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ABRUPT, -E, adjectif et substantif masculin.

Publié le 27/09/2015

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ABRUPT, -E, adjectif et substantif masculin.  

I.—  Adjectif. 

A.—  Sens propre.  GÉOGRAPHIE.  Dont le caractère brusquement rompu, (quasi) vertical offre une apparence extrêmement heurtée, un accès difficile. 

1. Qui est caractérisé par la brusque rupture, la discontinuité, l'apparence heurtée : 

Ø 1. L'île d'Ischia (...) n'est qu'une seule montagne à pic dont la cime blanche et foudroyée plonge ses dents ébréchées dans le ciel. Ses flancs abrupts creusés de vallons, de ravines, de lits de torrents, sont revêtus du haut en bas de châtaigniers d'un vert sombre.

ALPHONSE DE LAMARTINE, Les Confidences,  1849, page 154. 

Ø 2.... le regard, à travers les hauts micocouliers du duché, rejoint, de l'autre côté de l'étroite vallée, une roche plus abrupte encore, déchiquetée, creusée de grottes, avec des arcs, des aiguilles et des escarpements pareils à ceux des falaises marines;...

ANDRÉ GIDE, Si le grain ne meurt,  1924, page 381. 

2. Qui est caractérisé par la (quasi) verticalité : 

Ø 3. Ce qu'on avait au-dessous de soi, ce n'était pas de l'eau, c'était du gouffre. Le mur du quai, abrupt, confus, mêlé à la vapeur, tout de suite dérobé, faisait l'effet d'un escarpement de l'infini.

VICTOR HUGO, Les Misérables, tome 2, 1862, page 589. 

Ø 4. Qui saura jamais décrire l'horreur de ce cercle de l'enfer du Dante, une enceinte de rochers aussi hauts que les tours de Notre-Dame, dressés là à pic, et, tous ensemble, comme pour interdire au torrent le passage. De sorte qu'en même temps qu'il est précipité d'une hauteur de cent pieds, il rencontre cette infranchissable barrière, l'angle de ces rochers abrupts qui l'arrêtent dans son furieux élan, l'obligent, contre toutes les lois de la gravitation, de remonter vers sa source, de rebondir en spirales monstrueuses, vers la cime des monts.

JULES MICHELET, Sur les chemins de l'Europe, Suisse-Lombardie-Tyrol, 1874, page 419. 

Ø 5.... son cours assez sinueux la ramenait vers les contreforts de la montagne, entre lesquels elle devait prendre sa source. Au point où le marin avait laissé son train de bois, elle commençait à couler entre les deux hautes murailles de granit; mais si, sur sa rive gauche, les parois demeuraient nettes et abruptes, sur la rive droite, au contraire, elles s'abaissaient peu à peu, les massifs se changeant en rocs isolés, les rocs en cailloux, les cailloux en galets jusqu'à l'extrémité de la pointe.

JULES VERNE, L'Île mystérieuse,  1874, page 33. 

Ø 6. La plaine montait avec ampleur; puis la pente se relevait davantage, devenait abrupte. Un large flanc de colline, par endroits falaise, aboutissait à un plateau très étendu,...

LOUIS FARIGOULE, DIT JULES ROMAINS, Les Hommes de bonne volonté, le 6 octobre 1932, page 193. 

Ø 7. Deux pentes accusées, à l'un et l'autre bout de l'île, la rattachent à la plaine. Le reste n'est que hautes falaises perpendiculaires et vastes éboulis, de 150 à 200 mètres de surplomb. À l'endroit où les murailles de roche sont le plus abruptes et le plus élevées, l'île est fendue en deux, dans toute sa hauteur, par une gorge étroite que traverse un torrent.

ALBERT T'SERSTEVENS, L'Itinéraire espagnol,  1933, page 131. 

3. Qui est caractérisé par l'accès difficile : 

Ø 8. Grâce aux mille et mille charretées de terre employées à la butte de cent cinquante pieds de haut et d'un demi-mille de circuit, le plateau de Mont-Saint-Jean est aujourd'hui accessible en pente douce; le jour de la bataille, surtout du côté de la Haie-Sainte, il était d'un abord âpre et abrupt. Le versant là était si incliné que les canons anglais ne voyaient pas au-dessous d'eux la ferme située au fond du vallon, centre du combat. Le 18 juin 1815, les pluies avaient encore raviné cette roideur, la fange compliquait la montée, et non seulement on gravissait, mais on s'embourbait.

VICTOR HUGO, Les Misérables, tome 1, 1862, page 390. 

4. Qui est caractérisé par une certaine coloration affective : 

Ø 9. Au delà de Purullena, commence le jeu des côtes abruptes et des descentes vertigineuses qui vous mène à Grenade dans un décor à la fois puissant et charmant, puissant par son étendue et sa sauvagerie, charmant par sa fraîcheur quasi française, profondes vallées vertes, bois de jeunes peupliers, ruisseaux et cascades...

ALBERT T'SERSTEVENS, L'Itinéraire espagnol,  1933, page 97. 

B.—  Sens figuré.  Dont le caractère brut, haché, donne une impression de rudesse naturelle, d'élaboration insuffisante, d'abord ardu. 

1. Emploi métaphorique figé,  BOTANIQUE.  \" Il se dit d'une feuille pinnée sans foliole impaire terminale. \" (Dictionnaire de l'Académie Française, Compléments 1842). 

2. Emplois métaphoriques libres. 

a) Domaine des relations sociales.  Qui est caractérisé par le manque de douceur et de raffinement dans les manières : 

Ø 10. L'abord comporte une grande variété de nuances. Mais elles sont traversées par la grande opposition entre l'abord schizoïde, plus ou moins abrupt et glaçant, et l'abord cycloïde, prévenant, engageant, généreux même si cette générosité est prodigalité facile de soi.

EMMANUEL MOUNIER, Traité du caractère,  1946, page 520. 

b) Domaine de la vie psychique ou morale.  Qui est caractérisé par le manque d'artifice, de nuances, de transition progressive, par l'opposition brutale des contrastes, par une démarche inégale et pénible à suivre : 

Ø 11. On voudrait pouvoir ainsi expliquer son exagération, à lui, et n'y voir que les pentes abruptes et précipitées d'un grand caractère. Certainement jamais homme n'eut moins que lui l'entre-deux dont a parlé Pascal. Il est toujours tout d'un côté de sa pensée, au bout le plus extrême. Hôte de Saint-Pétersbourg, il écrit n'étant qu'à un pôle. Le tranchant, l'arrogant, l'insultant, percent à chaque rencontre dans cette pensée éminente,...

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Port-Royal, tome 3, 1848, page 181. 

Ø 12. Mais comme je repassais mentalement par ces épreuves, j'aperçus la voie où j'étais engagé; voie difficile, abrupte, où l'on gravit sans repos, où l'on se heurte à mille obstacles, où le moindre trébuchement amène une chute. J'eus la vision d'une vie pénible et dangereuse au cours de laquelle on s'écorche davantage chaque jour. Et vers quel but? Ne savais-je point maintenant que sur les sommets auxquels j'avais rêvé d'atteindre, nul humain ne vivait?

JACQUES DE LACRETELLE, Silbermann,  1922, page 188. 

c) Domaine du discours, du style.  Qui est caractérisé par le manque de nuances, de transition progressive, de développement explicite : 

Ø 13. Molière, lui, quand il ne peut tenir le milieu, ne craint pas d'affronter l'autre côté, de risquer le tout pour le tout, de tenter la métaphore abrupte, et, sauf quelques accrocs qui tiennent à l'exécution trop rapide, il s'en tire certes sans trop de naufrage et sans se briser; il s'en tire à son honneur, à l'honneur de la touche libre et franche.

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Port-Royal, tome 5, 1859, page 479. 

Ø 14. Esprit ferme et sec, mauvais style, quelque chose de triste, de stérile et d'abrupt, qui ne vaut rien pour l'enseignement. D'ailleurs cette série d'affirmations décousues, ces aphorismes tranchants et cassants, indiquent une culture imparfaite, un manque de maturité et de saturation qui ne rassurent nullement pour l'avenir.

HENRI-FRÉDÉRIC AMIEL, Journal intime,  1866, page 225. 

Ø 15. Son esprit lucide et perçant fonçait droit au coeur du sujet. Sa dialectique, tantôt abrupte et tantôt insidieuse, ne manquait jamais de désarçonner l'adversaire et de convaincre l'auditoire. Parfois cependant, sous l'effet d'un fléchissement inexplicable, son raisonnement semblait soudain s'enliser.

ROGER MARTIN DU GARD, Souvenirs autobiographiques,  1955, page LXXX. 

d) Domaine des Beaux-Arts.  Qui est caractérisé par le manque de nuances, de transition progressive, de développement continu préparant la conclusion finale. 

—  MUSIQUE : 

Ø 16. L'interposition de l'accord de quarte et sixte a pour résultat d'aplanir le passage, tant soit peu abrupt, de la triade de sous-dominante à celle de dominante.

FRANÇOIS-AUGUSTE GEVAERT, Traité d'harmonie,  1885, page 87. 

Ø 17.... Comme si décidément ce motif [de la neuvième symphonie] (...) se refusait à alimenter un développement nouveau, Beethoven tourne court par une abrupte conclusion, de la dominante à la tonique (...) sur ré majeur.

JEAN CHANTAVOINE, Les Symphonies de Beethoven,  1932, page 256. 

Ø 18. Ainsi en nous, le son dans ses développements continus vient toucher les couches les plus profondes de notre être et s'y transforme : (...) là tout caractère abrupt du son se perd dans la vibration multipliée des harmoniques;...

PAUL ROËS, Essai sur la technique du piano, (Traduit par Marie-Rose Clouzot), 1935, page 92-93. 

—  ARTS PLASTIQUES : 

Ø 19.... le dessin de Forain, abrupt, tranchant, enferme dans ses lignes brutales une ironie insultante et glacée.

LOUIS HOURTICQ, Histoire générale de l'art, La France, 1914, page 433. 

Remarque : Souvent abrupt est associé : —  syntagmatiquement aux substantifs suivants (par ordre de fréquence décroissante) : pente (exemple 6, 11), rocher (exemple 4), sentier (VICTOR HUGO, Les Travailleurs de la mer, 1866, page 431; ALBERT T'SERSTEVENS, L'Itinéraire espagnol, 1933, page 78), chemin (LAUTRÉAMONT, Les Chants de Maldoror, 1869, page 123; A. ARTAUD, Le Théâtre et son double, 1939, page 76), montagne (P. LOTI, Le Mariage de Loti, 1882, page 98; VOIR LARBAUD, Fermina Marquez, 1911, page 157), côte (exemple 9), muraille (exemple 7), roche (exemple 2), flanc (exemple 1), mur (exemple 3), paroi (exemple 5); —  paradigmatiquement aux adjectifs suivants (par ordre de fréquence décroissante) : haut (exemple 4, 5, 7), profond (exemple 9), accessible (exemple 8), court (exemple 17), difficile (exemple 12), fendu (exemple 7), doux (exemple 8), élevé (exemple 7), grand (exemple 11), triste (exemple 14). 

II.—  Substantif. 

A.—  Emploi concret.  Pente très raide : 

Ø 1. Montagnes à sommets rectangulaires, dont les gigantesques abruptes présentent des perspectives étranges (dans le Caucase).

JOCELYNE FRANÇOIS, Le Caucase et ses eaux minérales dans Comptes rendus des séances de l'Académie des Sciences, tome LXXXII, 1876, page 1245. 

Ø 2. Une horizontalité interminable absorbait tous les accidents d'altitude moindre, tous les vallonnements, tous les abrupts, jusqu'au hérissement menu des grands lointains,...

JOSEPH MALÈGUE, Augustin ou le Maître est là, tome 1, 1933, page 199. 

Ø 3. Un terrain en pente modérée est un talus, rampe, glacis, plan incliné (...). Une pente raide est un(e) escarpe, escarpement, abrupt, à-pic, falaise (...).

Vicabulaire franco-anglais-allemand de géomorphologie (HENRI BAULIG)  1956, page 14. 

B.—  Emploi abstrait.  Caractère de ce qui est abrupt. (Dans cet emploi, abrupt est substantif neutre) : 

Ø 4.... sur une mer indulgente, nous entrâmes au golfe d'Athènes. Toute sauvagerie a disparu : l'abrupt se transforme en netteté et fermeté.

MAURICE BARRÈS, Le Voyage de Sparte,  1906, page 30. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 230. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 69, b) 373; XXe.  siècle : a) 346, b) 510. 

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