Est-ce qu'on emporte sa patrie à la semelle de son soulier ! Danton

«J'aime mieux, disait-il, être guillotiné que guillotineur. Mais qu'ai-je à désirer sur la terre? J'étais né le sujet d'un roi. Je suis citoyen d'un Etat libre; j'ai lutté corps à corps avec la royauté; nous l'avons vaincue, terrassée; j'ai été ministre de la République sur la brèche du trône; je suis représentant du peuple français; j'ai rempli mon devoir dans ces deux postes avec honneur; j'ai eu une femme que j'adorais; j'en ai une que j'aime beaucoup; j'ai donné deux enfants mâles à la République, j'en attends un troisième. Eh bien! que chacun ait rempli sa tâche de même à trente-quatre ans, et les choses iront bien. — Mais Robespierre? — Robespierre est encore le moins scélérat de la bande. — Il veut régner. — Il se trompe, il ne régnera pas. — Il veut te perdre. — Tant pis: je fais mon devoir, envers la patrie; ce que je ferais de plus serait pour moi, je ne serai jamais le chef d'une faction. — Ce ne serait pas l'être. — Ce serait l'être que de défendre ma vie; elle n'en vaut pas la peine, l'humanité m'ennuie. - Les membres du Comité soutiennent Robespierre. — Ils le dévoreront. —Ils cherchent ta mort. — Eh bien (entrant en colère), si jamais... si Billaud... si Robespierre... Ils seront exécrés comme des tyrans, on rasera la maison de Robespierre, on y sèmera du sel, on y plantera un poteau exécrable à la vengeance du crime. (Puis s'attendrissant): Mais... mes amis diront de moi que j'ai été bon père, bon ami, bon citoyen; ils ne m'oublieront pas... — Tu peux éviter. — J'aime mieux être guillotiné que guillotineur. —Mais ceux qui sont partis sont des infâmes... (Puis, tournant sa bouche et relevant sa lèvre balafrée avec dédain et colère). Partir!!! Est-ce qu'on emporte sa patrie à la semelle de son soulier!»