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ABNÉGATION, substantif féminin.

Publié le 27/09/2015

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ABNÉGATION, substantif féminin.  

I.—  [Employé parfois avec un complément introduit par de, le mot complément étant, sauf exception (exemple 3, 4), un pronom personnel réfléchi (2, 6, 8, 12), mais le plus souvent sans complément, cet emploi absolu l'emportant à mesure qu'on approche de l'époque contemporaine]  Renoncement, sacrifice volontaire, consenti dans un intérêt supérieur et portant sur (une partie de) soi-même ou sur une valeur qui représente généralement un intérêt, une ambition, une satisfaction légitimes, etc. (Correspondance, à l'époque moderne, en l'absence d'un verbe *abnier au verbe renoncer). 

A.—  Renoncement ou sacrifice consenti pour des motifs de perfection morale et spirituelle : 

Ø 1. La justesse de l'esprit est impossible, à de certaines époques, sans une abnégation héroïque ou une dégradation complète. Schlegel, qui a moins de grâce, qui n'a pas plus de cohérence dans les idées et qui a des opinions beaucoup plus absurdes, s'est cru une grande supériorité sur Biot parce que Biot a disputé comme un français.

BENJAMIN HENRI CONSTANT DE REBECQUE, Journaux intimes,  octobre 1804, page 149. 

Ø 2. Il y a là quelque fondement au point de vue des théosophes, qui admettent qu'au moyen d'une certaine préparation mentale, spéculative et pratique, l'esprit peut tout savoir, tout comprendre même sans avoir rien appris, etc. en comparant ce point de vue à la doctrine de Fénélon sur l'abnégation et la désappropriation du moi, j'ai pensé que cette libre activité qui rend l'âme présente à elle-même et la constitue personne, moi, à ses propres yeux ne lui est donnée que pour se mettre au-dessus de la nature sensible et la surmonter en la dirigeant vers une fin morale ou intellectuelle.

MARIE-FRANÇOISE-PIERRE GONCTHIER DE BIRAN, DIT MAINE DE BIRAN, Journal,  1820, page 299. 

Ø 3. Ceux qui se fondent sur la passivité et l'unité de cause efficiente s'allient avec les doctrines mystiques et quiétistes où l'abnégation de toute volonté, la destruction de tout mouvement propre est la condition de la science la plus élevée, de la vertu la plus parfaite.

MARIE-FRANÇOISE-PIERRE GONCTHIER DE BIRAN, DIT MAINE DE BIRAN, Journal,  1822, page 349. 

Ø 4. Ainsi fait l'homme vraiment spirituel quand il immole ses passions et qu'il fait l'abnégation, le sacrifice de tout ce qu'il y a de sensible et de mortel en lui. L'homme moral qui exerce sa liberté et se commande à lui-même, sent bien qu'il est en même temps le prêtre et l'hostie : car c'est bien lui qui sacrifie et immole, et ce qui est immolé et sacrifié, c'est encore lui;...

MARIE-FRANÇOISE-PIERRE GONCTHIER DE BIRAN, DIT MAINE DE BIRAN, Journal,  1822, page 356. 

Ø 5. M. de Beaupréau était un de ces hommes qui prennent leur parti de toutes choses, surtout des déceptions d'amour-propre. Le dédain de sa femme, le désintéressement de sa fille, l'abnégation complète de Fernand à l'endroit de la dot, l'avaient humilié outre mesure; mais la pensée qu'il conserverait intacte la fortune de sa femme et marierait Hermine sans bourse délier, l'avait promptement consolé,...

PIERRE-ALEXIS, VICOMTE PONSON DU TERRAIL, Rocambole, les drames de Paris, les drames de Paris, L'Héritage mystérieux, 1859, page 195. 

Ø 6. Le véritable amour se manifeste uniquement par l'abnégation absolue de soi et l'anéantissement dans l'objet aimé. Qui garde son orgueil et sa pensée, a de la passion, non de l'amour;...

JOSÉPHIN PÉLADAN, Le Vice suprême,  1884, page 281. 

Ø 7. De tels sentiments sont de nature à inspirer non seulement ces sacrifices journaliers qui assurent le développement régulier de la vie sociale quotidienne, mais encore, à l'occasion, des actes de renoncement complet et d'abnégation sans partage.

ÉMILE DURKHEIM, De la division du travail social,  1893, page 207. 

Remarque : Les exemples de ce 1er.  groupe mettent en valeur l'aspect passif de l'abnégation, le mot étant mis en rapport avec renoncement (exemple 7), désintéressement (exemple 5), anéantissement (exemple 6); voire l'aspect négatif, abnégation étant alors associé à dégradation (exemple 1). Dans l'exemple 4 faire (l')abnégation de est synonyme de renoncer à; dans l'exemple 5 la construction abnégation à l'endroit de, motivée par la présence d'un premier complément introduit par de, est en même temps l'indice d'un emploi de plus en plus confiné à l'emploi absolu. 

B.—  Vertu : 

Ø 8. La bonté, cette charmante qualité, entraîne souvent à l'abnégation totale de soi-même, et c'est à vos amis à s'occuper de vous lorsque vous vous oubliez.

GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Lettres de jeunesse,  1785, page 47. 

Ø 9. Vous avez raison de railler l'ambition gigantesque de l'amour platonique. En vain l'esprit cherche à s'élever la souffrance le ramène toujours à terre. Oh! je m'en souviens; durant ces nuits embrasées que je passai près des flancs d'un homme, j'ai bien étudié les révoltes de l'orgueil contre les vanités de l'abnégation; j'ai senti qu'on pouvait en même temps aimer un autre que soi, au point de se soumettre à lui et s'aimer soi-même, au point de ressentir de la haine contre celui qui nous subjugue.

AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Lélia,  1833, page 172. 

Ø 10. Il est bon et doux, quoique sévère. Sa rigidité s'étend surtout à ce qui est utile et pratique. Le reste, il en décline la compétence avec une abnégation et une modestie étonnantes qui prouvent la vigueur paisible de son être.

LOUIS-ÉMILE-EDMOND DURANTY, Le Malheur d'Henriette Gérard,  1860, page 65. 

Ø 11. Un couvent, c'est une contradiction. Pour but, le salut; pour moyen, le sacrifice. Le couvent, c'est le suprême égoïsme ayant pour résultante la suprême abnégation.

VICTOR HUGO, Les Misérables, tome 1, 1862, page 622. 

Remarque : Abnégation est lié à des termes désignant des qualités : bonté (exemple 8), modestie (exemple 10) ou des défauts : orgueil (exemple 9), égoïsme (exemple 11). L'abnégation est souvent dite totale, complète, entière; des adjectifs tels que noble, courageux, héroïque soulignent l'aspect de grandeur et de dignité suggéré par le mot. La fréquence de la construction abnégation + épithète est liée au recul de la construction abnégation + complément introduit par de (confer supra dominante A, remarque). 

C.—  Dévouement : 

Ø 12. Les habitudes de la vie ascétique, les moeurs chrétiennes, ne sont pas les mêmes à toutes les époques de l'église : mais à aucune époque elles ne sauraient attirer le dédain ou le mépris des âmes pieuses et simples; car toujours elles ont offert à la charité, à l'humilité, à l'abnégation de soi, d'immortelles victoires à remporter, une pure et sainte gloire à conquérir.

CHARLES, COMTE DE MONTALEMBERT, Histoire de Sainte Elisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringe (1207-1231),  1836, page 238. 

Ø 13. (...) Ils ne sont pas prudents de peur d'être honteux;

Et disent que le pont où l'on se précipite,

Hardi pour l'abordage, est lâche pour la fuite.

Soi-même se scruter d'un regard inclément,

Être abnégation, martyre, dévouement, 

Bouclier pour le faible et pour le destin cible,

Aller, ne se garder aucun retour possible,

Ne jamais se servir pour s'évader d'en haut,

Pour fuir, de ce qui sert pour monter à l'assaut,

Telle est la loi; la loi du devoir, du calvaire,

Qui sourit aux vaillants avec son front sévère.

VICTOR HUGO, La Légende des siècles, tome 2, Paroles dans l'épreuve, 1859, page 782. 

Ø 14. Je m'amuse en même temps de ce respect pour soi-même, devenu naïf et religieux, et dont je connais plusieurs remarquables échantillons, dans toutes les églises. Ce type-là adore naturellement le dévouement, l'oubli de soi, l'abnégation, il les loue et les recherche avec enthousiasme et pour cause; mais il se garde de diminuer leur mérite en le partageant, ou leur rareté en les copiant

HENRI-FRÉDÉRIC AMIEL, Journal intime,  9 octobre 1866, page 477. 

Ø 15. Elle le voyait vaguement, ce rôle, pareil à celui d'un personnage de M. Scribe ou de Mme.  Sand. Il serait fait de dévouement, de fierté, d'abnégation, de grandeur d'âme, de tendresse et de belles paroles. Sa nature mobile se réjouissait presque de cette attitude nouvelle.

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 2, Yvette, 1884, page 525. 

Ø 16. Paule ne lirait jamais ces pages; pourtant il triomphait comme s'il l'avait obligée à se reconnaître dans le portrait qu'il avait tracé d'elle : une fausse amoureuse qui n'aime que ses comédiens et ses rêves; une femme qui joue la grandeur, la générosité, l'abnégation alors qu'elle est sans orgueil et sans courage, butée dans l'égoïsme de ses feintes passions.

SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins,  1954, page 262. 

Remarque : Dans ce groupe se révèle surtout l'aspect actif et donc efficace de l'acte d'abnégation; l'idée de renonciation à soi est liée à celle de l'acte de se tourner vers le service d'autrui : dévouement (exemple 13, 14), charité (exemple 12), générosité (exemple 16). 

II.—  Dans l'expression faire abnégation de, \" faire abstraction de \", avec une idée de renoncement volontaire et qui en coûte à celui qui y consent (confer historique II B) : 

Ø 17. Est-ce que la raison universelle considérée dans l'absolu est comparable à la lumière qui remplit l'espace et qui est, soit qu'on la perçoive ou non? La raison individuelle sera comme l'organe ou le sens approprié à cette lumière, et à l'aide duquel chaque homme y participe, et renoncer à sa raison propre ou en faire abnégation, pour ne croire qu'à la raison universelle, c'est précisément mettre un bandeau sur les yeux pour mieux jouir de la lumière.

MARIE-FRANÇOISE-PIERRE GONCTHIER DE BIRAN, DIT MAINE DE BIRAN, Journal,  1818, page 184. 

Ø 18. Ayant à essayer de peindre l'homme des prodiges, non par mes faibles couleurs, mais à l'aide de ses propres paroles, de ses propres gestes, j'ai dû m'attacher surtout à demeurer scrupuleusement vrai, scrupuleusement fidèle, et j'espère qu'après m'avoir lu, on me rendra la justice d'avouer que, pour y parvenir, j'ai fait abnégation de tout système, de toutes opinions, de tous partis, de toutes liaisons;...

EMMANUEL DIEUDONNÉ, COMTE DE LAS CASES, Le Mémorial de Sainte-Hélène, tome 2, 1823, page 238. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 419. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 687, b) 666; XXe.  siècle : a) 671, b) 433. 

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