Contexte
Différents thèmes sont abordés dans les quatorze contes de ce recueil : le tragique (le Diable), le grivois, le cynique et le sentimental (le Signe, Au bois), la satire antibourgeoise (Une famille, le Vagabond), la guerre (les Rois), l'amour (Amour), la mélancolie de l'enfance (Clochette), la mort d'un bon vivant (le Marquis de Fumerol), le surnaturel et la folie (le Horla, l'Auberge), le meurtre (le Trou).
Le Horla
C'est le titre du premier conte de ce recueil. Inspiré par les études du docteur Jean Charcot sur les maladies du système nerveux, il mêle folie et surnaturel.
Un homme écrit son journal. Il est victime d'hallucinations. Il est obsédé par la présence d'un être mystérieux, qu'il nomme "Horla", et dont le corps, invisible et impalpable, le met hors de sa portée. Cette espèce de surhomme s'empare des hommes pour leur imposer sa propre volonté et absorber toute leur énergie. Le journal s'interrompt brusquement, son auteur ayant sombré dans la folie.
L'Auberge
Ce conte reprend le même thème que le Horla. Ulrich, un jeune montagnard suisse, travaille comme gardien dans une auberge de montagne. C'est l'hiver. Gaspard disparaît pendant une partie de chasse. Ulrich croit être persécuté par l'âme de son compagnon et devient fou.
Le Trou
Un pêcheur à la ligne, Léopold Renard, provoque la mort d'un homme. En cour d'assises, il tente de se disculper en racontant que sa dispute avec un autre pêcheur au sujet d'une femme a provoqué sa chute dans un endroit dangereux de la rivière.
Résumé
Un jour de mai, le narrateur éprouve le besoin de relater son existence par le biais d'un journal. Etendu dans l'herbe, il contemple la nature printanière et la maison dans laquelle il a grandi. Il admire le cours ondoyant de la Seine et le passage d'un superbe trois-mâts brésilien.
Quelques jours plus tard, il se réveille souffrant et médite sur les influences mystérieuses qui peuvent altérer l'état physique et moral de l'homme. Il passe d'une humeur enjouée à un sentiment de nervosité et de désolation, accompagné de forte fièvre. Au fil des semaines, ce malaise apparemment anodin semble s'empirer. La fièvre monte, mais le médecin ne décèle aucun symptôme alarmant. Pourtant, le narrateur en vient à éprouver le besoin de s'enfermer dans sa chambre, sans pour autant en ressentir une quelconque sécurité : une fois les verrous poussés naît une crainte diffuse de se coucher. Après avoir détaillé chaque recoin de la pièce, il s'étend, tentant d'analyser la peur qui le tenaille. Serait-ce un dérangement physique...? Etreint d'une angoisse indescriptible, il s'efforce d'attendre le sommeil. Chaque jour, le même cauchemar l'envahit après quelques heures: quelqu'un s'approche de lui, le regarde, le palpe, monte sur son lit, s'agenouille et tente de l'étrangler. Après un moment de paralysie somnolente, il se réveille en sursaut, couvert de sueur. Or, la pièce est vide : tout est normal. Chaque crise est suivie d'une période de calme durant laquelle le narrateur récupère jusqu'à l'aurore.
Durant les jours qui suivent, il tente d'échapper à cette étreinte floue; mais les promenades en forêt ne lui apportent pas de répit et il décide de partir en voyage. Il fait un court séjour au mont Saint-Michel. Le décor idyllique et l'ambiance sont propices à la méditation. Un moine lui raconte de vieilles légendes locales. Il en vient à parler de la perception humaine. L'homme ne peut appréhender le centième de ce qui existe. Il prend comme exemple le vent qui gémit, abat les arbres, renverse des navires, et pourtant est invisible.
Après cette halte, le narrateur rentre chez lui. Mais ses cauchemars le harcèlent à nouveau. Au cours de ses nuits d'angoisse, il fait une découverte effarante : sa carafe d'eau, pleine le soir, est vide à l'aube. Le narrateur se croit somnambule — seule hypothèse rationnellement acceptable — bien que, confusément, il décèle depuis longtemps une présence à ses côtés. Afin d'écarter la possibilité de la folie, il se livre à une expérience : il cèle d'un linge le goulot de la carafe. Mais au petit matin, l'eau a été bue.
Le narrateur décide de partir pour Paris où il rend visite à une cousine. Il assiste à une expérience d'hypnotisme qui le trouble beaucoup. Cette séance est accompagnée d'un discours : «l'homme, impuissant face aux forces mystérieuses qui l'entourent, tente de suppléer, par son intelligence, à l'impuissance de ses organes. »
Le narrateur rentre chez lui et est rapidement en proie à l'angoisse ; les événements se précipitent : admirant un de ses rosiers, il voit une tige se plier sous l'action d'une main invisible et la fleur monter puis disparaître. Figé d'horreur, il ne peut croire à une hallucination. Serait-il fou? Il a vu tant d'hommes en proie à la démence, tenant par ailleurs des raisonnements d'une logique implacable...
Les mois ont passé, les nuits affreuses se succèdent. Le narrateur se sent à présent envoûté par une force obscure qui anéantit sa volonté, et guide ses moindres faits et gestes. Il passe ses nuits à épier son invisible agresseur. Celui-ci ne le quitte plus; une nuit, le narrateur le surprend en train de lire son livre — sur le bureau, les pages tournent toutes seules — et décide de lui tendre un piège. Il veut le cerner, mais n'arrivera qu'à le «voir» : sentant la présence derrière lui, il se lève précipitamment et se retourne, se trouvant ainsi face à la glace de sa chambre : or, il n'y voit pas son reflet. Le « Horla » — tel est le nom que la « chose » lui a soufflé — se trouve en face de lui et lui cache sa propre image.
Durant les jours qui suivent, le narrateur lit un article scientifique parlant d'un cas de folie collective ayant atteint les habitants de Sao Paulo: ils fuyent de toute part, hantés par une puissance pareille à celle qui étreint le narrateur. Le trois-mâts brésilien lui aurait-il apporté cet être supérieur, celui qui «succédera à l'homme»?
Dans un sursaut d'énergie désespérée, le narrateur tente de détruire cet être insaisissable en mettant le feu à sa maison, abandonnant à leur épouvantable sort ses domestiques dans le brasier. Il assiste, délivré et effondré, à la lente progression des flammes. Mais une angoisse l'étreint aussitôt. «Et si le Horla n'était pas mort?... » Il faudra donc qu'il se tue, lui!...
Le souci du détail
Né juste à la moitié du XIXe siècle, Maupassant a laissé une œuvre dense et variée. Ses racines normandes marquent profondément l'écrivain et forment le décor de plusieurs de ses récits.
La mésentente de ses parents lui donne très tôt une vision pessimiste de la vie. Placé dans une institution ecclésiastique, il commence à écrire des vers romantiques et des petites pièces irrévérencieuses, et dévore la littérature du XVIIIe siècle. Sa plus grande joie est de passer ses vacances à Etretat où il adore l'élément aquatique, qui sera propice à toutes les rencontres, féminines mais également rencontres de poètes et d'artistes.
A vingt ans, Maupassant fait une rencontre décisive : Gustave Flaubert, avec qui il fera son apprentissage d'écrivain. C'est lui qui lui inculque le souci du petit détail précis, et lui apprend à regarder les choses. Il écrit avec acharnement, mais s'adonne également à tous les excès.
A trente ans, il écrit une nouvelle qui sera considérée comme un chef-d'œuvre et sera son premier succès : Boule-de-Suif. Cet événement bouleverse sa vie et lui permet de rentrer dans un journal, où il rédige des contes à suivre et des chroniques, souvent inspirés de faits divers réels. Il acquiert un style journalistique: vivant, précis, parfois caustique, et touche aux sujets les plus variés : récits de guerre, petites scènes normandes, études de mœurs. Le milieu dans lequel il évolue lui inspirera un roman célèbre : Bel-Ami.
La réalité rejoint la Action
Les années qui suivent constituent la période la plus féconde de sa vie : reconnu comme écrivain talentueux, il écrit l'équivalent de trente volumes dont principalement des contes, des chroniques et quelques romans.
La maladie dont il est atteint (syphilis, troubles de la vue) le pousse à user de drogues diverses afin de calmer ses douleurs. Il s'intéresse de plus en plus aux cas de folie et à l'hypnotisme (qui lui inspirera un passage important dans la seconde version du Horla). Mais ces drogues provoquent chez l'écrivain des hallucinations répétées durant lesquelles il est en proie à des terreurs effroyables. Les intrigues relatées dans ses nombreux contes fantastiques sont, et pour cause, empreintes d'un réalisme poignant. De là à dire que Maupassant écrivit ses contes parce qu'il était fou, il n'y a qu'un pas que beaucoup franchirent allègrement. La rédaction du Horla suscita à ce sujet de violentes polémiques. Pourtant, ce conte à la structure savante, au style clair, témoigne d'une maîtrise mentale exceptionnelle.
Il existe deux versions du Horla, écrites à la même époque (1886 et 1887). Dans la seconde version (résumée dans ce livre), l'auteur abandonne le style du récit traditionnel au profit du récit journalistique en «Je», qui rend plus réaliste et plus impressionnant le déroulement de l'intrigue. Le temps s'y écoule lentement, puis l'auteur opère un crescendo jusqu'à la chute finale.
Les lieux jouent également un rôle non négligeable dans le conte, celui d'ancrer le récit dans une réalité palpable (les bords de la Seine, Paris) et celui de faire naître une tension, qui évoluera jusqu'au paroxysme, dans un espace clos (la chambre, lieu intime s'il en est).
Les objets familiers et innocents de prime abord donnent également naissance à l'angoisse : de rassurants, ils deviennent étrangers et agressent le narrateur: quoi de plus terrifiant qu'une carafe qui se vide toute seule, qu'une page de livre qui se tourne comme par enchantement, qu'une rose dont la tige se casse sous une main invisible? L'art de Maupassant réside dans le fait de créer l'étrange par le biais du quotidien, de l'anodin.
Le Horla : une présence indescriptible
Si Maupassant décrit, dans de nombreux autres contes, l'être ou l'objet fantastique avec force détails {La Main d'écorché, L'Apparition,...), Le Horla, quant à lui, fait naître la terreur par sa seule présence insaisissable. Tout son être invisible pèse sur la chambre désolée et étreint le narrateur jusqu'à lui glacer l'âme. Aucune description horrible n'en dessine les traits. Pourtant, le lecteur, tout comme le héros, a la certitude de sa présence. L'angoisse atteint son paroxysme lorsque le narrateur déclare avoir «vu» le Horla: se regardant dans le miroir, le héros ne s'y voit pas: l'immatérialité du Horla lui a volé, l'espace de quelques instants, son reflet; telle est l'unique et terrible description que fait Maupassant de l'être qui hante son personnage. Plus que tout autre détail macabre, cette «apparition» est stupéfiante: une «transparence opaque»...
L'anéantissement par le double
Si le thème du double apparaît dans de nombreux contes de Maupassant, il est pleinement exploité dans Le Horla : l'être mystérieux prend, peu à peu, l'âme du héros après lui avoir ravi son lieu intime, ses objets, son sommeil, sa raison. C'est un autre lui-même qui l'anéantit peu à peu.