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AILLEURS, adverbe.

Publié le 18/10/2015

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AILLEURS, adverbe.  

A.—  Adverbe de lieu signifiant que le procès s'accomplit dans un endroit quelconque et indéfini à l'exclusion du lieu où se trouve le locuteur (je le rencontrerai ailleurs, sous-entendu ailleurs qu'ici), du lieu envisagé par lui (la circulation devient très difficile à Paris et ailleurs, sous-entendu ailleurs qu'à Paris) ou du lieu suggéré par le contexte. 

1. Au propre. 

a) [Le lieu exclu est exprimé sous forme de complément]  Ailleurs que : 

Ø 1. —  Je n'ai d'argent que pour mes pratiques, dit-il [Gobseck] . —  Vous êtes donc bien fâché que je sois allé me ruiner ailleurs que chez vous? répondit le comte en riant

HONORÉ DE BALZAC, Gobseck,  1830, page 409. 

Ø 2. Je ne suis jamais bien nulle part, et je crois toujours que je serais mieux ailleurs que là où je suis. 

CHARLES BAUDELAIRE, Petits poèmes en prose, Les Vocations, 1867, page 158. 

b) [Le lieu exclu reste implicite] :

Ø 3. J'ai eu deux chambres à l'auberge de Vitré. La première vaste comme une place d'armes (...). Cette chambre-là, le préfet m'en a détrôné (...) et je transportai mon sac de voyage ailleurs. Ailleurs, c'était dans une autre aile de la maison. Pour aller ailleurs, il fallait traverser la cour.

GÉRARD DE NERVAL, Nouvelles et fantaisies,  1855, page 158. 

Ø 4. Ils ne se trouvaient heureux que dans leur petit ménage. Partout ailleurs ils étouffaient de mélancoliques bâillements, et ils m'ont légué cette secrète sauvagerie qui m'a rendu toujours le monde insupportable et le home nécessaire.

AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Histoire de ma vie, tome 2, 1855, page 118. 

Ø 5. Il me suffira, quant à présent, de dire que l'usage de ces constructions était aussi peu en harmonie que leur assemblage. Ici, c'était l'appartement d'une locataire; à côté, celui d'une élève; plus loin, une chambre où l'on étudiait le piano; ailleurs, une lingerie, et puis des appartements vacants ou passagèrement occupés par des amies d'outre-mer;...

AURORE DUPIN, BARONNE DUDEVANT, DITE GEORGE SAND, Histoire de ma vie, tome 3, 1855, pages 87-88. 

Ø 6. Je doute que cela se vît alors au même degré nulle part ailleurs, pas même en Angleterre, où les différentes classes, quoique attachées solidement les unes aux autres par des intérêts communs, différaient encore souvent par l'esprit et les moeurs;...

ALEXIS DE TOCQUEVILLE, L'Ancien Régime et la Révolution 1856, page 158. 

Ø 7. Ailleurs, de jeunes garçons et de jeunes filles de quinze à seize ans cueillaient des violettes le long des haies, au bord de la route; on voyait à leurs yeux luisants qu'ils s'aimeraient plus tard. Ailleurs, c'était un conscrit que sa fiancée accompagnait sur la route, un petit paquet sous le bras; de loin, on les entendait qui se juraient l'un à l'autre de s'attendre.

ÉMILE ERCKMANN ET ALEXANDRE CHATRIAN, DITS ERCKMANN-CHATRIAN, L'Ami Fritz,  1864, page 105. 

Ø 8. Ne m'y cherchez pas; je suis ailleurs; je suis à Campamento (Amérique du Sud).

VALÉRY LARBAUD, A. O. Barnabooth,  1913, page 364. 

Ø 9. Il lui suffisait de se dire : je ne serai plus ici; je serai ailleurs. Ailleurs : c'était un mot encore plus beau que les plus beaux noms.

SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins,  1954, page 11. 

Ø 10. J'étais la cause occasionnelle de leurs discordes et de leurs réconciliations; les causes profondes étaient ailleurs : à Mâcon, à Gunsbach, à Thiviers, dans un vieux coeur qui s'encrassait, dans un passé bien antérieur à ma naissance.  

JEAN-PAUL SARTRE, Les Mots,  1964, page 69. 

Remarque : 1. L'indéfinition de l'adverbe ailleurs peut être accentuée par partout, quelque part, nulle part (exemple 4, 6)... ou par le contexte De même le contexte, en particulier un complément circonstanciel de lieu, peuvent restreindre l'indéfinition de l'adverbe. Ailleurs peut alors signifier « un peu plus loin » à l'intérieur d'un lieu donné (exemple 3, 5, 7).

2. Ailleurs marque tantôt le lieu où l'on est, tantôt, quoique plus rarement, le lieu où l'on va (exemple 3). Pour exprimer la provenance, on emploie normalement la préposition de : 

Ø 11. Les fortifications de la place, quoique régulières et parfaitement entretenues, ne peuvent que retarder de quelques jours la prise de cette ville, qui n'a aucun secours à attendre d'Europe ni d'ailleurs.

Voyage de la Pérouse autour du monde (MILET DE MUREAU)  tome 4, 1797, page 107. 

—  Spécialement.  [Pour indiquer dans une oeuvre l'endroit où une idée a déjà été ou sera exprimée]  Dans un autre texte, dans un autre passage : 

Ø 12. Je parlerai ailleurs du monarque régnant lors de l'expédition de Xerxès.

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Essai historique, politique et moral sur les révolutions, tome 1, 1797, page 306. 

Ø 13. Je crois et j'ai pensé ailleurs que ce serait une excellente chose que de s'échauffer à faire des vers rimés ou non sur un sujet pour s'aider à y entrer avec feu pour le peindre.

EUGÈNE DELACROIX. Journal, tome 1, 1852, page 85. 

Ø 14. Je crois avoir dit ailleurs que quand les hommes touchent au surnaturel, il y a généralement des dégâts.

JULIEN GREEN, Journal,  1944, page 99. 

—  Par extension. Ailleurs : peut représenter l'au-delà, considéré, dans l'exemple suivant, comme le lieu de séjour réservé aux croyants après leur mort ainsi qu'il est dit dans la religion catholique : 

Ø 15. Et embrassant Mademoiselle de Luynes, que Madame de Chevreuse la priait de consoler : « Allez, lui dit-elle, ma fille, espérez en Dieu, confiez-vous de tout votre coeur en sa bonté infinie, et ne vous laissez point abattre : nous nous reverrons ailleurs, où les hommes n'auront plus le pouvoir de nous séparer. »

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Port-Royal, tome 4, 1859, page 19. 

—  Par ailleurs au sens locatif est rare : 

Ø 16.... je songeais à cela à cause de la contradiction (qui bien entendu n'est qu'apparente) avec la sévérité dont l'évangile de mardi dernier traite de voleur et de brigand celui qui n'entre pas par la porte dans l'enclos des brebis, mais l'escalade par ailleurs :...

CHARLES DU BOS, Journal,  juin 1928, pages 123-124. 

2. Au figuré. 

a) Ailleurs : 

Ø 17. On eût dit que ses passions [d'Octave] avaient leur source ailleurs et ne s'appuyaient sur rien de ce qui existe ici-bas.

HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, Armance,  1827, page 18. 

Ø 18. La nécessité de la pièce est ailleurs, elle est en ceci : un être humain se trouve placé devant un acte que l'opinion de son temps réprouve, et qu'il a envie de faire.

HENRI DE MONTHERLANT, Pasiphaé,  1936, page 104. 

—   Locution. avoir l'esprit (la pensée, la tête, la cervelle...) ailleurs, être ailleurs   \" ne prêter aucune attention à ce qui vous entoure \"; aimer ailleurs   \" aimer quelqu'un d'autre \" : 

Ø 19. Quelqu'un dit que la flèche de la cathédrale est tombée. À cela, la princesse, qui est ailleurs, jette : « Mais elle n'était donc pas solide, cette église? »

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  septembre 1870, page 587. 

Ø 20. Constance soupire. Elle aime ailleurs : « un charmant amant, » Georgino, —  le joli nom, —  « bien jeune, bien aimable, bien étourdi, bien amoureux, » dont les grilles du saint lieu se sont gardées de la défendre, sous l'oeil attendri d'Inès.

JOSEPH DE PESQUIDOUX, Le Livre de raison, tome 1, 1925, page 122. 

Ø 21. Je m'inquiétais depuis quelque temps. Il étudiait machinalement, la tête ailleurs. 

PIERRE DRIEU LA ROCHELLE, Rêveuse bourgeoisie,  1939, page 266. 

b) (Venir) d'ailleurs. D'une autre source, d'une autre personne, etc. : 

Ø 22. Il est même de très-graves matières et des questions fort importantes où les idées décisives doivent venir des sentiments; si elles viennent d'ailleurs, tout se perdra.

JOSEPH JOUBERT, Pensées, tome 1, 1824, pages 269-270. 

Ø 23. Perdu dans son buisson, au coin le plus reculé de la scène, l'initiative lui devait venir d'ailleurs; il ne pouvait rien sans le signal nécessaire, et le moindre dérangement au centre, à Londres ou à Paris, une humeur de Pichegru, une indécision de Moreau, éternisaient les délais.

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Volupté, tome 1, 1834, page 59. 

c) (Connaître, savoir) par ailleurs. Par une autre voie, par un autre moyen d'information : 

Ø 24. Mais l'enfer est une hypothèse bien peu conforme à ce que nous savons par ailleurs de la bonté divine.

ERNEST RENAN, Souvenirs d'enfance et de jeunesse,  1883, page 375. 

B.—  Emploi comme substantif.  Lieux situés ailleurs. 

1. Au singulier (collectif) : 

Ø 25. Et toi dont le terme terrestre arrive,

Toi qui vas savoir l'éternel ailleurs,

...

XAVIER PRIVAS, L'Amour chante,  1904, page 150. 

Ø 26. Nostalgies religieuses, dépaysement des amours, exotismes sociaux, goûts des départs et de l'ailleurs, ô coeur insatisfait! que toutes vos poussées vont ensemble!

JOSEPH MALÈGUE, Augustin ou le Maître est là, tome 2, 1933, page 78. 

Ø 27. Toute chose dans la nature, un chemin, un paysage, garde un aspect étrangement solitaire. L'isolement de l'un ne ressemble pas à l'isolement de l'autre; l'étonnante variété d'ambiance des pierres, des fleurs, des horizons et du ciel ne fait qu'intensifier cette solitude et nous y envelopper chaque fois d'une manière différente nous faisant perdre la notion de l'« ailleurs ».

PAUL ROËS, Essai sur la technique du piano, traduit par Marie-Rose Clouzot, 1935, page 105. 

Ø 28.... un barrage d'obstination douce et tenace à l'inattendu, au soudain, à l'ailleurs. 

JULIEN GRACQ, Le Rivage des Syrtes,  1951, page 46. 

2. Rare, au pluriel : 

Ø 29. Puis, il n'y avait à attendre d'eux aucune envolée, aucun élan vers les ailleurs. 

GEORGES-CHARLES, DIT JORIS-KARL HUYSMANS, Là-bas, tome 1, 1891, page 12. 

C.—  Locutions adverbiales figées. 

1. D'ailleurs. 

a) Locution adverbiale de phrase.  Indique le changement de plan logique et permet d'ajouter un élément nouveau sans rapport nécessaire avec ce que l'on vient de dire. Synonymes : d'autre part, d'un autre côté, en outre, de plus :  

Ø 30. Son armée commençait à devenir plus nombreuse; d'ailleurs il était sur son terrain, et pensait que ses sujets combattraient plus volontiers lorsqu'on viendrait les attaquer chez eux.

PROSPER DE BARANTE, Histoire des ducs de Bourgogne de la maison de Valois, tome 4, 1821-1824, page 8. 

Ø 31. Elle avait connu de bien autres supplices! D'ailleurs, avait-elle jamais été vraiment une femme jalouse? Sa pire douleur avait toujours été d'apprendre, après coup, qu'elle avait été dupe;...

ROGER MARTIN DU GARD, Les Thibault, La Belle saison, 1923, page 933. 

Ø 32. Adrien Arnauld n'était pas peu infatué de sa personne physique. Toutes les femmes d'ailleurs le confirmaient dans la bonne opinion qu'il se faisait de sa beauté.

LOUIS ARAGON, Les Beaux quartiers,  1936, page 41. 

Remarque : 1. La préposition d'éloignement de signifie le changement de plan logique et, en même temps, rapporte ce que l'on dit à ce que l'on vient de dire. 2. D'ailleurs se trouve souvent en tête de phrase et se rapproche de ce fait des conjonctions de coordination. 

b) Locution adverbiale portant sur un adjectif ou un participe.  Permet d'introduire une notation qualificative nouvelle, mais non absolument indispensable : 

Ø 33. Je suis bien venu à la Roche-Guyon avec un compagnon de voyage, ami commun entre le duc et moi; mais ce n'est point M. l'abbé Davaux, que je n'ai point vu dans ce château, d'ailleurs très solitaire, comme M. de Rohan me l'avait promis.

VICTOR HUGO, Correspondance,  1821, page 334. 

Ø 34. Le ganymède ne tarda guère à se montrer paré des plus riches cravates et des habits les plus collants, plein d'argent, de pommades, de bagues —  et des bijoux partout où il en pouvait étaler; glouton d'ailleurs, crapuleux, se plaisant aux ordures, et fait comme exprès pour Otto.

ÉLÉMIR BOURGES, Le Crépuscule des dieux,  1884, page 116. 

Ø 35. Tel est le diagnostic officiel, le seul raisonnable, ratifié d'ailleurs par la direction de la clinique.

ALBERT CAMUS, Un Cas intéressant, adapté de Dino Buzzati, 2e.  temps, 7e.  tableau, 1955, page 680. 

c) Vieilli, au sens de par ailleurs, locution adverbiale (confer infra) : 

Ø 36. S'il [Octave] eût reçu du ciel un coeur sec (...) s'il fût né à Genève, avec tous les autres avantages qu'il réunissait d'ailleurs, il eût pu être fort heureux.

HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, Armance,  1827, page 41. 

Ø 37.... le comte Mosca était absolument fou d'amour, et la comtesse pensait déjà que l'âge ne devait pas faire objection, si d'ailleurs on le trouvait aimable.

HENRI BEYLE, DIT STENDHAL, La Chartreuse de Parme,  1839, page 128. 

Remarque : Cette locution adverbiale représente plus des deux-tiers des occurrences du mot ailleurs. 

2. Par ailleurs. Synonyme : d'un autre côté. 

a) Locution adverbiale de phrase.  Indique que l'on mentionne à titre complémentaire et comme en passant, des aspects que l'on n'a pas encore envisagés. Synonyme : pour le reste :  

Ø 38. Helvétius, par ailleurs honnête homme et bon homme, (mot dont on a trop mésusé, et qu'il faut faire revenir à sa première valeur), Helvétius marié, se faisoit amener chaque nuit une nouvelle maîtresse par son valet de chambre, qui les cherchoit, autant qu'il pouvoit, dans la classe honnête du peuple.

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Essai historique, politique et moral sur les révolutions, tome 2, 1797, page 273. 

Ø 39.... à ce point que des hommes honorables par ailleurs, comme monsieur votre trisaïeul, sacrifiaient à la fausse philosophie,...

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, L'Anneau d'améthyste,  1899, page 39. 

b) Locution adverbiale portant sur un adjectif ou un participe.  Indique que la qualité nouvelle exprimée par cet adjectif ou ce participe n'est pas mise en cause par ce qui précède : 

Ø 40. Elle [Odette] souhaitait qu'il cultivât des relations si utiles, mais elle était par ailleurs portée à les croire peu chic, depuis qu'elle avait vu passer dans la rue la marquise de Villeparisis en robe de laine noire, avec un bonnet à brides.

MARCEL PROUST, À la recherche du temps perdu, Du côté de chez Swann, 1913, page 225. 

Ø 41. Elle est, par ailleurs, trop unie à lui et mon amitié les confond trop pour que cette défense me soit douloureuse.

JOE BOUSQUET, Traduit du silence,  1935-1936, page 68. 

Remarque : 1. En tant que locution adverbiale figée, par ailleurs n'est enregistrée ni par DICTIONNAIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE  (ÉMILE LITTRÉ), ni par Dictionnaire de l'Académie Française avant l'édition de 1932. 2. Cette locution exprime souvent une nuance d'opposition avec l'énoncé qui précède ou qui suit. 

 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 25 335. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 29 177, b) 30 404; XXe.  siècle : a) 34 294, b) 45 938. 

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