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ACCABLEMENT, substantif masculin.

Publié le 29/09/2015

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ACCABLEMENT, substantif masculin.  

A.—  Généralement péjoratif.  État d'une personne accablée par un poids physique ou moral. 

1. Par le contrecoup d'une crise violente, physique ou morale : 

Ø 1.... je passai dans cet affreux délire une partie de la nuit; ensuite je tombai dans un profond accablement. je vins m'asseoir au pied de l'arbre : là mes larmes recommencèrent à couler, mais sans violence; abattu, épuisé, je n'avois plus la force de penser d'une manière distincte; mon imagination éteinte ne m'offroit plus que des tableaux vagues...

STÉPHANIE FÉLICITÉ DUCREST DE SAINT-AUBIN, COMTESSE DE GENLIS, Les Chevaliers du Cygne, tome 1, 1795, page 213. 

Ø 2. Il passait à présent par des crises d'accablement glacé, qui le tenaient des heures assis au pied d'un arbre, les yeux vides, ou bien vautré contre terre à plat ventre, sans un mouvement et semblable à un mort. Cela durait jusqu'à ce que la fièvre lui brûlât de nouveau toute la chair,...

MAURICE GENEVOIX, Raboliot,  1925, page 320. 

Ø 3. Je ne puis vous dire ce qui s'est emparé de moi tout à coup; je ne savais pas si c'était de l'accablement ou du bonheur. J'en étais ivre. Je ne pensais à rien. C'est peut-être l'heure la plus pleine que j'aie vécue.

MARCEL ARLAND, L'Ordre,  1929, page 535. 

Ø 4.... il devint malade. Intoxiqué d'alcool, son organisme rejeta, repoussa le poison. Zidore, abattu, prostré, misérable, incapable de boire, incapable de chasser l'obsession de son acte, vécut dans une espèce d'accablement physique, la tête lucide et le corps abruti. Sitôt remis, il fuit de nouveau la solitude, but davantage encore, retomba dans une espèce de folie furieuse à laquelle succéda une seconde phase d'accablement.

MAXENCE VAN DER MEERSCH, Invasion 14,  1935, page 183. 

—  Confer encore : Joris-Karl Huysmans, En route, tome 1, 1895, page 281; Georges Bernanos, Sous le soleil de Satan, 1926, page 151. 

2. Par une souffrance vive, une grande tristesse, etc. : 

Ø 5. 29 mai. Accablement toute la journée. Douleur physique à force de peine morale.

BENJAMIN HENRI CONSTANT DE REBECQUE, Journaux intimes,  mai 1814, page 404. 

Ø 6. Je me retire bien triste ce soir, je suis dans un accablement où toutes mes forces de l'âme et du corps viennent se perdre! Pourquoi? Je ne pourrais l'assigner. C'est une affection douloureuse uniformément répandue dans tout mon être, un mal étrange qui me tient arrêté dans une sorte de stupeur.

MAURICE DE GUÉRIN, Correspondance,  1837, page 259. 

Ø 7. Ma mélancolie devint donc de la tristesse, et ma tristesse de la douleur. De là au dégoût de la vie et au désir de la mort il n'y a qu'un pas. Mon existence domestique était si morne, si endolorie, mon corps si irrité par une lutte continuelle contre l'accablement, mon cerveau si fatigué de pensées sérieuses trop précoces, et de lectures trop absorbantes aussi pour mon âge, que j'arrivai à une maladie morale très-grave : l'attrait du suicide.

AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Histoire de ma vie, tome 3, 1855, page 353. 

Ø 8.... nous trouvons Gavarni dans son grand salon-atelier, dans le demi-jour de persiennes fermées, assis, n'ayant pu dormir, pâle, affaissé sous l'accablement de l'oppression, ayant à peine la force de nous donner sa chaude poignée de main, un peu de l'étranglement d'une angine dans la voix, essayant de nous faire ses anciennes plaisanteries bonhommes, mais on en voit l'effort.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  août 1863, page 1312. 

Ø 9. Les âmes robustes, nous venons de le dire, sont parfois, par de certains coups de malheur, destituées presque, non tout à fait. Les caractères virils, tels que Lethierry, réagissent dans un temps donné. Le désespoir a des degrés remontants. De l'accablement on monte à l'abattement, de l'abattement à l'affliction, de l'affliction à la mélancolie.

VICTOR HUGO, Les Travailleurs de la mer,  1866, page 400. 

Ø 10. Dans le cachot moral où le pessimisme verrouille ses victimes, un libre champ est donné de même aux divers tempéraments. Amiel, lui, fut un pessimiste tendre, comme Schopenhauer fut un pessimiste féroce. Le penseur de Genève aboutit de bonne heure à un renoncement triste et doux, qui fait songer à une languissante agonie dans une chambre remplie de fleurs. Il se disait bien qu'il allait se perdre « dans les sables, comme le Rhin ». Les mots de satiété, de lassitude, d'accablement, d'abdication se retrouvaient chaque matin sous sa plume quand il cherchait à rendre son état intérieur.

PAUL BOURGET, Nouveaux essais de psychologie contemporaine,  1885, page 300. 

Ø 11. Les accablements de la douleur ou les duperies plus dégoûtantes de la volupté ne justifieraient jamais à elles seules le pessimisme et ne suffiraient pas à détromper l'homme de son fanatique amour de l'être.

MAURICE BLONDEL, L'Action, Essai d'une critique de la vie,  1893, page 27. 

—  Confer encore : Émile Zola, Madeleine Férat, 1868, page 287. 

3. Par la fatigue, l'usure lente, etc. : 

Ø 12. Le 25, j'ai eu de la fièvre, l'estomac s'est embarrassé, j'ai éprouvé à dîner de l'inappétence et un état pathologique; la fièvre a été assez forte la nuit; c'est une maladie catharrale qui me donne un accablement extraordinaire et m'ôte toute espèce de goût et d'aptitude pour le travail, mais non pour la conversation. (...) J'ai été fatigué de tête et de corps. Je renonce difficilement à mes habitudes actives et extérieures. 

Le 26, j'ai resté chez moi toute la journée dans un grand état d'accablement et de malaise; la conversation me fatigue; l'inappétence continue.

MARIE-FRANÇOISE-PIERRE GONCTHIER DE BIRAN, DIT MAINE DE BIRAN, Journal,  1819, page 222. 

Ø 13.... je me crois juste en pensant que l'on ne saurait moins jouir, moins vivre, être plus constamment au-dessous de ses besoins. 

Je ne suis pas souffrant, impatienté, irrité; je suis las, abattu; je suis dans l'accablement.

ÉTIENNE PIVERT DE SENANCOUR, Obermann, tome 1, 1840, page 214. 

Ø 14. Pendant deux longs mois, il avait dû garder le lit, bien que le major Bouroche n'eût diagnostiqué qu'une fêlure de la cheville : la plaie ne se fermait pas, toutes sortes de complications étaient survenues. Maintenant, il se levait, mais dans un tel accablement moral, en proie à un mal indéfini, si têtu, si envahissant, qu'il vivait ses journées étendu sur une chaise longue, devant un grand feu de bois. Il maigrissait, devenait une ombre, sans que le médecin qui le soignait, très surpris, pût trouver une lésion, la cause de cette mort lente. Ainsi qu'une flamme, il s'éteignait.

ÉMILE ZOLA, La Débâcle,  1892, page 543. 

Ø 15.... ce fut une période inquiète d'attente et comme une traversée de marais. Je sombrais en des accablements de sommeil dont dormir ne me guérissait pas. Je me couchais après le repas; je dormais, je me réveillais plus las encore, l'esprit engourdi comme pour une métamorphose.

ANDRÉ GIDE, Les Nourritures terrestres,  1897, page 159. 

Ø 16. La tonalité particulière de la vie de l'asthénique est l'accablement. Ils sont plus vite et plus complètement que d'autres écrasés et comme dévorés par le milieu, surtout quand le milieu les serre de trop près ou les sollicite avec trop de force. La fatigue vient en général brusquement, sans transition. Souvent elle est à retardement...

EMMANUEL MOUNIER, Traité du caractère,  1946, page 263. 

—  Confer encore : Edmond et Jules de Goncourt, Renée Mauperin, 1864, page 175; Idem, Journal, octobre 1866, page 296; Émile Zola, Pot-Bouille, 1882, page 321; Romain Rolland, Jean-Christophe, Antoinette, 1908, page 908; Henri Pourrat, Gaspard des montagnes, À la belle bergère, 1925, page 143. 

4. Par la perte de tout désir, de tout espoir : 

Ø 17.... les deux coins de sa bouche s'abaissaient comme dans ce masque que les anciens sculptaient sur les tombeaux; il regardait le vide avec un air de reproche; on eût dit un de ces grands êtres tragiques qui ont à se plaindre de quelqu'un. Il était dans cette situation, la dernière phase de l'accablement, où la douleur ne coule plus; elle est, pour ainsi dire, coagulée; il y a sur l'âme comme un caillot de désespoir.

VICTOR HUGO, Les Misérables, tome 2, 1862, page 703. 

Ø 18. Ils étaient simplement las et ahuris de tout ce qui se passait; les faits de la journée tournaient dans leur tête, incompréhensibles et monstrueux. Ils restaient là, muets, souriants, n'attendant rien, n'espérant rien. Au fond de leur accablement, s'agitait une anxiété vaguement douloureuse.

ÉMILE ZOLA, Thérèse Raquin,  1867, page 130. 

Ø 19. Une fois l'heure passée, il retombait dans sa prostration. Plus de travail, plus de promenades : le but seul de l'existence était d'attendre le prochain courrier; et toute son énergie était dépensée à trouver la force d'attendre jusque-là. Mais quand le soir venait et qu'il n'y avait plus d'espérance pour la journée, alors c'était l'accablement : il lui semblait qu'il ne réussirait jamais à vivre jusqu'au lendemain; et il restait des heures, assis devant sa table, sans parler, sans penser, n'ayant même pas la force de se coucher, jusqu'à ce qu'un reste de volonté lui fît gagner son lit; et il dormait d'un lourd sommeil, plein de rêves stupides, qui lui faisaient croire que la nuit ne finirait jamais.

ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, Le Matin, 1904, page 211. 

Ø 20. La surestimation d'autrui et l'accablement de la conscience de soi par cette illusion systématique sont liées à la conscience morose et aux psychismes faibles : ou bien ils se sentent écrasés par la présence d'autrui, ou bien ils ont besoin d'ériger leurs admirations en absolu pour étayer solidement leur propre incertitude. Cette idéalisation d'autrui renforce les tendances inactives et inhibe la vie morale par un découragement chronique.

EMMANUEL MOUNIER, Traité du caractère,  1946, page 723. 

—  Confer encore : Henri-Frédéric Amiel, Journal intime, 26 mai 1866, page 295; Émile Zola, Madeleine Férat, 1868, page 174. 

5. Par la répétition monotone, l'ennui, le sentiment de solitude : 

Ø 21. Léon était las d'aimer sans résultats; puis il commençait à sentir cet accablement que vous cause la répétition de la même vie, lorsque aucun intérêt ne la dirige et qu'aucune espérance ne la soutient. Il était si ennuyé d'Yonville et des Yonvillais, que la vue de certaines gens, de certaines maisons l'irritait à n'y pouvoir tenir;...

GUSTAVE FLAUBERT, Madame Bovary, tome 1, 1857, page 134. 

Ø 22. La monotonie de l'état d'esprit d'André, la série banale de ses recherches et de ses expériences finissent par produire une impression d'accablement telle que l'écrivain capable de la donner, d'ennuyer à ce point le lecteur tout en le retenant, a certainement une force en lui. Et le sentiment de la bêtise de la vie se relève ici d'une amertume de plus en plus féroce à l'égard des hommes et des choses.

JULES LEMAÎTRE, Les Contemporains,  1885, page 321. 

Ø 23. Le sentiment de la nature reflète ses désespoirs comme ses exaltations. En face de la plaine nordique, pluvieuse et morne, il connaît un accablement très werthérien : la solitude du moi, incapable de s'échapper à lui-même, s'accentue devant l'immensité.

ALBERT BÉGUIN, L'Âme romantique et le rêve,  1939, page 35. 

—  Confer encore : Francis Ambrière, Les Grandes vacances, 1946, page 235. 

B.—  Par métonymie.  Force ou ambiance qui accable (Dans cette acception, employé le plus souvent d'une manière absolue, et précédé d'un article indéfini - ce qui tend à lui faire perdre sa valeur abstraite et à lui donner une valeur plus concrète - accablement devient synonyme, très vague, de poids, charge, etc. Rarement usité en cette signification, il semble dénoter une intention de recherche stylistique) : 

Ø 24.... la clameur des rues s'affaiblissait, des ombres violettes s'allongeaient devant le péristyle des temples, (...) on n'entendait aucun bruit, un accablement indicible pesait dans l'air.

GUSTAVE FLAUBERT, Salammbô, tome 2, 1863, page 28. 

Ø 25.... ils n'auraient pu dire ce qui les rendait misérables; ils étaient tristes à mourir sans avoir pourquoi; il leur semblait qu'ils respiraient le malheur, qu'un accablement lent et continu les écrasait. Une telle situation était sans issue.

ÉMILE ZOLA, Madeleine Férat,  1868, page 81. 

Ø 26. Mais ces vaines tempêtes ne valaient pas ces heures du lourd accablement méridien. Alors un silence de plomb engourdissait les membres recrus de fatigue, et le corps prostré haletait, crucifié sur le sol...

ERNEST PSICHARI, Le Voyage du centurion,  1914, page 49. 

Remarque : 1. Accablement est le plus souvent employé sans complément. Un complément introduit par de ou par peut préciser la nature ou l'origine de l'accablement : confer exemples 8, 11, 15, 20, 30; après de le nom est généralement employé sans article (exemple 15). Le même rôle est parfois confié à une épithète (confer exemple 4, 23), plus généralement au contexte (passim et infra, b). a) Syntagmes fréquents Accablement est souvent qualifié par des adjectifs exprimant sa nature physique ou morale : maladif, moral; son caractère extrême ou négatif : étrange, grand, immense, indicible, morne, muet, profond (très fréquent), stupide. Il complète fréquemment un nom : air d'-, état d'-, geste d'-, sensation d'-, sommeil d'-; un verbe : être dans, rester dans, retomber dans, sortir de, tomber dans, de. b) Accablement est fréquemment associé à des termes appartenant : —  soit au domaine physique : dégoût, faiblesse, fatigue (très fréquent), fièvre, lassitude, malaise, mort, oppression, poids, repos, sommeil (très fréquent), souffrance; antonymes : agitation, bien-être, crise, force, vie; —  soit au domaine moral : amertume, angoisse, défaite, désespoir (très fréquent), douleur (très fréquent), ennui, honte, horreur, inquiétude, malheur, misère, peine, silence, stupeur, tristesse (fréquent); antonymes : espérance, espoir, joie. 

Remarque : 2. Accablement prend parfois quasiment une valeur de personnification : 

Ø 27. Je trouvais une délectation lugubre dans ces nuits de Maremma, passées parfois tout entières auprès d'elle, qui sombraient par le bout —  comme les pilotis de la lagune dans le gonflement matinal de l'eau noire —  au creux d'un déferlement de lassitude, comme si la perte de ma substance qui me laissait exténué et vide m'eût accordé à la défaite fiévreuse du paysage, à sa soumission et à son accablement. (...) il semblait que de la terre prostrée ne pût désormais se soulever même le faible souffle qui s'échappe d'un poumon crevé : la nuit pesait de tout son poids sur elle dans son gîte creusé de bête lourde et chaude.

JULIEN GRACQ, Le Rivage des Syrtes,  1951, page 179. 

—   Exceptionnellement accablement peut prendre une valeur favorable : 

Ø 28. Madame Gervaisais eut, dans ces jardins de la villa Borghèse, des jours de printemps, —  il était cette année-là chaud et pluvieux, —  des jours de singulier bien-être, d'une espèce d'accablement suave, d'une détente qui la laissait un moment heureuse; des jours qui avaient la tiédeur d'un bain, avec des odeurs chaudes d'acacias et d'orangers, un ciel de poussière, un soleil qui ne paraissait plus qu'une lueur orange, un étouffement du bruit des cloches lointaines, un chant à petits cris et comme lassé des oiseaux...

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Madame Gervaisais,  1869, page 188. 

Ø 29. Et sa colère s'en allait, comme si la gifle l'avait calmée. Elle le respectait, elle se collait contre le mur de la ruelle, pour lui laisser toute la place. Même elle finit par s'endormir, la joue chaude, les yeux pleins de larmes, dans un accablement délicieux, dans une soumission si lasse, qu'elle ne sentait plus les miettes.

ÉMILE ZOLA, Nana,  1880, page 1295. 

Remarque : 3. Pour la synonymie, confer cet essai de DICTIONNAIRE DES SYNONYMES DE LA LANGUE FRANÇAISE  (PIERRE-BENJAMIN LAFAYE) 1858, page 297 :

30. Abattement, accablement, langueur; découragement, désespoir. Tous ces termes expriment un état pénible de l'âme, une sorte de détresse à laquelle elle est réduite par les maux qu'elle éprouve. Mais les trois premiers ne s'emploient pas seulement en parlant de l'âme; ils signifient aussi un état du corps causé par les maux physiques ou les maladies. Ce sont des termes de médecine en même temps que des expressions morales. (...) La langueur. 

 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 402. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 368, b) 984; XXe.  siècle : a) 735, b) 425. 

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