Charles d'Orléans
Publié le 20/04/2012
Extrait du document
1391-1465
Frère de Charles VI et fils du duc d'Orléans, assassiné en 1407, à 1'instigation de Jean sans Peur. Époux de Bonne d'Armagnac, fille du connétable Bernard, il est fait prisonnier à Azincourt emmené en captivité en Angleterre (1415), où il demeura vingt-cinq ans, d'abord au château de Windsor, puis, séparé de ses compagnons, voué à la solitude et à l'ennui, dans une sinistre prison de province. Il y écrivait au jour le jour des poèmes gracieux et mélancoliques, où le sourire était près des larmes. Rendu à la liberté contre une forte rançon, il adressa, en partant, des vers pleins de bonté et de douceur à la famille anglaise qui l'avait gardé dans sa prison. Dès son retour en France, il participa aux intrigues des deux partis qui cherchaient à l'attirer dans leur camp et tenta de jouer le rôle de médiateur entre le roi Charles VII et le duc de Bourgogne. Vers la soixantaine, il renonça aux ambitions politiques pour se consacrer presque entièrement à la poésie.
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d'images et de symboles, le plus frais à la fois et le plus pimpant; non pas un réseau qui lui cache
le monde, mais délicat, mais
transparent, et tel que chaque heure du jour comme chaque spectacle
de la saison s'y mêlent et s'y trouvent retenus.
Il se parle, il dialogue avec lui-même; à défaut d'un
journal intime, il fait la chanson de sa vie.
Aussi bien,
qu'il revienne en France après sa longue captivité, qu'il se marie une troisième
fois, négocie la paix, tente à Milan (qu'il revendique) une dernière aventure, et s'installe enfin à
Blois, prince-poète
dans une cour de poètes, il garde le même univers, le même chant, on dirait
presque le même exil.
A mesure qu'il vieillit, sa voix se fait plus légère; son art s'affine encore.
Ce n'est plus le temps des complaintes, mais c'est toujours celui de la mélancolie.
Une mélancolie
d'autant plus singulière, qu'à présent elle peut sembler sans cause; d'autant plus profonde, qu'elle
ne s'enchante plus des prestiges amoureux; d'autant plus émouvante, peut-être, qu'elle se veut
enjouée.
La louange de la femme a fait place au badinage galant, désabusé, volontiers ironique.
Ce quinquagénaire ne demande plus à la vie que ce qu'elle lui donne chaque jour; il la goûte
en homme lucide, il s'y prête, il cueille l'instant et lui fait, d'être périssable, une vertu.
Plus que
jamais, il se détourne de la passion, des nobles attitudes, des grands mots, des grands vers, de
l'éloquence.
Il regarde
en souriant la parade :
Q_ue nous en faisons
De telles manières
Et douces et fières
Selon les saisons !
C'est là sans doute un curieux sourire, ct d'une bien faible gaîté.
On dirait que le poète
se console de ses plaisirs comme il se consolait de ses peines; mais enfin, de tout, et de sa
mélancolie même,
qui peut-être ne va pas sans amertume, il sait faire une chanson.
Quelles chansons! Les plus légères
qui soient et les plus sûres.
Elles semblent naître comme
un caprice, au hasard d'un proverbe, d'un mot, d'un son; tout cède au rythme : mais le rythme
verbal est aussi celui du cœur; et c'est le privilège d'un tel poète que d'allier à des sentiments si
subtils une"si limpide aisance.
D'un art exquis dans la ciselure, ses chansons n'en semblent pas
moins spontanées;
davantage :jusque dans leur élégance, voici qu'elles nous paraissent familières.
Trois siècles
de poésies s'y retrouvent, et le poète ne cherche point à cacher son héritage.
C'est le savant héritage de Thibaut de Champagne, de Guillaume de Lorris et de Machault;
c'est l'héritage populaire de nos vieilles chansons, ballades et reverdies.
Et par là, Charles d'Orléans
peut nous apparaître comme le dernier de nos trouvères.
Mais cette poésie du moyen âge, s'il la
reprend, il la renouvelle.
Je sais bien que l'on salue en Villon le premier des poètes modernes.
Je
n'en demande pas tant pour notre grand amateur; mais comment douter de ce qu'il apporte
et de ce qu'il annonce, et d'où vient qu'il nous semble encore si proche de nous? Devant les
œuvres les plus délicates de
Marot et de la Pléiade, nous songeons à lui; devant Théophile, Tristan
et La Fontaine lui-même; devant Marceline, Musset et Heine; devant Nerval et Verlaine, Laforgue
et le symbolisme;
devant Apollinaire comme devant le meilleur Toulet ; devant Eluard,
Supervielle ou Tardieu ...
On l'a trop longtemps négligé; trop souvent, aujourd'hui encore, on le
traite en poète mineur.
C'est un poète, un vrai poète, et maintes fois, par son esprit comme par sa
forme,
un grand poète.
Il plaît, il ravit, il émeut, il reste en nous.
Faut-il en dire davantage? Il se
prête moins que tout autre à l'analyse; mais reprenons tel de ses poèmes :
Dedans mon livre de pensée
]'ai trouvé écrivant mon cœur
La vraie histoire de douleur,
De larmes tout enluminée ...
Leve;;_ ces couvre-chefs plus haut,
Q_ui trop couvrent ces beaux visages ...
Les en voulez-vous garder,
Ces rivieres, de courir ...
Ah! Dieu, qu'il m'ennuie!
Hélas! qu'est
ceci ...
D'espoir, il
n'en est nouvelles ..
.
Quand j'ai ouï le tambourin ..
.
Rien de plus simple, semble-t-il ; ce n'est fait de rien, et pourtant nous sommes pris:
l'enchantement joue, le miracle est là, le pur chant, la vraie grâce.
MARCEL ARLAND
37.
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