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Maria Callas: LA DIVINA (Exposé – Art – Collège/Lycée)

Publié le 14/11/2018

Extrait du document

LA DIVINA

 

Si aujourd'hui encore elle incarne le mythe de la diva, ce n'est pas seulement pour son immense talent, mais aussi pour les caprices d'un destin tour à tour glorieux et terrible. Tragédienne d'exception, Maria Callas (1923-1977) triompha dans

les rôles de femmes trompées, comme la Norma de Bellini. Mais c'est en connaissant elle-même rivalités et trahisons, en devenant son propre personnage qu’elle accéda définitivement au statut de star, défrayant la chronique et passionnant les foules à l'égal des actrices hollywoodiennes. Comment une disgracieuse jeune fille myope, représentant un art élitiste s'il en est, devint-elle une beauté et connut-elle une célébrité mondiale? C'est l'histoire d'une rencontre, qui met aux prises l'énergie d'une travailleuse infatigable, la liberté d'une artiste capable de s'affranchir de toutes les conventions, la chance enfin de vivre à une époque où les débuts de la culture de masse et l'invention du disque microsillon révolutionnent le champ de la culture musicale.

NEW YORK, NEW YORK

C'est dans un quartier pauvre de New York que naît le 2 décembre 1923 celle qui deviendra la Grecque la plus célèbre du xx' siècle. Elle s'appelle, de son vrai nom, Maria Anna Sophia Kalogheropoùlos.

 

Si les parents de Maria, des immigrés de fraîche date, tirent le diable par la queue, ils n'en sont pas moins marqués par ce rêve américain qui anime alors le monde entier. La fin de la Première Guerre mondiale a consacré le déclin du Vieux Continent. C'est en Argentine, au Brésil, aux États-Unis surtout que la modernité se déchaîne. Jazz et tango, radio et voitures, cinéma : le XXe siècle prend ses marques, et c'est dans ce «nouveau monde», dans la ville qui en incarne le mieux les rêves et l'intensité, que Maria voit le jour.

 

New York n'est pas seulement une grande ville industrieuse, c'est la capitale artistique des États-Unis. La scène musicale est dominée par deux symboles forts.

 

Le premier, celui de l'élite intellectuelle et de la grande bourgeoisie, est le Metropolitan Opéra House. Le «Met» est une scène musicale de classe mondiale, encore marquée par le séjour d'Antonin Dvorâk et la création de sa Symphonie du Nouveau Monde (1893).

 

Le second symbole musical new-yorkais déploie ses fastes à l’ombre du Met : à Broadway, les music-halls brillent de tous leurs feux et attirent les foules. Des music-halls où les chanteurs sont aussi des acteurs.

 

La Callas dira un jour qu'il vaut mieux être une chanteuse populaire talentueuse qu’une cantatrice sans talent. C'est de l'Amérique, de son enfance new-yorkaise qu'elle tire son énergie, mais aussi sa capacité à jouer les stars.

 

À une époque où l'opéra est prisonnier de conventions qui en font un spectacle monotone et sans grâce, les comédies musicales déploient une musicalité plus pauvre, sans doute, mais aussi beaucoup plus expressive, soutenue par le jeu, la gestuelle. Non sans une touche de vulgarité, mais il faut bien attirer le public, qui sans cela préférera le théâtre voisin. S'il serait très exagéré de dire que Maria Callas a importé à l'opéra les recettes du music-hall, néanmoins, dans le renouvellement du jeu, dans l'expressivité nouvelle qu'elle

 

a imposés sur la scène, on peut reconnaître une modernité qui s'est d'abord donné carrière dans les comédies musicales.

LES ANNÉES DE FORMATION

Pour l'heure, c'est vers la musique classique que les Kalogheropoùlos - qui, en 1929, simplifient leur nom en Callas - veulent orienter leurs filles. Maria n'a pas huit ans lorsqu'elle commence à prendre des leçons de piano et de chant. Certes, sa mère rêve d'en faire une artiste, mais toucher du piano et chanter sont aussi, plus modestement, parmi les qualités d'une jeune fille distinguée - de ces qualités qui permettent de s'élever dans la société.

 

Il apparaît très vite que la petite fille est douée d'un sens musical hors du commun, et les rêves maternels prennent un contour plus précis.

 

Mais l'adolescence enlaidit Maria, qui grossit et doit porter de grosses lunettes pour corriger sa myopie. Lorsqu'elle a la chance, à l'âge de treize ans, d’être présentée au chef d'orchestre George Sébastian, celui-ci est d'abord effaré; mais après l'avoir écoutée, il lui dit : «Vous avez du talent» Et la jeune fille de répondre : «Je sais.» Cette anecdote, rappelée par tous les biographes, est comme le début de la légende. On y découvre un personnage pris entre son apparence et une certitude

« à jouer de son personnage : ce sera l'un de ses talents que d'apparaître, très v�e.

dans son propre rôle.

UNE RÉVOLUTION DANS L'ART LYRIQUE • le mythe ne se tisse pas seulement d'anecdotes et de médiatisation.

La Callas est d'abord une très grande cantatrice, une voix comme l'on n'en rencontre qu'une par siècle.

• Non qu'elle soit parfaite, cette voix.

e� dès 1957, la cantatrice se plaint de ses cordes vocales.

C'est sur un cc couac» célèbre, en 1964, qu'elle achève la première partie de sa carrière publique, ne jouant plus ensuite que pour des publics d'inconditionnels.

Les critiques et les musicologues lui reprochent par ailleurs, à ses débuts, le manque de pureté de sa voix, ce côté très légèrement râpeux qui la rend immédiatement reconnaissable à l'écoute.

Mais c'est précisément cette humanité, cette intensité dramatique qui font la différence et imposent l'art de la Callas comme un renouveau complet du chant lyrique.

l'opéra, avant elle, hésitait entre le joli du bel canto, entre trilles et fioritures, et des interprétations plus hautaines et abstraites, issues de la jeune tradition wagnérienne.

Dans un cas comme dans l'autre, la convention, le goût de la virtuosité et une forme d'abstraction l'emportaient sur le sentiment dramatique.

Avec la Callas, l'opéra redevient ce qu'il est : tout autant de l'énergie que de la musique, de J'intensité que de la mélodie, du sentiment que de la technique, plus un spedacle qu'un concert.

La puissance de sa voix est telle que, même dans les airs les plus difficiles, quand la voix d'autres cantatrices devient si abstraite qu'elle ressemble à un instrument de musique, la Callas donne toujours l'impression de chanter.

• JI faut souligner aussi l'apport de Tullio �rafin, qui lui apprit à éviter toute virtuosité gratuite, tout hédonisme inconsidéré, tout expressivité déplacée.

Un souci de vraisemblance, dans les limites du genre bien sûr, marque l'art lyrique de la Callas, toujours attentive à la vérité dramatique de ses rôles.

Si trilles et fioritures ne sont qu'une décoration musicale, lui explique Serafin, alors à quoi bon? Si en revanche ils servent à cerner l'état d'esprit d'un personnage, alors la virtuosité a un sens.

C'est Serafin aussi qui apprend à Maria Callas l'art du récitatif et de l'arioso : toujours souple, en mouvemen� vivant - et dès lors, entre les grandes arias des parties chantées, c'est Je morceau tout entier qui s'anime, loin des longues plages ennuyeuses de l'opéra à l'ancienne.

i!iJ3#MUl!JI • Le talent de cette diva (déesse), surnommée par ses adorateurs cda Divina » (la Divine), consiste aussi à humaniser ses rôles, à leur insuffler la souffrance et la passion qui en font non plus de belles pièces musicales parsemées de morceaux de bravoure, mais une expérience existentielle et profondément humaine.

JI y a à cet égard une rencontre entre Je théâtre d'après-guerre, marqué par l'existentialisme et son goût pour Je drame humain, et le renouveau du chant lyrique impulsé par la Callas.

D'une forme émoussée, peu à peu vidée de sa substance par les années et les conventions, on passe à une forme pleine, riche de vie et de drame.

• Cela élan� il ne faut pas négliger la technique phénoménale de la Callas, qui lui permet d'explorer tous les registres, du bel canto au soprano dramatique, et de passer sans difficulté de Puccini à Wagner.

• Son premier grand succès, elle l'obtient à la Scala de Milan dans Les V�pres siciliennes, de Verdi, en 1951.

Les sept années qui suivent la voient revenir sans cesse à cette Scala où elle crée tous ses grands rôles.

• De Giuseppe Verdi (1813-1901 ),Je compositeur dont elle se sent Je plus proche pour son intensité dramatique et la vigueur de ses rôles féminins, elle interprète Nabucco (Abigaille), Macbeth, Rigoletto (Gilda), Le Trouvère (Leonora), Les Vêpres siciliennes (Elena), La Force du destin (Leonora), Aida, Otello (Desdémone) et surtout La Traviata (Violetta), une tragédie tout entière centrée sur un personnage de femme souffrante.

• Si elle chante peu Moza� elle contribue à remettre à la mode Gioacchino Rossini (1792-1868), avec Le Turc en Italie, Le Barbier de Séville et Armida.

Dans un registre plus purement tragique, elle chante également luigi Cherubini (1760-1842), et notamment Médée -dont elle incarnera magistralemen� comme actrice et non comme cantatrice, le rôle-titre dans le film homonyme de Pier Paolo Pasolini (1922-1975) sorti en 1969.

• C'est avec les romantiques qu'elle s'exprime sans doute Je mieux : on songe en particulier à Vincenzo Bellini (1801-1835), dont elle interprète Les Puritains, La Sonnambula et, dès 1948, Norma -l'un des deux grands rôles de sa vie (avec Violettajla Dame aux camélias de La Traviata), celui auquel elle s'est le plus identifiée : cc Norma, UNE NORMA INOUBLIABLE ,.,..

Mie rôle préféré de la Callas, celui en tout cas qu'elle interpréta Je plus souvent: 90 fois en tout Dès 1940, elle interprète la tragédie de Bellini et chante en public Je grand air cc Casta diva», qui deviendra mythique.

C'est aussi avec une Norma parisienne, fin 1964, qu'elle se produ� presque pour la dernière fois dans un opéra, ne donnant plus après 1965 que des réc�ls.

Elle en a aussi laissé deux enregistrements, J'un en 1954 et l'autre en 1960, tous deux réalisés à Milan.

Entre-temps, elle a perdu un tiers de son poids et sa voix a changé -la seconde interprétation est plus subtile, mais la voix est moins parfa�e.

À l'ISsue de J'une des dernières représentations de 1965, le metteur en scène Franco Zeffirelli déclare : cc En Norma, Maria s'est hissée aussi haut qu'Il est possible dans l'opéra.

On peut en une vie voir bien des choses au théâtre.

Mais à Maria Callas dans Norma, que saura�­ on réellement comparer?» d'une certaine manière, me ressemble, confie-t-elle lors d'un entretien.

Elle parait très forte, même féroce parfois.

En réalité, elle ne l'est pas, même si elle rugit comme une lionne.

•• • Fidèle aux chels-d'œuvre romantiques, la Callas est également une grande Lucia di Lammermoor, dans l'opéra homonyme (1835) de Gaetano Donizetti (1797-1848), dont elle chante aussi La Favorite et Lucrezia Borgia.

• Enfin, dans un registre plus moderne, elle s'essaie à Wagner avec Parsifal, La Walkyrie, et surtout Tristan et Isolde, où elle fait merveille dans la mort de l'héroïne.

Parmi les compositeurs du xx< siècle.

seul l'attire vraiment Giacomo Puccini (1858-1924), dont elle interprète Tosca.

Turandot et Madame Butterfly.

• À tous ces rôles, Maria Callas offre une interprétation théâtrale, n'hésitant pas à se servir de son physique et de son corps.

Un tournant dans sa carrière, à cet égard, est sans doute l'année 1956-1957, où elle perd presque le tiers de son poids, passant de la disgrâce de la lourde diva à l'ancienne à une silhouette moderne des plus séduisantes.

Mais c'est aussi en perdant du poids qu'elle commence à rencontrer des problèmes avec sa voix -comme si, entre la musique et la beauté, une lutte se livrait en elle.

Pendant quelques années, l'une et l'autre iront de pair : c'est dans ces années 1957-1964, qui sont aussi celles du développement rapide de la télévision, que prend définitivement forme le mythe Callas.

FRASQUES ET CAPRICES • En plus d'être une voix, reproduite à des millions d'exemplaires sur microsillons, la Callas est devenue une image, une icône.

Son visage est dans tous les journaux; ses spectacles sont des événements qui ne bouleversent pas que les passionnés d'opéra.

• Sa rivalité légendaire avec la Tebaldi, ses caprices de star, ses amours et bientôt ses malheurs imposent l'image d'une cc tigresse», femme fatale incarnant mieux qu'aucun des personnages qu'elle interprète le sentiment tragique de la vie, mais aussi une certaine forme de folie.

Ses caprices en imposent jusqu'aux chefs d'État : à Milan, où elle doit chanter Norma, elle a, un jour de 1958, décidé d'interrompre la représentation, obligeant le président de la République italienne à quitter la salle.

· Les années 1960 sont à cet égard exemplaires : elles voient à la fois la gloire et la chute de la Divina, idole brisée par un échec sur scène en 1964.

1960 est l'année de son divorce, peu avant une liaison tapageuse avec le richissime armateur grec Aristote Onassis (1906-1975).

Pendant deux ans, elle ne se produit plus sur scène, vivant une vie mondaine brillante au côté de son munificent compagnon.

• Mais elle revient et multiplie les coups d'éclat tel un personnage tragique gagné par l'hybris -la démesure fatale qui conduit les héros au malheur.

Comme Norma, Tosca, Violetta ou Madame Butterlfy, elle va être n!"l'"_..lll'l-nr ""r""'' rattrapée par son destin.

Elle donne ���-��� à Onassis un enfan� Omerio Langrini, qui ne vit que quelques heures ...

Et quand en 1968 le milliardaire la répudie publiquement pour épouser Jacky Kennedy (1929-1994), veuve du président des États-Unis assassiné cinq ans plus tôt (la presse, puis le cinéma s'emparent avec délices de cette histoire où fortune, puissance, gloire et passion sont aux prises comme dans une tragédie ...

grecque), elle accuse le coup : à quarante-cinq ans, la star lyrique est une femme brisée, qui en l'espace de quelques années a connu un grave échec professionnel et une blessure affective inguérissable.

Tout se passe comme si l'identité qu'elle s'était forgée, une musicienne géniale devenue femme fatale, se brisait en mille morceaux.

Le socle de cette ident�é.

c'est la voix : et si la voix se retire, c'est toute la séduction qui disparaît.

l'abandon d'Onassis signe aux yeux de Maria Callas un retou r aux démons de sa jeunesse, elle redevient au tréfonds d'elle-même la mal-aimée de ses débuts.

ljlio!f.lll • l'échec est peut-être le point d'orgue de la légende, celui qui lui donne sens et la retire du temps pour lui conférer un caractère plus durable.

C'est à la fin de ces années 1960 que la Callas devient un vrai mythe, passant du monde brillamment sonore des scènes d'opéra au silence, de la vie mondaine la plus luxueuse à une sorte de retraite, au sens monacal du terme.

Peut-être a-t - elle conscience de ce destin qu'elle est en train d'accomplir : en 1969, dans une émission de l'ORTF qui est aussi l'une de ses dernières apparitions publiques, elle prononce ces paroles prémonitoires : cc Tout ce que je voudrais, c'est finir en beauté.» Et c'est ce qu'elle va faire.

· C'est en pleine gloire qu'elle se retire des feux de la rampe pour se consacrer à l'enseignement.

Les master classes qu'elle donne à la Julliard School de New York, en 1970-1971 (et qu'évoque en 2001 Je film de Zeffirelli, Callas for Ever, avec Fanny Ardant), deviennent légendaires : les étudiants découvrent derrière la star des magazines une travailleuse acharnée, précise jusqu'à l'obsession, capable comme son maitre Tullio Serafin de revenir à la partition d'origine pour rechercher la moindre nuance.

Elle livre ses secrets, détaillant et raisonnant les rôles qu'elle a joués, comme une manière de testament avant le dernier adieu.

• Son ami Di Stefano la persuade pourtan� en 1973, de se lancer dans une grande tournée internationa le.

Si les salles sont pleines, la foule étant attirée par la gloire de la star, les prestations vocales son� tant pour la Callas que pour les cr�iques, décevantes.

·Après 1974, Maria Callas s'enferme dans son appartement parisien, avenue Georges-Mandel.

ne voyant plus que quelques proches, écoutant inlassablement ses enregistrements - comme Narcisse contemplant son image.

· Elle meurt le 16 septembre 1977 dans la solitude.

On a parlé de crise cardiaque, mais aussi de suicide; peu importe : seuls restent l'aura, le charisme, qu'elle a en commun avec une autre figure mythique disparue dans des circonstances non élucidées : Marylin Monroe.

• Maria Callas est incinérée en hâte, Je vol de l'urne funéraire (retrouvée quelques jours plus tard) ajoutant un ultime coup de théâtre, avant que la dispersion de ses cendres dans la mer Égée n'évoque une dernière fois les mythologies romantiques qu'elle avait si prodigieusement incarnées.. »

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