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Je me presse de rire de tout, de peur d'être obligé d'en pleurer. Beaumarchais

Publié le 22/02/2012

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beaumarchais
Il est cocasse de noter, à cet égard, que le choix délibéré de ne rien prendre au sérieux ne s'est pas fait sans une certaine frustration, puisque Beaumarchais, dans la Lettre modérée introduisant au texte du Barbier de Séville, s'est plu à imaginer une suite «à la manière tragique ou dramique» (« dramique» désigne le drame bourgeois, donc le genre sérieux). Cette suite accorderait à la sensibilité la part qui, précisément, lui est refusée dans la comédie qu'est Le Barbier de Séville. Et Beaumarchais de concevoir, à grand renfort de pathétique, une filiation à l'orphelin Figaro, ce qui, ultérieurement, en 1784, constituera l'un des coups de théâtre du Mariage de Figaro. De quoi ou de qui rit-on, dans Le Barbier de Séville? Le rire impliquant une certaine position de supériorité du rieur eu égard à l'objet de l'hilarité, les cibles désignées ne peuvent être que Bartholo et son homme de confiance, Bazile.
beaumarchais

« Il est cocasse de noter, à cet égard, que le choix délibéré de ne rien prendre au sérieux ne s'est pas fait sans unecertaine frustration, puisque Beaumarchais, dans la Lettre modérée introduisant au texte du Barbier de Séville, s'estplu à imaginer une suite «à la manière tragique ou dramique» (« dramique» désigne le drame bourgeois, donc legenre sérieux).Cette suite accorderait à la sensibilité la part qui, précisément, lui est refusée dans la comédie qu'est Le Barbier deSéville.

Et Beaumarchais de concevoir, à grand renfort de pathétique, une filiation à l'orphelin Figaro, ce qui,ultérieurement, en 1784, constituera l'un des coups de théâtre du Mariage de Figaro.De quoi ou de qui rit-on, dans Le Barbier de Séville? Le rire impliquant une certaine position de supériorité du rieur euégard à l'objet de l'hilarité, les cibles désignées ne peuvent être que Bartholo et son homme de confiance, Bazile.De fait, nous rions de Bazile dans la scène dite de la stupéfaction (scène 11 de l'acte III), grâce à un quiproquosavamment entretenu par tous les personnages de la pièce, sans oublier Bazile lui-même qui, par vénalité, concourtà sa manière — désopilante — , à -l'effet comique.

En tant que personnage, Bazile n'est pas comique.

Seule lasituation, dans laquelle il se trouve impliqué, déclenche à ses dépens le rire.Bartholo se prête au ridicule, dans la mesure où son avarice et son esprit rétrograde le rendent peu adapté auxmoeurs du siècle.

Cependant, s'il s'apparente à l'Arnolphe, de L'Ecole des Femmes, de Molière, il n'est pas grotesque.Aucun de ses défauts, y compris sa jalousie, ne le rend inapte à vivre dans une certaine conformité avec le mondequi l'environne.

Il possède même des qualités qui font de lui un adversaire redoutable pour Figaro et le Comte :perspicace, il déjoue les ruses de Rosine et sa vigilance interdit à son rival d'agir à sa guise.

Sa faiblesse, c'est des'être absenté de chez lui, au quatrième acte, alors qu'il aurait dû recevoir en personne le notaire et Bazile.

C'estassez dire que Bartholo, tout comme Bazile, n'est pas, pris en lui-même, une source de comique.

Le rire naît dessituations, du mouvement même des scènes et des répliques ou des tons, propres aux personnages.A la différence de Molière, qui définit et structure ses personnages en fonction d'une passion irréductible (songeonsà l'avare Harpagon, au misanthrope Alceste, ou à l'imposteur Tartuffe, ou au barbon jaloux Arnolphe), Beaumarchaisne se soucie pas de créer et de mettre en scène des «caractères».

Ses personnages sont à ce point tributaires dela situation qu'ils occupent qu'ils sont susceptibles de se transformer si la situation se modifie.C'est ainsi que Bazile change de camp par vénalité et que Bartholo, victime de sa prudence (la pièce est sous-titrée: La Précaution inutile), se console de perdre Rosine en conservant l'argent de sa pupille.L'attitude de Rosine résulte également des circonstances.

Confrontée aux pressions inquisitoriales de son tuteur, elleimprovise une conduite et ruse avec celui-ci (billet lancé subrepticement par la jalousie, lettre rédigée à l'insu deson tuteur et confiée à Figaro qui se présente à l'improviste, etc.) car Rosine n'est calculatricequ'occasionnellement.Quant au Comte Almaviva, séduisant, amoureux, toujours gai, il n'est pas moins « transparent » que les autrespersonnages, même s'il est conduit à varier ses rôles, du fait qu'il s'affuble de divers déguisements pour approcherRosine.Ce qui paraît être l'un des traits caractéristiques des personnages de Beaumarchais, c'est qu'ils sont ce qu'ilsparaissent.

Dotés de peu d'épaisseur psychologique, ils tiennent leur présence scénique de leur rapport étroit avecla situation et les circonstances qui les déterminent.

Comme ils n'incarnent pas un vice profond de la naturehumaine, leur intériorité, réduite à l'extrême, se précise à la lumière des événements extérieurs, desrebondissements, des retournements de situations imprévus, pour peu que le hasard — ou l'auteur — s'en mêle.Beaumarchais se sert même, le cas échéant, du théâtre comme d'une tribune pour régler ses comptes personnelsavec ses détracteurs.

Figaro-Beaumarchais peut alors rire de tout, c'est-à-dire mettre en question, contester lesabus d'une société injuste.

Bartholo, le tuteur tout-puissant, n'incarne-t-il pas, jusqu'à un certain point, le principed'autorité, au sein d'une société monarchique et absolutiste? La tirade de Figaro, évoquée plus haut, contient plusd'une allusion aux démêlés personnels de l'auteur avec la justice (affaire Goezmann) et il en va de même du fameuxcouplet de Bazile sur la calomnie (acte II, scène 8).Comme les défauts que stigmatise Beaumarchais, par personnages interposés, ne s'enracinent pas dans laprofondeur d'un «caractère», au sens où le XVII' siècle l'entend, il est loisible de les corriger en réformant la société.Ils ne s'imposent pas, en effet, comme un vice inhérent à la nature humaine — et donc fatal.

Faire rire de la jalousiepossessive de Bartholo, de sa tyrannie domestique ou de ses arguments d'autorité, ce n'est pas tant vouloirridiculiser le personnage qui en est affecté, pour le corriger, que dévoiler les véritables enjeux institutionnels mis encause.

Comme le déclare Rosine, de manière révélatrice, avec l'ingénuité lucide qui la caractérise : « Ah! mon tuteur a raison : je suis bien loin d'avoir cet usage du monde qui, me dit-il souvent, assure le maintiendes femmes en toute occasion.

Mais un homme injuste parviendrait à faire une rusée de l'innocence même.

»(acte II, scène 16) Beaumarchais prend soin de rappeler au spectateur qu'il est au théâtre, du fait qu'il utilise le rire comme une arme etle théâtre comme une tribune.

Ce faisant, il incite le spectateur à prendre une attitude critique sur la réalité, tellequ'elle est transposée sur la scène.

Une telle mise à distance du spectateur-témoin par rapport à l'illusion théâtrale,rend ce dernier complice d'une volonté de réformer la société.Le rire permet alors de modifier les rapports traditionnels entre la fiction théâtrale et la réalité qu'elle représente; ilfavorise, de ce fait, une nouvelle vision des rapports de pouvoir, tout comme le théâtre de Bertolt Brecht, à notreépoque, vise à opérer mais, cette fois, de façon systématique, une contestation satirique — sociale et politique —du monde extérieur.. »

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