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Je ne suis pas responsable de ce sang. Ponce Pilate

Publié le 22/02/2012

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Ces mots sont restés moins célèbres que le geste qui les a accompagnés et qui a donné naissance à une locution dans la langue française. Seul des quatre évangélistes, Matthieu relate la scène à laquelle cette phrase est associée et qui dut, sans doute, se dérouler en l'an 30 de notre ère. Ponce Pilate, procurateur romain, est poussé par la foule à mettre à mort Jésus, alors même qu'il doute de la culpabilité de celui-ci et tente par tous les moyens de l'épargner. Fléchi par l'obstination des accusateurs qui lui demandent la tête du Christ et peu désireux de mettre en danger son autorité, Pilate consent finalement à faire crucifier Jésus non sans avoir marqué qu'il ne prend cette décision qu'à son corps défendant.

« Rome.

Feignant de croire que la royauté à laquelle Jésus aspirait était politique et non spirituelle, ils présentaientcelui-ci comme un personnage subversif, remettant en cause le pouvoir même du colonisateur.

Pilate n'avait plusd'alternative.

Il lui fallait condamner Jésus pour rester fidèle au principe même dont il tirait son autorité.Forcé à cette décision, Pilate pouvait cependant montrer sa désapprobation par un geste symbolique.

Ce qu'il fit ense lavant publiquement les mains comme pour se purifier par avance du sang qu'on l'obligeait à faire couler.

Cefaisant, il utilisait un symbole évident pour les Juifs.

On lit, en effet, dans la partie de la Bible consacrée à la loi duTalion — passage situé dans le Deutéronome (21, 6-9) — que si un homme est retrouvé mort sans qu'on puissedécouvrir qui est responsable de ce crime, une génisse doit être sacrifiée pour purifier la communauté et :«...

tous les anciens de la ville la plus proche de l'homme tué se laveront les mains dans le cours d'eau, sur lagénisse abattue.

Ils prononceront ces paroles: "Nos mains n'ont pas versé ce sang et nos yeux n'ont rien vu.Couvre Israël ton peuple, toi Yahvé qui l'a délivré, et ne laisse pas verser un sang innocent au milieu d'Israël tonpeuple." Et ils seront couverts contre la vengeance du sang.

»D'une manière claire, Pilate faisait donc allusion par son geste à une cérémonie juive et marquait par 1,à-même qu'ilse considérait comme innocent du crime qui allait être commis.

L'expression « se laver les mains de quelque chose »est passée, comme on le sait, dans la langue française.• Dans sa sécheresse et sa brièveté, le texte de l'Evangile nous dit peu de choses de la psychologie de Pilate et desraisons de son geste.

Il appartenait sans doute à la littérature de faire parler ce silence, de l'explorer et del'interroger.

Roger Caillois, écrivain français, s'y est employé dans un court récit publié en 1961 et simplementintitulé Ponce Pilate.Dans ce récit, Caillois suit de très près les Ecritures, se contentant de compléter les dialogues par de brèves etvraisemblables incursions dans la psychologie du procurateur.Son récit se distingue cependant sur un point de l'histoire que nous connaissons.

Caillois imagine que Pilate, loin decéder à la foule et à la pression des grands prêtres, décide contre toute logique mais pour se prouver à lui-même lafermeté dont il est capable, de laisser la vie à Jésus.

Celui-ci est soustrait à ses accusateurs et relâché.

Il s'éteintdes années plus tard, de sa belle mort.Privé de son apothéose dramatique, Jésus, cependant, redevient presque un homme comme un autre.

Sans sa mort,le christianisme n'est pas possible et Jésus disparaît à jamais de la mémoire des hommes.

Ne reste même pas de luicette sommaire notation par laquelle Tacite, dans ses Annales, signalait sa crucifixion.Caillois veut nous faire sentir que la gloire du Christ n'était possible que par le geste de Pilate.

La grandeur du Christest au prix de la lâcheté et de la faiblesse de Pilate.Le parallèle est évident à tracer entre Pilate et Judas.

La situation, en effet, est la même.

Judas, certes, trahitJésus, mais cette trahison est nécessaire au projet divin car, sans la trahison de Judas, pas de Passion pour leChrist, et, sans Passion du Christ, pas de résurrection et de rachat pour l'humanité.L'écrivain argentin Jorge Luis Borges, dans une nouvelle superbe — « Trois versions de Judas », Fictions — poussece paradoxe jusqu'au bout.

Par la bouche de l'un de ses personnages, il y esquisse la théorie suivante : partant duprincipe que la trahison de Judas est aussi nécessaire à la rédemption de l'humanité que la mort du Christ et qu'il y aplus d'infamie et de douleur à trahir qu'à se voir crucifié, Borges fait de Judas le double véritable du Christ, notresecret et véritable Sauveur.Voir aussi la réhabilitation de Judas, faite par Thomas de Quincey (1785-1859) dans Judas Iscariote, oeuvre rééditéeavec une préface de Pierre Leynis intitulée «Judas mon prochain » par les éditions Ombres (Toulouse 1990).Mikhaïl Boulgakov évoque aussi l'épisode relatif à Ponce Pilate dans les chapitres 2, 16, 25 et 26 de son romanintitulé Le Maître et Marguerite, chapitres qui constituent une sorte de roman dans le roman.

Pilate, dont l'auteurdécrit les tourments, se laisse aussi forcer la main et envoie Yeshoua Ha-Nozri au supplice.

Mais il le regretteensuite, se demandant s'il n'aurait pas dû marcher sur les pas de ce philosophe un peu fêlé.

Il ne dormira en paixqu'après avoir lui-même...

tué Judas.. »

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