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Le mythe de Dom Juan avant Molière

Publié le 22/02/2012

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Il est certain que la fascination exercée par Dom Juan est due à une aura qui donne à cette pièce une place à part dans la production de Molière, l'aura d'un personnage mythique. Molière a créé des types universels en les dotant d'une force de généralisation qui les élève bien au-dessus des héros de théâtre ordinaires. Mais il n'a pas inventé Dom Juan. Dom Juan existait avant lui et a existé après lui. Tartuffe, Harpagon sont uniques. Dom Juan est innombrable, il se décline à l'infini. Telle est la différence entre un type et un mythe. Mais qu'est-ce qu'un mythe? Comment définir exactement à propos de Dom Juan un mot aussi usé, aussi fuyant que celui-là? Il importe, d'abord, je crois, de s'interroger sur le statut du mythe littéraire. Dom Juan, comme Faust, n'est pas seulement un mythe dans le sens où il participe d'un imaginaire collectif, mais aussi parce qu'il est producteur d'oeuvres, parce qu'il reste une figure « ouverte », une figure infiniment polymorphe. Il n'est pas seulement riche de ses déterminations, il est riche de ses potentialités.
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« Quelques données de base Cette version originelle qui donne naissance au mythe de Dom Juan s'intitulait Le Trompeur de Séville et le Convivede Pierre. La plupart des textes qui s'inspireront par la suite de Tirso ne retiendront que la seconde partie du titre fondée surl'épisode de la statue du Commandeur foudroyant le libertin pour le punir de ses crimes.Outre cette fin édifiante et spectaculaire, on relève, dans ce que l'on peut considérer comme la charpente dumythe, un certain nombre d'invariants.Ceux-ci procèdent tous de cette apparition du Mort châtiant son assassin pour accomplir la volonté du Ciel.

Ainsi,comme le suggère Jean Rousset, il convient, à partir de cette donnée de base, de lire le mythe à l'envers, enremontant des conséquences vers les causes : « Don Juan comme mythe prend donc naissance dans la mort, par le Mort, par le contact final avec l'Invité depierre, ce Convitato di pietra qui a donné leur titre à tant de pièces, de scénarios et d'opéras.

Eros et Thanatossont si étroitement associés dans cette aventure qu'en les dissociant on la dénaturerait; aussi cette histoire neprend-elle son sens que par sa fin.

Le drame de Don Juan se lit à l'envers, à partir de l'épisode fantastique : larencontre avec la Statue, les apparitions du Mort.

Tout se joue autour de ce face à face surnaturels, sur ce seuilinterdit aux vivants.

» (Rousset, 28, p.

21) La nature sexuelle des forfaits qui ont appelé ce châtiment est elle aussi invariable à partir du cadre fixé par Tirso.Celui-ci, conformément à la politique de la Contre-Réforme, avait voulu faire oeuvre morale.

A travers Dom Juan ilvisait le comportement libertin de la caste aristocratique qui menaçait l'ordre voulu par l'Eglise.

Mais son Dom Juanrevendique seulement la liberté des moeurs; il ne met jamais en question les fondements de la religion elle-mêmecomme le fera le Dom Juan de Molière.

Ainsi, le thème du catalogue et des « mille et trois » femmes séduites parDom Juan qui apparaîtra par la suite, bien que formellement absent de ce premier Dom Juan, découle pourtant desintentions moralisatrices du Frère de la Merci.

Les victimes du « trompeur de Séville » appartiendront aux différentesclasses de la société.On verra Dom Juan Tenorio abuser successivement d'une duchesse en se faisant passer pour son fiancé, d'unepêcheuse qui l'a sauvé d'un naufrage, de Donna Anna et d'une paysanne qu'il a promis d'épouser.

A ces éléments quirattachent la pluralité féminine à l'inconstance amoureuse s'ajoute l'artifice du déguisement que l'on retrouveraégalement par la suite, en particulier chez Molière.Dom Juan possédera invariablement les femmes qu'il convoite en prenant la place de leur amant ou de leur conjointlégitime.

Il séduit non en usant de son charme personnel, mais par ruse et tromperie, d'où le titre.

On trouve chezTirso l'épisode du naufrage consécutif à la fuite de Dom Juan.

Sans constituer un invariant, cet incident reparaîtradans d'autres Dom Juan, en particulier dans celui de Molière.La scène du viol de Donna Anna et de l'assassinat du Commandeur, corrélative du dénouement, survient audeuxième acte.Dom Juan s'est substitué à son ami le Marquis de La Mota dans le lit de Donna Anna; surpris par le père de celle-ci,le Commandeur, il le tue.Au dernier acte, Dom Juan entre dans une église où se trouve le tombeau du Commandeur.

Il tire la barbe de lastatue et l'invite à dîner.

Celle-ci accepte, vient dîner dans l'auberge de Dom Juan et l'invite à son tour pour lelendemain.Dom Juan relève le défi et vient dîner dans l'église avec la statue qui lui prend la main et le foudroie.Toutes ces péripéties se transmettront d'oeuvre en oeuvre et deviendront des lieux communs du mythe dont ellesconstituent la trame narrative.

On les retrouvera chez Molière.Mais si les aventures de Dom Juan, telles que Tirso les a fixées, laissent apparaître des constantes, chaque auteurles disposera à son gré selon des modalités différentes et leur attribuera des significations variables.On donne souvent Le Trompeur de Séville de Tirso pour la principale source de Molière, parce que c'est le texteinaugural du mythe de Dom Juan, son acte de naissance.

Mais il est douteux que Molière en ait eu connaissance.

Ila pris possession indirectement de cet héritage par le biais des versions italiennes qui ont introduit le mythe dansnotre tradition théâtrale. Le Dom Juan de la Commedia dell'arte Le principal acquis des Comédiens italiens est d'avoir traité le thème de Dom Juan dans le style de la Commedia dell'arte. On sait que Molière devait sa formation d'acteur comique à la Commedia dell'arte et au célèbre Scaramouche. Or, il a certainement vu le spectacle de l'Arlequin Biancolelli qui se donnait à Paris en 1661 et dont le Scenario nous est parvenu par une traduction française tardive, du début du XVIII' siècle. En entrant dans la tradition italienne, le mythe de Dom Juan subissait une stylisation qui le tirait vers la théâtralitépure, vers une géométrie scénique dont, à notre époque, le cinéma burlesque américain saura retrouver la veine à lafois truculente et abstraite.. »

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