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Le néoréalisme italien au cinéma

Publié le 18/11/2018

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La première période du néoréalisme, après la révélation de Rome, ville ouverte (1944-1945), se caractérise d'abord par la place essentielle qu'y occupent les événements de la guerre et les combats de la Libération. Mais la fin de la guerre ne se traduit pas pour autant par une rupture dans les thèmes et les méthodes de travail des cinéastes, qui portent alors sur les réalités complexes de l'après-guerre le même regard à la fois chaleureux et critique qui a marqué leurs premières œuvres. Mais les sources d'inspiration se diversifient, les sujets prennent de la hauteur, en fonction du tempérament des cinéastes comme de l'évolution des données politiques, économiques et sociales auxquelles ils sont confrontés. D'où, alors, une grande homogénéité de ton et de démarche associée à une grande diversité thématique et formelle.

Bien qu'il n'ait jamais constitué à proprement parler une école cinématographique, avec des règles spécifiques et un manifeste explicite, le néoréalisme ne s'identifie pas moins clairement, avec ses caractéristiques historiques et esthétiques propres, à une démarche créatrice parmi les plus intéressantes et les plus fécondes de l'histoire du cinéma.

 

Expression indiscutable d'un pays et d'une époque, il s'est acquis, par la valeur de ses cinéastes et les qualités à la fois individuelles et collectives d'une succession remarquable d'œuvres majeures, près de vingt ans durant, une dimension universelle.

UN CINÉMA ANCRÉ DANS LA RÉALITÉ SOCIALE ET POLITIQUE

 

Essai de définition

 

Le néoréalisme, né en Italie dans l'immédiat après-guerre, est fondé sur la conjonction d'une démarche réaliste, qui procède des origines mêmes du cinéma, et de la nouveauté des situations que les cinéastes ont eue alors à connaître. Le réalisme des premiers films du mouvement est lié étroitement aux circonstances qui les ont inspirés : le poids du réel est alors trop lourd pour que les regards et les caméras puissent s'en détourner. En outre, la pauvreté des moyens techniques et financiers dont disposent les cinéastes (l’indisponibilité des studios, en particulier) leur impose une méthode de tournage proche du documentaire et du reportage. La nouveauté est d'abord celle des sujets, nourris du constat d'événements tragiques qu'il est urgent de révéler ; celle aussi d'un style qui est la caractéristique essentielle du néoréalisme et son principal élément d'unité. Il repose sur le tournage en décors réels, souvent avec des acteurs non professionnels ou détournés de leurs emplois traditionnels, loin des artifices conventionnels de l'écran. Le cinéma néoréaliste est fondamentalement humaniste : il s'intéresse avant tout à l'homme, dans son cadre social. Mais plusieurs courants idéologiques s’y rejoignent, liés notamment au marxisme et au christianisme, suivant la part que reconnaissent les cinéastes, chez l'homme, aux valeurs spirituelles.

Le cadre historique

 

La naissance et l'orientation du néoréalisme sont liées à la guerre telle que l'Italie l'a vécue, à partir surtout des soubresauts politiques qui ont amené en juillet 1943 la

« • Il est ouvert avec éclat par deux films LE IIOUUR DE BICYCUTTE, de Rossellini, Rome, ville ouverte (1944- FILM DE HRRENCE 1945) et Ptlisti (1946), témoignages rloc·umen'l:•ire sur la tragédie qui vient à peine de s'achever.

• Cette veine est marquée également par le film documentaire collectif Jours de gloire (1945), coordonné par Giuseppe De Santis, La vie recommence (1945), de Mario Mattoli, Le soleil se lèvera encore (1946), d'Aldo Verga no, Un jour dans la vie (1946), de Blasetti, Sduscia (1946), de Vittorio De Sica, Vivre en paix (1946) et Les Années difficiles (1948), de Luigi Zampa, Christ interdit (1950), de Curzio Malaparte, Achtung! Banditi (1951), de Carlo Lizzani.

t Italie dMstée et ruinée n en a pas flnl avec les drames personnels et collectifs.

Mais, en même temps, les perspectives s'élargissent, l'espoir trouve ici et là une issue, et il arrive que des cinéastes mettent de l'humour dans leurs constats désenchantés.

une bicyclette pour obtenir un emploi de colleur d'affiches, mais elle lui est aussitôt volée.

Après une épuisante recherche dans toute la ville, il retrouve son voleur, plus misérable que lui­ même.

Renonçant à récupérer son bien, il tente de voler à son tour une bicyclette, mais échoue ...

Sur ce thème minimal (tiré par Zavattini d'un roman contemporain), Le Voleur de bicyclette apparaît en 1948 comme un modèle indépassable du néoréalisme.

De fait, il en réunit toutes les composantes : en prise directe sur une des réalités les plus immédiates de l'italie d'après-guerre, réalisé hors des studios, avec des interprètes non professionnels et une grande sobriété de moyens, il atteint sans artifice - mais non sans art- à l'émotion la plus pure.

Classé dix ans plus tard par la critique internationale au deuxième rang des • dix meilleurs films de tous les temps » (après Le Cuirassé Potemkine et à égalité avec La Ruée vers l'or), le chef-d'œuvre de Vittorio De Sica reste aujourd'hui représentatif, au plus haut niveau, du cinéma de son pays et de son temps.

et voleurs (1951), comme de Mauro Bolognini dans Les Amoureux (1955).

DES VOIES NOUVEWS ASsez vite , un besoin Impérieux de renouvellement amène des cinéastes, que leur personnalité porte naturellement à une vision moins monolithique du réel, à élargir l'horizon du néoréalisme dans diverses directions.

• Portant quant à lui son regard au-delà de la péninsule, Rossellini propose, avec Allemagne année zéro (1948), une réflexion plus intérieure et plus universelle sur le coût humain de la guerre.

• Ailleurs, Rossellini dépasse le simple constat pour y introduire une vision personnelle où interviennent la foi chrétienne et le sentiment de la grâce divine.

Cette spiritualité éclaire Amore (1947-1948), Onze Fioretti de François d'A ssise (1949), Stromboli (1950), Europe 51 (1952) et Le Voyage en Italie (1953) d'une lumière toute particulière.

• Antonioni, avec son premier long métrage, Chronique d'un amour (1950), déborde de son côté le cadre social du néoréalisme originel, pour y introduire une rigueur psychologique qui emprunte à l'art du roman.

( 1954 -1960) • Les difficultés économiques et sociales de l'après-guerre ainsi que les drames humains qui en résultent trouvent leur expression, en particulier, dans les films volontiers accusateurs de De Santis - L'évolution politique et sociale de l'Italie, où se produit un « miracle économique » que favorise l'entrée du pays dans la Communauté européenne, s'accompagne pour le cinéma de profondes transformations, dans f-------------_, lesquelles les exigences commerciales trog1que amer (1949), Pâques sanglantes (1950), Onze heures sonnaient (1952) -, de lattuada -Le Bandit (1946), Sans pitié (1948) -ou de Pietro Germi - Le Témoin (1946), Jeunesse perdue (1948), Traqué dans la ville (1951 ).

Non sans recours, ici et là, au mélo dr am e.

• Dans la même veine, une critique sans concession des milieux du spectacle se fait jour dans Feux du music-hall, de Lattuada (coréalisé pour ses débuts par Federico Fellini, 1950), Bellissima, de Visconti (1951) et La Dame sans camélias, d'Antonioni (1953).

• Le manque de perspectives et la vacuité de la jeunesse, jusqu'aux tentations de la délinquance, inspirent des films comme Enfants dans la ville (1946) et Des hommes nouveaux sont nés (1949), de Comencini, Les Vaincus, d'Antonioni (1952) ou Les Vitelloni (1953), de Fellini.

• Œuvre collective, à laquelle participent notamment, sur une idée de Zavattini, Antonioni, Fellini et Lattuada, L'Amour à la ville (1953) est une tentative de film-enquête restée sans lendemain, mais qui marque alors le point le plus avancé de l'exploration de la vie sociale par le cinéma.

• De Sica et son scénariste attitré Zavattini, après Sciuscia, donnent à ce néoréalisme de constat social son chef­ d'œuvre, avec Le Voleur de bicyclette (1948), que suivra trois ans plus tard Umberto D.

Dans l'intervalle, sans se renier, ils s'autorisent un détour du côté de la poésie et de la fable, avec Miracle à Milan (1950).

· D'autres films s'intéressent, par-delà les réalités du moment, à certaines problématiques constantes de l'Italie : émigration clandestine, action de la mafia, abus de la bureaucratie, conflits agraires ...

Ainsi Au nom de la loi (1948) et Le Chemin de l'espérance (1950), de Germi, Le Moulin du Pô (1948), Le Manteau (1952) et La Louve de Calabre (1953), de lattuada ; Les Coupables (1952), de Zampa.

• D'une manière analogue, Visconti met en cause, dans La terre tremble (1948), où il revient à l'univers de Verga, l'exploitation des pêcheurs siciliens par les mareyeurs.

Mais son exigence esthétique fait surtout de ce film sans acteurs le sommet lyrique du néo réalism e.

• Dominant sans les ignorer les difficultés de la période, Renato Castellani apporte de la fantaisie et de la tendresse à l'image qu'il donne de l'univers des petites gens dans ,! .1 llHPUih Sous le soleil de Rome (1948), Printemps (1950) et Deux sous d'espoir (1952).

C'est également la Filippo dans 1 •• • •· Naples millionnaire (1949), de Luciano Emmer dans Dimanche d'août (1950), de Steno et Monicelli dans Gendarmes pèsent de tout leur poids.

A la tâche commune de décrire fidèlement les aspects d'un pays marqué par la guerre se substitue chez les auteurs de films une démarche créatrice plus libre, d'où surgissent des univers personnels parfois très opposés.

·Dans Senso (1954), Les Nuits blanches (1957) et Rocco et ses frères (1960), Visconti enrichit sa palette de valeurs à la fois littéraires uu:>Lu''"""'"l et picturales, où s'affirme un esthétisme raffiné.

• Créateur de personnages et de formes également insolites, Fellini donne à voir dans La Stroda (1954), JI Bidone (1955), Les Nuits de Cabiria (1956) puis La Dolce Vito (1959) un monde foisonnant et baroque où s'affrontent le spirituel et le charnel.

• Dans un parcours plus sinueux que les précédents, Rossellini, après le drame psychologique de La Peur (1954) et la plongée initiatique et panthéiste de lndia (1958), revient, avec cette fois le recul de l'Histoire, à la thématique de la guerre, dans Le Général Della Rovere (1959) et Les Évadés de la nuit (1960).

• Lattuada poursuit de son côté une démarche éclectique, qui le fait passer de la chronique sentimentale de La Pensionnaire (1954) et de Guendalina (1957) à l'épopée de La Tempête (1958).

• Antonioni met en scène dans Femmes entre elles (1955), Le Cri (1957) et L'Awentura (1959-1960) la confusion des sentiments, le mystère des êtres et leur difficulté à communiquer.

• Par ailleurs historien du cinéma italien, Lizzani propose dans Chronique des pauvres amants (1954), où il revient sur l'époque fasciste, un archétype tardif mais attachant du néoréalisme idéal, d'inspiration marxiste.

• De Sica et Zavattini persévèrent occasionnellement dans la ligne originelle, notamment avec Le Toit (1956), mais ils s'autorisent des variations dans les registres de la comédie napolitaine (L'Ortie N11ples, 1954) ou du drame naturaliste (La uodara, 1960), qui éclairent italienne.

• Après l'entracte shakespearien de Roméo et Juliette, c'est vers le mélodrame à fond de critique sociale que Castella ni, dans Rien que nous deux (1957) et L'Enfer dans la ville (1958), cherche quant à lui une issue.

• C'est cependant dans la voie de la comédie satirique, marquée à la fois d'une fine observation des mœurs, de traits corrosifs et de truculence, que le néoréalisme trouve d'heureuses occasions de se renouveler, tout en restant cohérent avec ses aspirations initiales.

Luigi Comencini avec la série Pain, amour ...

(1953-1954) puis La Grande Pagaille (1960), Mario Monicelli avec Un héros de notre temps (1955), Le Pigeon (1958) et La Grande Guerre (1959), Dino Risi avec Pauvres mais beaux et ses suites (1956-1959), Bolognini avec Jeunes Maris (1957) et Le Bel Antonio (1959) signent dans ce registre des réussites populaires et prometteuses.

'!W'W"'1itJ Les contraintes économiques de l'industrie cinématographique et la dénaturation relative apportée par le développement des coproductions internationales vont amener par la suite le néoréalisme à se diluer dans la production italienne courante, largement influencée par le cinéma américain.

Il en subsiste pourtant une philosophie, une morale et une esthétique qui continueront à inspirer de nombreux cinéastes, en Italie et ailleurs.

Sa démarche demeure un ferment de renouveau.

• La plupart des grands cinéastes qui ont marqué le mouvement de leur empreinte, tels Rossellini, Visconti, De Sica, Lattuada, Antonioni, Fellini ou Comencini, ne se détourneront jamais totalement de cette expérience fondamentale -tout en poursuivant librement leur œuvre dans les voies qui leur sont propres.

tels que Rosi, Zurlini, Bellochio, Bertolucci, Ferreri, Olmi, Petri, Pasolini, Damiani, Scola, i avec des personnalités parfaitement originales, n'en reconnaîtront pas moins leur filiation par rapport au néoréalisme, dont leurs films portent souvent la marque, dans leur propos comme dans leur forme.

• A l'étranger, d'une décennie à l'autre, il n'est pas de« jeune cinéma » en rupture avec le cinéma dominant qui n'ait situé clairement dans la ligne du néoréalisme sa volonté de rénovation : Free Cinema britannique, Nouvelle Vague française et Cinéma-vérité, Cinema Nôvo brésilien, École de New York, jeunes cinémas allemand ou québécois, parmi d'autres, ont à un degré ou un autre subi son influence ou revendiqué son exemple.

LE NÉORUUSME PAR LUI-MWE «Comment serait-il possible de comprendre et d'Interpréter l'homme si on l'isole des éléments dans lesquels chaque jour il vit, avec lesquels chaque jour il communique? C'est justement du cinéma que devrait venir, puisque plus que tous les autres cet art parle au même moment à tous nos sens, la préoccupation d'une authenticité, même fantastique, des gestes, du climat, en un mot des facteurs qui doivent servir à exprimer la totalité du monde dans lequel les hommes vivent.

» Giuseppe De Santis «Ce qui m'a surtout conduit au cinéma, c'est le devoir de raconter des histoires d'hommes vivants: des hommes qui vivent parmi les choses et non pas les choses pour elles-mêmes.

Le cinéma qui m'Intéresse est anthropomorphique.

• Luchino Visconti «Nous découvrlmes, au milieu des ruines, que le cinéma nous avait donné bien trop peu d'Images propres à nous ouvrir les yeux sur notre prochain et l'aider à affronter, ou mieux à empêcher, d'aussi monstrueux événements.

En bref, le cinéma avait failli à sa mission en choisissant la voie de Méliès et non celle de Lu mière, semée des épines de la réalité.

Mais aujourd'hui on commence à écrire l'histoire du cinéma -jusqu'Ici seulement technique et esthétique -comme moyen de connaissance de l'homme et de la société contemporaine.

Le cinéma a donc renoué avec sa mission.

• Cesare Zavattini •Mon néoréalisme personnel n'est pas autre chose qu'une position morale qui tient en trois « 1.' expérience de la guerre fut déterminante pour nous tous.

Chacun ressentit le désir fou de jeter en l'air toutes les vieilles histoires du cinéma italien, de planter la caméra au milieu de la vie réelle, au milieu de tout ce qui frappait nos yeux atterrés.

Nous cherchions à nous libérer du poids de nos fautes, nous voulions nous regarder en face, et nous dire la vérité, découvrir ce que nous étions réellement, et chercher le salut.

» Vittorio De Sica. »

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