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Nous n'avons pas d'autre réalité que l'illusion. Luigi Pirandello

Publié le 22/02/2012

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illusion
• Luigi Pirandello (1867-1936), auteur italien né en Sicile, a écrit de nombreux romans, nouvelles et pièces de théâtre. Le drame intitulé Six personnages en quête d'auteur, auquel est empruntée la citation ci-dessus, ne comporte ni actes ni scènes et a d'abord été représenté en 1921, à Rome, où il a fait scandale : on accueille alors l'auteur aux cris de farceur («buffone») et au cabanon «manicomio»)! Cependant, quatre mois plus tard, la pièce, reprise à Milan avec les mêmes interprètes, obtient un triomphe. L'argument de ce drame est simple : six personnages, inachevés par l'auteur (Pirandello), et donc réduits au « rôle» potentiel qui leur a été assigné, viennent troubler la répétition d'une comédie du même Pirandello intitulée A chacun son rôle; ils réussissent à imposer au directeur de la troupe, comme aux acteurs présents sur scène, la représentation de leur propre drame.
illusion

« LE DIRECTEUR, se décidant à prendre la chose en plaisanterie.

— Ah, oui! Et dites donc, pendant que vous y êtes, que vous-même, avec cette pièce que vous venez me jouer ici, vous êtes plus vraiet plus réel que moi! LE PERE, avec le plus grand sérieux.

— Mais sans aucun doute, Monsieur! LE DIRECTEUR.

- Ah, oui? LE PERE.

- Je croyais que vous l'aviez compris dès le début. LE DIRECTEUR.

- Plus réel que moi? LE PERE.

- Puisque votre réalité peut changer du jour au lendemain... LE DIRECTEUR.

- Mais bien sûr qu'elle peut changer! Elle change continuellement : comme cellede tout le monde! LE PERE, dans un cri.

— Mais pas la nôtre, monsieur! Vous comprenez? C'est là toute la différence! Elle ne change pas, elle ne peut pas changer, ni jamais être une autre, parce qu'elleest déjà fixée — déjà ainsi — déjà 'celle-ci' — pour toujours — (c'est terrible, monsieur!) une réalité immuable, qui devrait vous faire frissonner tous quand vous vous approchez de nous!» (traduction de Michel Arnaud) Dans la mesure où l'art confère à la vie une forme et un style, il lui est supérieur, semble vouloir nous dire Pirandello.Néanmoins, sitôt que l'oeuvre d'art s'immobilise dans son achèvement, inaltérable et parfaite, elle cesse d'emprunterà la vie le mouvement et le changement qui caractérisent celle-ci. Comment, dès lors, entretenir l'illusion que, en raison de son autonomie apparente, l'oeuvre d'art — l'oeuvredramatique, en particulier — puisse être tenue pour plus «vivante » et plus « vraie» que la vie même? Tel est le problème que Pirandello situe au coeur de sa pièce.

Pour faire en sorte que l'illusion paraisse plus vraie que la réalité,le dramaturge dispose, à vrai dire, d'un privilège qui est de créer des personnages susceptibles de s'incarner dans laréalité vivante que leur prête, sur la scène, la présence en chair et en os des acteurs.

Le Père l'affirme : la seulejustification du Directeur est justement de «faire paraître vrai ce qui ne l'est pas », ou, ajoute-t-il, de « donner vie sur la scène à des personnages imaginaires», ce que confirme avec pertinence le Directeur quand il magnifie la profession de comédien. Mais qu'advient-il si, «par lassitude ou par mépris du théâtre», selon les termes de la Belle-Fille, le créateur refuse d'achever ses personnages, ou, du moins, les abandonne en chemin? Telle est la situation initiale qu'explore la pièce.Absence apparente de composition, inachèvement du drame, désordre, voire chaos de l'intrigue, tout concourt àdonner l'impression d'une improvisation d'ensemble au spectateur de cette pièce.

Savant désordre, qui rapproche cedrame du drame romantique ou du mélodrame, comme l'explique Pirandello dans sa Préface : «Même en cherchant minutieusement, je n'aurais pu trouver une manière plus désordonnée,plus bizarre, plus arbitraire et plus compliquée, c'est-à-dire plus romantique, de représenter `ledrame dans lequel sont impliqués les six personnages'.

» Ce drame fait l'objet d'une présentation parodique, selon une esthétique romantique, en raison du parti prispassionnel qui anime les personnages à leur insu.

Se donnant en spectacle dans une autre pièce et sur une autrescène que celles où ils devraient se produire s'ils étaient achevés, ces personnages s'agitent dans le vide et serendent ridicules : «Je les présente comme les personnages d'une autre pièce qu'ils ignorent, qu'ils ne soupçonnentmême pas, si bien que leur agitation passionnée, typique des procédés romantiques, est situéede manière humoristique et assise sur le vide.

» Contradiction féconde entre l'apparence et la réalité, puisque, si elle procède du chaos originel que l'auteur adédaigné de vouloir maîtriser, c'est cette contradiction qui a été retenue pour être le sujet de la pièce : «Mais c'est précisément ce chaos organique et naturel que je devais représenter, et représenter un chaosne signifie nullement le représenter de manière chaotique.

» Ces personnages sont en fait les victimes d'une tragédie dont ils peuvent prendre la mesure puisque la fatalité quiles accable est le fait du refus, exprimé par l'auteur, de composer, d'organiser, de résoudre le drame dans lequel ilssont impliqués. En les privant d'une représentation en bonne et due forme, l'auteur les condamne à réclamer, pathétiquement, mais,aussi bien, dérisoirement, le droit de vivre sur la scène, en quête d'un auteur. C'est donc la comédie d'une tragédie que nous présente, en fait, l'auteur.

En contestant à ses personnages laréalité de leur illusion — qu'ils réclament à cor et à cri sous le mode pathétique ou tragique — l'auteur les prive deleur « raison d'être» (Préface de la pièce), qui est de paraître sur scène pour tenir leur rôle.. »

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