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En quoi le crime, pour Durkheim, constitue-t-il un fait social ?

Publié le 16/08/2012

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durkheim

Le travail méthodique du sociologue permet de parvenir à une définition claire et épurée du fait social, à partir de critères observables et clairs qui se retrouvent à des périodes et des sociétés distinctes, sans n’en exclure aucune. Il dit ainsi « les conceptions juridiques des sociétés les plus inférieures ne sont pas moins dignes d’intérêt que celles des sociétés les plus élevées «. Le sociologue cherche à construire un fait social dans le but de l’étudier. Il utilise pour cela les statistiques (qui révèlent des faits dont on ne peut avoir conscience individuellement). La statistique est « un outil pour se dégager du subjectif «. Elle permet de mettre en évidence un fait social car elle dégage une possible régularité des faits. La statistique souligne la contrainte extérieure (l’influence qu’exerce la société sur l’individu). Mais une corrélation statistique ne doit surtout pas se confondre avec causalité, qui doit expliquer un phénomène social. Ainsi, le fait social répond à trois caractéristiques essentielles : il est extérieur à l’individu, il est doté d’un pouvoir de coercition (de contrainte) et il s’explique par d’autres faits sociaux.

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« Le crime est normal, parce qu'une société qui en serait exempte est tout à fait impossible ; telle est la première évidence paradoxale que fait surgir la réflexionsociologique.

S'il est un fait dont le caractère pathologique parait incontestable, c'est le crime.

Tous les criminologistes s'entendent sur ce point.

S'ils expliquent cette morbidité demanières différentes, ils sont unanimes à la reconnaître.

Le problème, cependant, demandait à être traité avec moins de promptitude.

Appliquons, en effet, les règles précédentes.

Le crime ne s'observe pas seulement dans la plupart des sociétés de telle ou telle espèce, mais dans toutes les sociétés detous les types.

Il n'en est pas où il n'existe une criminalité.

Elle change de forme, les actes qui sont ainsi qualifiés ne sont pas partout les mêmes ; mais, partout ettoujours, il y a eu des hommes qui se conduisaient de manière à attirer sur eux la répression pénale.

Si, du moins, à mesure que les sociétés passent des typesinférieurs aux plus élevés, le taux de la criminalité, c'est-à-dire le rapport entre le chiffre annuel des crimes et celui de la population, tendait à baisser, on pourraitcroire que, tout en restant un phénomène normal, le crime, cependant, tend à perdre ce caractère.

Mais nous n'avons aucune raison qui nous permette de croire à laréalité de cette régression.

Bien des faits sembleraient plutôt démontrer l'existence d'un mouvement en sens inverse.

Depuis le commencement du siècle, la statistiquenous fournit le moyen de suivre la marche de la criminalité ; or, elle a partout augmenté.

En France, l'augmentation est près de 300%.

Il n'est donc pas de phénomènequi présente de la manière la plus irrécusée tous les symptômes de la normalité, puisqu'il apparaît comme étroitement lié aux conditions de toute vie collective.

Fairedu crime une maladie sociale, ce serait admettre que la maladie n'est pas quelque chose d'accidentel, mais, au contraire, dérive, dans certains cas, de la constitutionfondamentale de l'être vivant ; ce serait effacer toute distinction entre le physiologique et le pathologique.

Sans doute, il peut se faire que le crime lui-même ait desformes anormales ; c'est ce qui arrive quand, par exemple, il atteint un taux exagéré.

Il n'est pas douteux, en effet, que cet excès ne soit de nature morbide.

Ce qui estnormal, c'est simplement qu'il y ait une criminalité, pourvu que celle-ci atteigne et ne dépasse pas, pour chaque type social, un certain niveau qu'il n'est peut-être pasimpossible de fixer conformément aux règles précédentes [1].

Nous voilà en présence d'une conclusion, en apparence assez paradoxale.

Car il ne faut pas s'y méprendre.

Classer le crime parmi les phénomènes de sociologienormale, ce n'est pas seulement dire qu'il est un phénomène inévitable quoique regrettable, dû à l'incorrigible méchanceté des hommes ; c'est affirmer qu'il est unfacteur de la santé publique, une partie intégrante de toute société saine.

Ce résultat est, au premier abord, assez surprenant pour qu'il nous ait nous-même déconcertéet pendant longtemps.

Cependant, une fois que l'on a dominé cette première impression de surprise, il n'est pas difficile de trouver les raisons qui expliquent cettenormalité, et, du même coup, la confirment.

En premier lieu, le crime est normal parce qu'une société qui en serait exempte est tout à fait impossible.

Le crime, nous l'avons montré ailleurs, consiste dans un acte qui offense certains sentiments collectifs, doués d'une énergie et d'une netteté particulières.

Pour que,dans une société donnée, les actes réputés criminels pussent cesser d'être commis, il faudrait donc que les sentiments qu'ils blessent se retrouvassent dans toutes lesconsciences individuelles sans exception et avec le degré de force nécessaire pour contenir les sentiments contraires.

Or, à supposer que cette condition pût êtreeffectivement réalisée, le crime ne disparaîtrait pas pour cela, il changerait seulement de forme ; car la cause même qui tarirait ainsi les sources de la criminalité enouvrirait immédiatement de nouvelles.

En effet, pour que les sentiments collectifs que protège le droit pénal d'un peuple, à un moment déterminé de son histoire, parviennent ainsi à pénétrer dans lesconsciences qui leur étaient jusqu'alors fermées ou à prendre plus d'empire là où ils n'en avaient pas assez, il faut qu'ils acquièrent une intensité supérieure à cellequ'ils avaient jusqu'alors.

Il faut que la communauté dans son ensemble les ressente avec plus de vivacité ; car ils ne peuvent pas puiser à une autre source la forceplus grande qui leur permet de s'imposer aux individus qui, naguère, leur étaient les plus réfractaires.

Pour que les meurtriers disparaissent, il faut que l'horreur dusang versé devienne plus grande dans ces couches sociales où se recrutent les meurtriers ; mais, pour cela, il faut qu'elle devienne plus grande dans toute l'étendue dela société.

D'ailleurs, J'absence même du crime contribuerait directement à produire ce résultat ; car un sentiment apparaît comme beaucoup plus respectable quand ilest toujours et uniformément respecté.

Mais on ne fait pas attention que ces états forts de la conscience commune ne peuvent être ainsi renforcés sans que les états plus faibles, dont la violation ne donnaitprécédemment naissance qu'à des fautes purement morales, ne soient renforcées du même coup ; car les seconds ne sont que le prolongement, la forme atténuée despremiers.

Ainsi, le vol et la simple indélicatesse ne froissent qu'un seul et même sentiment altruiste, le respect de la propriété d'autrui.

Seulement ce même sentimentest offensé plus faiblement par l'un de ces actes que par l'autre ;.

et comme, d'autre part, il n'a pas dans la moyenne des consciences une intensité suffisante pourressentir vivement la plus légère de ces deux offenses, celle-ci est l'objet d'une plus grande tolérance.

Voilà pourquoi on blâme simplement l'indélicat tandis que levoleur est puni.

Mais si ce même sentiment devient plus fort, au point de faire taire dans toutes les consciences le penchant qui incline l'homme au vol, il deviendraplus sensible aux lésions qui, jusqu'alors, ne le touchaient que légèrement ; il réagira donc contre elles avec plus de vivacité ; elles seront l'objet d'une réprobationplus énergique qui fera passer certaines d'entre elles, de simples fautes morales qu'elles étaient, à l'état de crimes.

Par exemple, les contrats indélicats ouindélicatement exécutés, qui n'entraînent qu'un blâme public ou des réparations civiles, deviendront des délits.

Imaginez une société de saints, un cloître exemplaire etparfait.

Les crimes proprement dits y seront inconnus ; mais les fautes qui paraissent vénielles au vulgaire y soulèveront le même scandale que fait le délit ordinaireauprès des consciences ordinaires.

Si donc cette société se trouve armée du pouvoir de juger et de punir, elle qualifiera ces actes de criminels et les traitera commetels.

C'est pour la même raison que le parfait honnête homme juge ses moindres défaillances morales avec une sévérité que la foule réserve aux actes vraimentdélictueux.

Autrefois, les violences contre les personnes étaient plus fréquentes qu'aujourd'hui parce que le respect pour la dignité individuelle était plus faible.Comme il s'est accru, ces crimes sont devenus plus rares ; mais aussi, bien des actes qui lésaient ce sentiment sont entrés dans le droit pénal dont ils ne relevaientprimitivement pas [2].

On se demandera peut-être, pour épuiser toutes les hypothèses logiquement possibles, pourquoi cette unanimité ne s'étendrait pas à tous les sentiments collectifs sansexception ; pourquoi même les plus faibles ne prendraient pas assez d'énergie pour prévenir toute dissidence.

La conscience morale de la société se retrouverait toutentière chez tous les individus et avec une vitalité suffisante pour empêcher tout acte qui l'offense, les fautes purement morales aussi bien que les crimes.

Mais uneuniformité aussi universelle et aussi absolue est radicalement impossible ; car le milieu physique immédiat dans lequel chacun de nous est placé, les antécédentshéréditaires, les influences sociales dont nous dépendons varient d'un individu à l'autre et, par suite, diversifient les consciences.

Il n'est pas possible que tout le mondese ressemble à ce point, par cela seul que chacun a son organisme propre et que ces organismes occupent des portions différentes de l'espace.

C'est pourquoi, mêmechez les peuples inférieurs, où l'originalité individuelle est très peu développée, elle n'est cependant pas nulle.

Ainsi donc, puisqu'il ne peut pas y avoir de société oùles individus ne divergent plus ou moins du type collectif, il est inévitable aussi que, parmi ces divergences, il y en ait qui présentent un caractère criminel.

Car ce quileur confère ce caractère, ce n'est pas leur importance intrinsèque, mais celle que leur prête la conscience commune.

Si donc celle-ci est plus forte, si elle a assezd'autorité pour rendre ces divergences très faibles en valeur absolue, elle sera aussi plus sensible, plus exigeante, et, réagissant contre de moindres écarts avecl'énergie qu'elle ne déploie ailleurs que contre des dissidences plus considérables, elle leur attribue la même gravité, c'est-à-dire qu'elle les marquera comme criminels.

Le crime est donc nécessaire : il est lié aux conditions fondamentales de toute vie sociale, mais, par cela même, il est utile ; car ces conditions dont il est solidaire sontelles-mêmes indispensables à l'évolution normale de la morale et du droit.

En effet, il n'est plus possible aujourd'hui de contester que non seulement le droit et la morale varient d'un type social à l'autre, mais encore qu'ils changent pour unmême type si les conditions de l'existence collective se modifient.

Mais, pour que ces transformations soient possibles, il faut que les sentiments collectifs qui sont à la. »

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