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Profession : menteur. François Périer

Publié le 22/02/2012

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• Cette phrase laconique constitue, à elle seule, le titre donné par l'acteur François Périer à son livre autobiographique (Lé Pré aux Clercs, 1990). Le célèbre comédien, après cinquante ans de vie professionnelle consacrée au théâtre (le cinéma n'est pas son vrai métier, comme il s'en explique à la fin de son livre), signale, comme étant à t'origine de sa vocation, l'habitude, contractée dès l'enfance, de se raconter des histoires :

« «Pour ma part, je me sentais mal à l'aise dans ce rôle.

Il m'est même arrivé une chose unique dans ma carrière : j'aipris mon personnage en grippe.

J'avais perdu cette distanciation, qui est, à mon sens, le secret de la comédie : aufil des représentations, cet individu me paraissait en plus en plus haïssable.

»Autre expérience analogue : François Périer explique encore qu'en jouant Johnnie Coeur, de Romain Gary, en 1962,au Théâtre de la Michodière, il constate que le public ne réagit pas.

Explication : «J'ai fait l'erreur de prendre le rôle principal, au lieu de me contenter de la mise en scène.

Le personnage était unescroc profond, un type vraiment dégueulasse.

Depuis vingt ans, je jouais les braves types et le public ne voulaitpas me voir autrement qu'en honnête homme.

» Ces deux expériences mettent l'accent sur la nécessité de la « distanciation », comme le déclare François Périer lui-même.On se gardera, bien entendu, de confondre cette notion de dédoublement qu'implique le terme de distanciation avecl'attitude critique que suppose le terme de distanciation chez Brecht.

Autant la distanciation, telle que l'entendFrançois Périer, confirme ce que Diderot réclamait de l'acteur — un jeu contrôlé et donc distant —, autant ladistanciation selon Brecht vise à neutraliser toute velléité d'identification, chez l'acteur, mais aussi bien chez lespectateur.Le jeu théâtral, pour Diderot comme pour François Périer, doit, avant tout, susciter la communion, fondée surl'identification, entre l'acteur identifié à son personnage, d'une part, et, d'autre part, le public, lui aussi engagé dansla même complicité identificatoire.Bien plus, l'intérêt supplémentaire — et peut-être prépondérant — de l'expérience vécue par François Périer, c'estque le menteur professionnel, qu'il s'identifie au personnage qu'il incarne ou se détache de lui, ne se verra justifiéque par l'accueil de son public, tant il est vrai que la raison d'être du théâtre, pour l'acteur — mais n'en est-il pasainsi également pour le spectateur vis-à-vis de l'acteur? — est la participation vécue avec le public.

Etre menteurpar profession, telle est la véritable passion de l'acteur :«Bien sûr, j'adore séduire.

Plus souvent que la moyenne des hommes.

Pour moi, c'est tous les soirs.

Tous les soirs,je fais tout ce que je peux pour y parvenir, j'y mets toute mon énergie, un peu de talent et une infinie passion.Avouons-le : tout le reste me paraît à jamais secondaire.

»(Profession : menteur)Selon les règles de l'art, seul le comédien doit éviter, quand il joue, de s'identifier à son personnage, conditionexpresse pour que son public puisse prendre ses mensonges pour la vérité.

Mais il semble bien — et c'est tout à sonhonneur — que François Périer déroge à ces règles, d'abord quand il s'identifie aux personnages de son choix — iln'est pas à l'aise dans les rôles d'escrocs — et enfin quand il ne peut manquer de s'identifier à son public.Autrement, le jeu n'en vaudrait pas la chandelle...Diderot, au XVIIIe siècle, recommandait au comédien le plus total détachement dans son jeu, de manière àprovoquer plus efficacement l'identification du spectateur.

Plus proche de nous, Brecht, au XX' siècle, dans sonPetit organon pour le théâtre (1948), réclamait de l'acteur, au nom de l'efficacité, également,- le détachement leplus marqué par rapport au rôle qu'il interprète.

Pour Brecht, le comédien doit établir avec le jeu théâtral la mêmedistance que celle qui est requise du spectateur.

C'est qu'il s'agit, par le recul constamment maintenu, d'amener lespectateur à une critique raisonnée du rôle et du drame.Si les moyens sont les mêmes chez Diderot et chez Brecht, les fins sont radicalement opposées.

Autant ledétachement, l'impersonnalité, est, chez Diderot, au service du pouvoir de faire illusion, autant le jeu de l'acteur,selon Brecht, s'appuyant sur le même dédoublement volontaire entre le rôle et l'acteur, milite en faveur de lacontestation de l'illusionnisme théâtral.

Que l'on soit «menteur» par goût invétéré du théâtre ou par vertu, lemensonge est toujours au service d'une certaine recherche de la vérité.. »

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