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âgée qui s'est habillée de façon extravagante pour une soirée ordinaire peut vous mettre dans l'embarras.

Publié le 06/01/2014

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âgée qui s'est habillée de façon extravagante pour une soirée ordinaire peut vous mettre dans l'embarras. Et pourtant j'aime Vienne, sans doute parce que la ténacité avec laquelle elle s'accroche aux formalités oubliées d'une autre époque me rappelle certains Autrichiens d'autrefois que j'ai connus. Qu'avons-nous vu à Vienne ? Nous avons vu bien des choses que j'aime, notamment, puisque mon enthousiasme pour les tombes n'est pas du tout limité à celles des Juifs, la Kaisergruft, la crypte impériale des Habsbourg, un endroit souterrain frais qui m'a fait penser, lors de ma première visite quelques années plus tôt, à une cave à vin, si ce n'est qu'à la place des tonneaux et des bouteilles sous les plafonds voûtés et bas se trouvent des sarcophages en bronze et en pierre, où sont enchevêtrés des statues et des crânes couronnés, où des inscriptions en latin murmurent à quiconque se soucie de les lire. Naturellement, le plus important de ces monuments est celui de Marie-Thérèse elle-même qui, en bronze grandeur nature, se redresse sur un bras du couvercle de son énorme cercueil, le visage éclairé par un sourire extatique, même si je ne peux pas déterminer vraiment si l'extase est due à l'anticipation de la vie éternelle ou au fait que son mari adoré, François de Lorraine, est dressé dans une position semblable à la sienne. Nous avons vu la Kaisergruft, où repose François-Joseph dans un sarcophage de marbre lisse au centre d'une chambre d'une grande sobriété, subtilement éclairée par une série d'appliques, l'empereur entre sa superbe femme, Elizabeth, promise à un sombre destin et victime elle aussi d'un assassin, et son fils romantique, Rodolphe le prince héritier qui s'est suicidé avec sa maîtresse adolescente dans le relais de chasse royal de Mayerling en janvier 1889, fait parmi d'autres qui me pousse à m'interroger sur certaines histoires de famille, par exemple celle que Sylvia, la soeur malheureuse de mon grand-père, avait l'habitude de raconter sur comment, lorsqu'elle était petite, elle avait vu le même prince héritier en uniforme bleu et sur un cheval blanc monter les marches d'un palais à Lemberg (comme elle le disait encore) ; or Sylvia n'était née qu'en 1898, c'est-à-dire neuf ans après que Rodolphe eut commis le geste romantique qui devait le rendre si célèbre. Nous avons donc vu tout ça. Mais comme je l'ai dit, Froma a un esprit insatiable. J'ai le sentiment, m'a-t-elle dit plus tard, lorsque je lui ai demandé pourquoi, chaque fois que nous faisions un voyage ensemble, elle disait toujours, Retournons jeter un dernier coup d'oeil, pourquoi elle insistait toujours pour voir d'autres endroits, pour poser d'autres questions, pour tirer de ses voyages beaucoup plus que je ne l'aurais fait, J'ai le sentiment qu'on pourrait très bien ne jamais repasser par ici et qu'il faut donc en tirer tout ce qu'on peut. Froma n'allait pas se contenter, absolument pas, des Habsbourg morts. Elle s'intéressait surtout aux sites qui avaient quelque chose à voir avec les juifs. Et je suis forcé d'admettre de nouveau qu'en raison de ma propre histoire, de l'influence de ma famille et de ses histoires, mes émotions étaient accaparées par un site en particulier qui pouvait ne pas présenter un grand intérêt pour la plupart des gens. Car ce n'est pas avant notre dernier jour à Vienne - après avoir visité le Musée juif dans Dorotheergasse (ou on peut apprendre, comme ça a été mon cas, que peu de temps après l'arrivée des premiers Juifs dans la ville, à la fin des années 1100, a eu lieu le premier pogrom au cours duquel seize Juifs ont été tués, épisode auquel le pape a accordé sa bénédiction) ; après avoir vu le nouveau musée sur l'ancienne Judenplatz, place des Juifs (sous laquelle, nous a-t-on appris, des archéologues ont découvert les vestiges de la première synagogue de la ville, détruite en 1420, l'année où, le 23 mai, le duc a ordonné que les Juifs de Vienne soient ou bien emprisonnés ou bien chassés et leurs biens confisqués ; ces vestiges ne peuvent cependant pas être très importants puisque les pierres de la synagogue démolie ont servi à la construction de l'université de la ville) ; après avoir examiné le mémorial des Victimes autrichiennes de l'Holocauste, conçu par l'artiste britannique Rachel Whiteread, lequel a la forme d'un cube de béton représentant une bibliothèque de sept mille volumes dont les portes sont closes en permanence et dont les livres ne peuvent donc être lus, au pied duquel sont inscrits les noms des endroits où près de soixante-dix mille Juifs viennois ont été exterminés - après avoir vu tout cela donc, que nous sommes allés, le dernier jour, au Zentralfriedhof, au grand Cimetière central de la ville. Nous y sommes allés parce que Froma tenait tout particulièrement à trouver la tombe originale du pionnier du sionisme au XIXe siècle, Theodor Herzl, « le père de l'Israël moderne », mort à Vienne en 1904 à l'âge de quarante-quatre ans (et dont les cendres avaient été transférées en 1949 dans l'Etat d'Israël, nouvellement fondé : ce geste a du sens quand on pense au fait que les tombes, les sites funéraires, les mémoriaux et les monuments sont inutiles aux morts, mais signifient beaucoup pour les vivants). Nous avons consulté l'une des innombrables cartes et guides que Froma aime acquérir pendant ses voyages - moins inquisiteur et plus passif je préfère quant à moi déambuler et tomber sur les choses - et nous avons fait nos plans.     Le trajet en tramway du centre de Vienne au Zentralfriedhof prend une bonne vingtaine de minutes, et le cimetière est tellement gigantesque qu'il y a un arrêt de tramway pour chacune des portes ; la distance entre deux portes (par quoi j'entends non seulement la distance mais aussi le temps qu'il faut pour aller de l'une à l'autre) est non négligeable. Nous avons commencé à la Porte 1, qui est la porte de 1'« Ancienne » Section juive du cimetière, et nous avons avancé dans un fouillis de tombes qui, cet été-là, étaient un peu en friches, même si un tollé récent sur l'état déplorable de cette nécropole autrefois grandiose avait déclenché un effort de restauration très célébré. Mais après avoir erré pendant près d'une heure au milieu des pierres tombales et des monuments élaborés et négligés, des mémoriaux pour des êtres que plus personne n'est en mesure de venir voir, puisque la plupart des descendants de ces figures importantes du XIXeont eux-mêmes disparu de la surface de la terre, il est devenu évident que nous n'étions plus à la bonne place. Et donc, après vingt minutes de marche jusqu'à la section centrale, nous avons marché encore vingt autres minutes jusqu'à la Porte 4, où se situait la Nouvelle Section juive. J'avais peu d'intérêt pour Herzl ou pour sa tombe, parce que, comme je l'ai dit, Israël était encore à ce moment-là un endroit qui me laissait parfaitement indifférent. Mais j'ai été bouleversé par ce que nous avons trouvé dans la Nouvelle Section juive. Ou, devrais-je dire, par ce que nous n'avons pas trouvé. Les yeux écarquillés, nous avons passé le portail très élégant, plutôt Art déco, de cette nouvelle partie du Zentralfriedhof, dont le motif stylisé d'arches vaguement mauresques était repris, à une échelle gigantesque, dans le dôme de la Zeremonienhalle de la Nouvelle Section juive, la salle de Cérémonie de la société de pompes funèbres du cimetière (cette société est connue sous le nom, en hébreu, de Chevra Kadisha et, traditionnellement, ce sont les membres de la Chevra Kadisha dans une communauté juive donnée qui lavent et préparent les corps juifs pour l'enterrement : le rite qui avait été spécifié par mon grand-père dans les instructions qu'il m'avait dictées, le matin de cet été lointain). Le complexe de la Zeremonienhalle du cimetière de Vienne, je l'ai appris par la suite, avait été conçu et construit entre 1926 et 1928 par le prolifique architecte Ignaz Reiser, Juif viennois né en Hongrie, dont chaque bâtiment public, depuis la synagogue de 1912-1914 dans une rue appelée Enzersdorferstrasse jusqu'à la Zeremonienhalle, est signalé, dans l'annuaire d'architecture en langue allemande que j'ai consulté après avoir vu ce remarquable complexe du cimetière, comme étant zerstört : « détruit ». Alors que nous passions devant la Zeremonienhalle, qui était, je ne m'en rendais pas compte alors, une reconstruction, une restauration d'un édifice qui avait été incendié le soir du 8 novembre 1938, et marchions en direction des tombes proprement dites, le panorama qui nous a accueilli était celui d'un grand vide. Car de ce vaste terrain qui avait été acheté par les Juifs de Vienne dans les années 1920 pour la nouvelle section du cimetière, une fois que l'ancienne section avait été surpeuplée par les morts de cette florissante communauté, seule une petite portion était occupée par des tombes. A côté de ces tombes (presque aucune d'entre elles, avons-nous remarqué en y circulant, ne porte de dates postérieures au début des années 1930), se déployait une vaste prairie vide. Nous l'avons regardée fixement pendant un moment, avant de comprendre que la Nouvelle Section juive était en grande partie vide parce que tous les Juifs qui auraient dû être enterrés là, selon le cours normal des choses, étaient morts dans des circonstances qu'ils n'avaient pas prévues et s'ils avaient été enterrés, l'avaient été dans d'autres tombes moins élégantes qu'ils n'avaient pas choisies. Quand nous pensons aux terribles ravages produits par un certain type de destruction pendant les temps de guerre, nous pensons normalement au vide des endroits qui étaient autrefois pleins de vie : les maisons, les boutiques, les cafés, les parcs, les musées, etc. J'avais passé pas mal de temps dans les cimetières, mais il ne m'était pourtant jamais venu à l'esprit, avant cet après-midi dans le Zentralfriedhof, que les cimetières, eux aussi, pouvaient être vidés de leur vie. C'est ce à quoi, en tout cas, nous a conduits la recherche, voulue par Froma, de la tombe du grand sioniste Theodor Herzl. Nous n'avons jamais trouvé la tombe elle-même et je suppose que seule Froma s'en est sentie frustrée, car pour moi ce que nous avions vu, ou plutôt n'avions pas vu, dans la Nouvelle Section juive, c'était bien assez. De Vienne, j'ai envoyé à Mme Begley une carte postale des opulents palais des Habsbourg. Vienne est toujours belle, ai-je écrit, mais toujours pas de Juifs - même morts. Elle a aimé celle-là aussi. C'est le lendemain de notre visite au Zentralfriedhof que nous sommes partis pour le pays qu'avait engendré Herzl.     Dans l'appartement d'Anna Heller Stern, qui était l'amie de Lorka, il faisait frais et sombre. Les stores étaient baissés pour protéger du soleil d'été, lequel était si fort qu'il faisait l'effet d'être presque fluorescent. Les meubles étaient confortables mais rares : un sofa bas, une paire de

« sont closes enpermanence etdont leslivres nepeuvent doncêtrelus,aupied duquel sont inscrits lesnoms desendroits oùprès desoixante-dix milleJuifsviennois ontétéexterminés – après avoirvutout celadonc, quenous sommes allés,ledernier jour,auZentralfriedhof, au grand Cimetière centraldelaville.

Nous ysommes allésparce queFroma tenaittout particulièrement àtrouver latombe originale dupionnier dusionisme auXIX e siècle, Theodor Herzl, « lepère del'Israël moderne », mortàVienne en1904 àl'âge dequarante-quatre ans(et dont lescendres avaientététransférées en1949 dansl'Etat d'Israël, nouvellement fondé:ce geste adu sens quand onpense aufait que lestombes, lessites funéraires, lesmémoriaux et les monuments sontinutiles auxmorts, maissignifient beaucoup pourlesvivants).

Nousavons consulté l'unedesinnombrables cartesetguides queFroma aimeacquérir pendant sesvoyages – moins inquisiteur etplus passif jepréfère quantàmoi déambuler ettomber surleschoses – et nous avons faitnos plans.     Le trajet entramway ducentre deVienne auZentralfriedhof prendunebonne vingtaine de minutes, etlecimetière esttellement gigantesque qu'ilya un arrêt detramway pourchacune des portes ;la distance entredeuxportes (parquoi j'entends nonseulement ladistance mais aussi le temps qu'il fautpour allerdel'une àl'autre) estnon négligeable.

Nousavons commencé àla Porte 1,qui estlaporte de1'« Ancienne » Sectionjuiveducimetière, etnous avons avancé dansunfouillis detombes qui,cetété-là, étaient unpeu enfriches, mêmesiun tollé récent surl'état déplorable decette nécropole autrefoisgrandiose avaitdéclenché un effort derestauration trèscélébré.

Maisaprès avoirerrépendant prèsd'une heure aumilieu des pierres tombales etdes monuments élaborésetnégligés, desmémoriaux pourdesêtres que plus personne n'estenmesure devenir voir,puisque laplupart desdescendants deces figures importantes duXIXe ont eux-mêmes disparudelasurface delaterre, ilest devenu évident quenous n'étions plusàla bonne place.Etdonc, aprèsvingtminutes demarche jusqu'à la section centrale, nousavons marché encorevingtautres minutes jusqu'àlaPorte 4,où se situait laNouvelle Sectionjuive.J'avais peud'intérêt pourHerzl oupour satombe, parceque, comme jel'ai dit, Israël étaitencore àce moment-là unendroit quime laissait parfaitement indifférent.

Maisj'aiété bouleversé parceque nous avons trouvé danslaNouvelle Section juive. Ou, devrais-je dire,parceque nous n'avons pastrouvé.

Lesyeux écarquillés, nousavons passé le portail trèsélégant, plutôtArtdéco, decette nouvelle partieduZentralfriedhof, dontlemotif stylisé d'arches vaguement mauresques étaitrepris, àune échelle gigantesque, dansledôme de laZeremonienhalle delaNouvelle Sectionjuive,lasalle deCérémonie delasociété de pompes funèbres ducimetière (cettesociété estconnue souslenom, enhébreu, de Chevra Kadisha et, traditionnellement, cesont lesmembres dela Chevra Kadisha dans une communauté juivedonnée quilavent etpréparent lescorps juifspour l'enterrement :le rite qui avait étéspécifié parmon grand-père danslesinstructions qu'ilm'avait dictées, lematin decet. »

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