dont l'adhésion est de courte durée; son tempérament farouche et solitaire, sa ferveur mystique, la somptuosité et l'urgence de son inspiration le tiennent à l'écart de la Brücke, un peu comme Rouault du fauvisme.

En 1910, le groupe, que rejoint alors Otto Mueller, s'installe à Berlin.

C'est là que l'art des peintres de la Brücke est, à juste titre, qualifié d'expressionniste par la transposition d'un terme utilisé en littérature pour désigner les colla­ borateurs de revues comme Der Sturm (la Tempête).

I:expression­ nisme est moins un système défini qu'une tendance qui s'exaspère aux moments de crise sociale et de désarroi spirituel, une disposition latente de la sensibilité où le monde est éprouvé dynamiquement et conflictuellement sous l'effet de pulsions violentes; de là le recours à la déformation volontaire afin de traduire au plus près un rapport au réel douloureux, angoissé et révolté.

I:expressionnisme se développe aussi à Vienne avec deux artistes de premier plan.

Parti de l'efflorescence ornementale de Klimt et de l'Art nouveau viennois (style de la Sécession), Egon Schiele impose, à partir de 1908, une vision impitoyable, au trait sec, cassé.

aux angles aigus; l'efficacité de l'image repose ici sur une tension graphique portée à son comble: corps et visages torturés semblent figés dans une solitude irrémédiable où la frustration sexuelle dé­ bouche sur l'angoisse de la mort.

C'est dans la tradition du baroque autrichien qu'Oskar Kokoschka trouve les sources de son expression­ nisme à la facture mordante et spontanée; au moment où Freud jette les bases de la psychanalyse, il laisse, entre 1909 et 1914, une célèbre suite de portraits dits psychologiques, exécutés d'un pinceau fiévreux, véritables tentatives d'introspection dont il écrira plus tard: «Les gens vivaient dans la sécurité_ Pourtant.

ils avaient peur.

Je sentais cela à travers leur manière de vivre raffinée ( ...

] et je les peignais avec leur angoisse et leur douleur.» PICASSO Celui qui devait incarner, aux yeux du public, l'image même du grand peintre moderne est né à Malaga en 1881.

Fils d'un peintre.

il reçoit une solide formation traditionnelle avant de participer, à partir de 1895, à Barcelone, au mouvement de l'Art nouveau catalan.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles