Devoir de Philosophie

La Révolution et l'Empire par François Furet De ce que la Révolution française a des causes, il ne s'ensuit pas que son histoire tient tout entière dans ces causes.

Publié le 05/04/2015

Extrait du document

histoire
La Révolution et l'Empire par François Furet De ce que la Révolution française a des causes, il ne s'ensuit pas que son histoire tient tout entière dans ces causes. Il est vrai que, d'un certain point de vue, on peut conceptualiser le bilan de la Révolution à partir de l'analyse de ses causes. On peut écrire par exemple que la crise de la société d'ancien régime débouche sur un nouveau type d'organisation sociale et politique ; ou encore que la société bourgeoise est née sur les ruines de la société nobiliaire. L'ennui, avec ce type d'interprétation, ne vient pas seulement de ce qu'il est largement tautologique, enfermant les effets dans les causes ; c'est aussi qu'il défie toute chronologie du processus révolutionnaire. La substitution d'une société bourgeoise (au sens de : juridiquement égalitaire) à une société nobiliaire (au sens de : fondée sur le privilège des individus et des groupes) peut en effet être considérée comme acquise à des échéances fort différentes. Dès 1789, par exemple, après la Déclaration et le 4 août. Ou en l'an II, avec la dictature égalitariste de la Terreur. Ou dans les années 1800, avec la fondation de l'État napoléonien et le code civil. On peut même s'amuser à déplacer l'échéance bien au-delà et à imaginer par exemple la Révolution française sous la forme d'un processus grossièrement séculaire, 1789-1880 : car seule la victoire décisive des républicains sur les monarchistes, au commencement de la Troisième République, règle définitivement le conflit qui s'est noué à la fin du XVIIIe siècle entre l'ancienne et la nouvelle société. Ces incertitudes chronologiques ont l'intérêt de souligner le fait que la Révolution ne peut être réduite à un simple schéma du type causal. Elle ne sort pas tout armée d'une inévitable crise des structures ; elle ne tient pas tout uniment dans la solution de cette crise de structures. Elle est, quand elle éclate, l'accident, rencontre improbable de séries causales qui n'auraient pas du se croiser ; et puis, une fois qu'elle a paru sur la scène, elle constitue une nouvelle logique de l'histoire, en bouleversant l'équilibre des forces. Le débat sur les causes de la Révolution française gagnerait en clarté si on en dissociait l'analyse du phénomène révolutionnaire lui-même, une fois qu'il a pris corps. En effet, pour peu qu'on l'étudie comme un déroulement d'événements, la Révolution n'obéit pas à la logique bureaucratique des effets et des causes. Elle est invention perpétuelle, création permanente ; elle met en mouvement tant de nouvelles forces, elle en détruit tant de traditionnelles que les mécanismes de l'histoire elle-même s'en trouvent transformés. Dans ce dialogue entre les sociétés et leurs États qui constitue la trame de toute histoire, tout, par la Révolution, bascule contre l'État, du côté de la société. Car elle mobilise l'une et désarme l'autre : situation inverse de celle des " périodes calmes ". Dès 1787, le royaume de France est une société sans État. Louis XVI continue à réunir autour de sa personne le consensus de ses sujets mais, derrière cette façade de tradition, c'est la débandade dans les murs : l'autorité royale, nominalement respectée, n'enveloppe plus dans sa légitimité celle de ses agents. Le roi a de mauvais ministres, des intendants néfastes : autre manière de dire que la société civile, où l'exemple circule de haut en bas, se délivre des pouvoirs de l'État, en même temps que des règles du jeu. Vient 1789 : du plus noble des nobles au plus rustique des ruraux, la société civile déploie d'immenses capacités d'initiative historique, libérées par la disparition des institutions et du pouvoir. La situation révolutionnaire est précisément caractérisée par cette vacance où s'engouffrent des forces inédites. La conscience révolutionnaire est cette illusion de vaincre un État qui déjà n'existe plus : elle est, dès l'origine, une perpétuelle surenchère de l'idée sur l'histoire réelle. La Révolution substitue aux vieux pouvoirs qui ont sombré la dynamique des désirs collectifs libérés ; le scandale de la répression commence quand cette répression a craqué. La Révolution est l'espace historique qui sépare une institution d'une institution, un pouvoir d'un autre pouvoir. C'est ce qu'on appelle la liberté, ou le désordre. Dans cette dérive imprévisible et accélérée de l'histoire, c'est donc l'envers de la société traditionnelle qui vient au jour, et qui occupe la scène. L'ancien régime était aux mains du roi, la Révolution est la geste du peuple. L'ancienne société était celle du privilège, la Révolution fonde l'égalité. L'ancienne France était un royaume de sujets, la nouvelle une nation de citoyens. La Révolution n'est rien si elle n'est une idéologie de la rupture radicale avec le passé, un formidable dynamisme culturel de l'égalité. Tout, désormais, économie, société, politique, plie sous cette poussée de l'idéologie et des militants qui en sont porteurs ; toute digue, toute institution est provisoire devant ce torrent qui ne cesse d'avancer. Si j'emploie ici le terme d'idéologie, c'est pour désigner deux choses : d'abord, que tous les problèmes intellectuels ou moraux sont devenus politiques, et qu'il n'y a pas de malheur humain qui ne soit justiciable d'une solution politique. Ensuite, que les militants révolutionnaires ont identifié leur vie à la défense de leurs idées, et qu'il y a de ce double fait une intolérance essentielle de l'idéologie révolutionnaire, comme de l'idéo-logie religieuse à ses beaux jours. Si la politique est devenue le domaine du bien et du mal, si c'est elle qui trace les lignes du partage entre les bons et les méchants, les patriotes et les traîtres, nous sommes dans un univers historique dont la dynamique est complètement nouvelle. Comme Marx l'a bien vu, dans ses oeuvres de jeunesse, la Révolution incarne l'illusion de la politique : elle transforme du subi en conscient. Elle inaugure un monde où tout changement de la société est imputable à des forces connues, répertoriées, animées ; comme la pensée mythique, elle investit ...
histoire

« par François Furet. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles