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Baruch de Spinoza par Roland Caillois Agrégé de philosophie Dans l'étrange ghetto d'Amsterdam que nous laisse entrevoir Rembrandt, Baruch de Spinoza vécut une enfance studieuse et docile.

Publié le 05/04/2015

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Baruch de Spinoza par Roland Caillois Agrégé de philosophie Dans l'étrange ghetto d'Amsterdam que nous laisse entrevoir Rembrandt, Baruch de Spinoza vécut une enfance studieuse et docile. Sa famille, originaire d'Espagne, tenait un rang honorable dans la conduite des affaires commerciales et culturelles de la communauté juive. Puisque au dire de ses maîtres et particulièrement du sévère traditionaliste Saül Moteira, le jeune Baruch était remarquablement doué pour la théologie, on le destinait sans doute au rabbinat. Habile à commenter le Talmud, il paraissait tout désigné pour succéder à ses maîtres dans la défense du dogme et de la tradition. Baruch était tout le contraire d'un révolté, le contraire d'un sceptique et d'un libertin. Mais c'était un esprit libre, et c'est pourquoi le 27 juillet 1656, cet univers déjà mort dans son coeur se sépara de lui comme d'un membre malade. Ce n'est sans doute pas sans amertume que Saül Morteira frappa de la terrible excommunication son disciple le plus ardent, aujourd'hui accusé " d'effroyables hérésies " par les fanatiques. Il comprit ce jour-là que la question était encore plus grave en constatant l'absence de Spinoza dans la salle : le disciple n'était pas venu entendre la sentence parce que rien de tout cela n'avait de sens pour lui désormais. Pourtant Spinoza avait soigneusement rédigé ce qui n'était guère une défense, mais déjà l'esquisse d'une autre pensée. En un court texte, dont on trouvera plus tard le développement dans le Tractatus theologico-politicus, il avait renouvelé ses doutes sur l'enseignement rabbinique, sans provocation mais avec fermeté : il n'était plus possible de croire aveuglément en l'authenticité et la sainteté des livres sacrés, et au-delà de cette exégèse biblique, il y avait le doute sur l'esprit même de toute religion. Les accusateurs n'avaient pas soupçonné à quel point Spinoza était loin d'eux. Le voilà donc seul, à vingt-quatre ans, on ne sait trop où, gardant le contact avec la maison de commerce de son père, mais bientôt, pour gagner son indépendance, apprenant la délicate taille des verres télescopes. Et dans cette mystérieuse solitude, il cherche à comprendre ce que signifie cette rupture avec la race et la religion de son enfance. Il n'est pas devenu chrétien pour autant. Certes, il a, sans crainte et avec curiosité, fréquenté les chrétiens libéraux, voire les libres-penseurs qui se réunissaient chez l'ex-jésuite Van den Endem, mais il n'a jamais songé à rallier la foi chrétienne. Ce n'est donc pas qu'il ait abandonné la fausse Église pour une autre, c'est qu'il a été séduit par une autre vie, la vie en pensée, la vie philosophique. De cette méditation solitaire sont nées les quelques propositions fondamentales de l'Éthique, mais le livre, lentement rédigé, cent fois repris, ne paraîtra qu'après sa mort. Spinoza était parfaitement conscient qu'il contenait la réponse définitive à l'anathème prononcé contre lui et il savait cette réponse quasi incroyable ; il savait que ce livre n'avait peut-être pas un seul lecteur véritable ni parmi ses ennemis ni même parmi ses amis. Dieu et l'homme " Les athées, dit Pascal, doivent dire des choses parfaitement claires. " Ils ne croient en effet qu'à leur pouvoir naturel de connaître, ils ne doivent pas admettre que subsiste en leur âme et dans le monde une zone obscure où puisse se cacher un Dieu. On doit exiger qu'ils distinguent tous les contours. Spinoza n'a pas connu Pascal, mais il a étudié toutes les théologies, la juive et la chrétienne, et la théologie parle de Dieu, elle est discours et, comme tout discours sensé, elle se veut cohérente et veut révéler son objet. Elle doit donc dire, comme les athées, des choses parfaitement claires. Or, selon Spinoza, la théologie échoue et s'enlise dans les contradictions. Certes, la religion spirituelle a raison : l'unique chose qui compte pour l'homme est son salut, l'union mais cette union ne peut être recherchée dans la crainte et le gémissement. L'homme vraiment homme veut comprendre ce que Dieu est. Croire, ne pas croire, c'est toujours croyance, et Spinoza, comme le théologien, a choisi la philosophie, c'est-à-dire le langage raisonnable. Il ne s'agit donc pas d'affirmer dans l'angoisse et le tremblement la présence de Dieu, mais bien de former l'idée de Dieu, de dévoiler, non l'existence, mais la nature vraie de Dieu. La théologie a tout dit, il reste à comprendre. Là est le secret de l'imperceptible ironie du philosophe qui sait ce que les autres entrevoient et pressentent sans savoir ce qu'ils voient. Les théologiens ont voulu penser Dieu, le Dieu de la religion juive et chrétienne ; ils ont voulu former le logos qui fait paraître Dieu tel qu'il est, non tel que les représentations de l'image et du sentiment l'ont peint et sculpté. Mais l'ont-ils assez pensé, avec la rigueur de l'esprit de vérité ? Ils se sont perdus dans l'immensité obscure et ineffable de l'infini et de l'éternel, ils ont décrit un Dieu trop humain, faible, avare, fantomatique, un Dieu indigne. Les questions traditionnelles ne sont pas absurdes mais elles ne sont qu'ébauches jamais conduites à leur fin, embarrassées par l'image de l'homme qui masque l'idée de Dieu telle que la révèle la raison. Dieu, pensé raisonnablement, Dieu qui n'humilie pas la raison, mais l'honore, se révèle alors Deus sive Natura, la nature même des choses. Par définition, Dieu est l'être absolu, ce qui est absolument substance, c'est-à-dire l'être qui est en soi et conçu par soi, qui n'est donc pas l'effet d'un autre et conçu par un autre concept, mais compréhensible et compris en lui-même, essence qui est existence, existence qui est nécessaire, qui est pleinement, la réalité intégrale, l'achèvement, la perfection. N'est-ce pas ce que, de tout temps, les philosophes ont appelé Natura, la nature des choses ? Or ce qui est pleinement réel n'est pas ceci ou cela ni la somme des êtres, mais le tout de l'être, le tout qui seul est l'Être. La totalité seule est absolument intelligible parce que, seule, elle est absolument et elle se révèle être absolument parce qu'elle est absolument intelligible. Toutes les autres choses ne sont que par elle, comprises en elle. L'être absolu est sans limites, ce en dehors de quoi il n'y a rien, totalité infinie et compréhensible comme infinie. Ce n'est donc plus l'effrayante et attirante profondeur du Dieu obscur, la distance sans cesse renaissante qui laisse toujours à l'âme une course sans fin à accomplir, la transcendance sacrée au seuil de laquelle l'homme demeure sans parole, abîme de petitesse ; l'infini est au contraire l'idée claire, parfaitement conçue et qui fait concevoir tout autre, source de tout être et de toute intelligibilité. L'infini n'est pas l'obstacle insurmontable de la raison, mais l'essence même de l'intelligibilité divine. Tout être fini n'est que partiellement intelligible et ne devient compréhensible parfaitement que compris dans le tout. Toute détermination est négation, c'est-à-dire : toute assignation de limites nie, exclut, quelque chose de l'infini qui est affirmation absolue, être positivement conçu. Au principe de toute chose, il y a l'être infini qui l...
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