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BOUCHÉE, substantif féminin.

Publié le 04/11/2015

Extrait du document

BOUCHÉE, substantif féminin.  

I.—  [Par référence à la bouche en tant qu'elle sert à ingérer, à mastiquer et à goûter les aliments; confer bouche II A] .

A.—  Quantité de nourriture solide, morceau d'aliment que l'on introduit en une seule fois dans la bouche. Une bouchée de pain, de viande : 

Ø 1.... il se mit à manger. C'était son fils qui payait, après tout, il fallait prendre sa part. A chaque cuillerée de soupe qui lui tombait dans l'estomac, à chaque bouchée de pain ou de viande écrasée sur ses gencives, à chaque verre de cidre et de vin qui lui coulait par le gosier, il croyait regagner quelque chose de son bien,...

GUY DE MAUPASSANT, Contes et nouvelles, tome 1, Le Père Amable, 1886, page 224. 

SYNTAXE : Une solide bouchée de pain, une grosse bouchée de veau. Couper de petites bouchées. Prendre quelque chose par grosses bouchées. Avaler de grosses bouchées, une bonne bouchée de quelque chose Dévorer à grosses bouchées. Manger par petites, par grandes bouchées. Engloutir d'énormes bouchées. Mordre à grandes bouchées dans quelque chose Avaler quelque chose d'une bouchée, en quelques bouchées. Avaler la première bouchée de quelque chose Manger quelque chose jusqu'à la dernière bouchée. Se tailler de longues bouchées de pain. Piquer des bouchées d'omelette. Porter une bouchée à ses lèvres, mettre une bouchée dans sa bouche. Mâcher quelque chose à lentes bouchées. Manger sans appétit, par minuscules bouchées. Déguster quelque chose à petites bouchées. Dire quelque chose entre deux bouchées, entre chaque bouchée. Avaler sa dernière bouchée. Être sur le point de terminer son repas. 

·    Par métaphore. Chacune de ces bouchées que j'arrache à la réalité pour la livrer à la digestion spirituelle (PAUL CLAUDEL, Un Poète regarde la Croix,  1938, page 226) : 

Ø 2.... le puits avalait des hommes par bouchées de vingt et de trente, et d'un coup de gosier si facile, qu'il semblait ne pas les sentir passer.

ÉMILE ZOLA, Germinal,  1885, page 1153. 

Ø 3. On veut de nos jours que tout le monde sache lire... est-ce que vous croyez que vous allez tailler au peuple ses lectures, lui mesurer ses bouchées, lui dire : Tu liras ceci et tu ne liras pas cela?

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Premiers lundis, tome 3, 1869, page 225. 

·    Bouchée de roi. Mets excellent (digne d'un roi). Dernières terrines de foies de canard; des foies admirables, monstrueux! De vraies bouchées de roi! (THÉOPHILE GAUTIER, Le Capitaine Fracasse,  1863, page 61 ). 

—  Spécialement.  Morceau d'aliment qui a été soumis à la mastication, à la salivation et qui est prêt pour la déglutition : 

Ø 4.... dans l'avancement de nos lèvres, dans le travail de notre langue et de nos meules, dans l'infusion de notre salive, nous réduisons la parcelle en bouchée, et faisons passer à l'intérieur ce qui, jusque-là était à l'extérieur.

PAUL CLAUDEL, Un Poète regarde la Croix,  1938, page 198. 

B.—  Locutions et expressions. 

1. [Par référence à des bouchées normales ou petites, dans certaines locutions le terme sert à désigner une petite quantité de nourriture, au figuré, une petite quantité de quelque chose (jusqu'à désigner la plus petite quantité possible d'une chose et même son degré zéro, c'est-à-dire rien)] :

Ø 5.... la grande rue charriait des hommes exténués, couverts de poussière, mourants de faim, sans qu'on eût une bouchée à leur donner. Beaucoup s'arrêtaient, frappaient aux portes, tendaient les mains vers les fenêtres, suppliant qu'on leur jetât un morceau de pain.

ÉMILE ZOLA, La Débâcle,  1892, page 148. 

a) Manger une bouchée. Manger peu, manger une très petite quantité de nourriture. Synonyme : manger un morceau. Le voisin vous fait asseoir, manger une bouchée, trinquer (JOSEPH DE PESQUIDOUX, Le Livre de raison,  1925, page 18 ). Avaler une bouchée de temps à autre. Ne manger qu'une bouchée. Manger quelques bouchées. Ne pouvoir avaler que quelques bouchées. Ne pas pouvoir avaler une bouchée. Être tout à fait incapable de manger quelque chose, ne rien pouvoir avaler. 

Remarque : La documentation fournit une attestation du terme avec la signification « goûter » : 

Ø 6. [Mme.  Joseph :] — ... Auguste va rentrer pour sa bouchée de quatre heures, et il ne sera guère content, s'il ne trouve pas son fromage et son verre de vin sur la table.

ÉMILE ZOLA, Fécondité,  1899, page 451. 

b) [À l'idée de \" petite quantité \", s'ajoute la notion de \" pain \", c'est-à-dire de produit alimentaire à bas prix que l'on peut se procurer avec une relative facilité]  Pour une bouchée de pain. (figuré).  Pour (presque) rien. Donner, acheter, racheter quelque chose pour une bouchée de pain : 

Ø 7.... je ne vous dirai pas que je l'ai eu pour une bouchée de pain. Non, non. Je l'ai payé trente mille, ce Renoir-là; mais il en vaut quatre vingt mille aujourd'hui.

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, La Passion de Joseph Pasquier, 1945, page 10. 

Remarque : 1. Au sens concret, rare : 

Ø 8. Un seul article avait subi une baisse sensible : les petites femmes. On trouvait des gamines pour rien, une bouchée de pain littéralement, une assiettée de viande froide dans une taverne, un chocolat dans une pâtisserie. L'âge d'or pour les amateurs, avec cette faim qui torturait tout le monde.

MAXENCE VAN DER MEERSCH, Invasion 14,  1935, page 149. 

Remarque : 2. Dans le même esprit, on rencontre les syntagmes : Il n'y a plus une bouchée de pain. Il n'y a plus rien à manger. Courir après une bouchée de pain. Courir après quelque chose à manger, quoi que cela soit et si peu que cela soit. Mendier à quelqu'un une bouchée de pain. Sauver une bouchée de pain (figuré). Sauver quelque chose, si peu que cela soit. 

c) [À propos de quelqu'un, par rapport à la situation dans laquelle il se trouve]  Sans perdre une (seule) bouchée (d'un repas, d'un aliment); sans en perdre une bouchée. Sans, pour autant, en manger moins; sans, pour autant, en manger ne serait-ce qu'une seule bouchée en moins. Ne pas perdre une seule bouchée (d'un repas, d'un aliment); ne pas en perdre une bouchée. Sans perdre une bouchée, il parla longuement (ÉMILE ZOLA, Rome,  1896, page 222) : 

Ø 9.... monsieur ne s'aperçoit de rien; il n'en perd pas une bouchée de viande, ni une bouffée de tabac... Quel gros lourdaud!

OCTAVE MIRBEAU, Le Journal d'une femme de chambre,  1900, page 175. 

·    Figuré. Ne pas perdre une bouchée (de quelque chose); ne pas en perdre une bouchée. Ne rien perdre (de quelque chose); ne rien en laisser échapper. Ne pas perdre une bouchée de ces mille petits détails qui constituent la vie intime du régiment (GEORGES MOINAUX, DIT GEORGES COURTELINE, Les Gaîtés de l'escadron, Coupe nouvelle, 1885, page 221 ). Linaire réanime Pierrette et n'en perd pas une bouchée (RAYMOND QUENEAU, Loin de Rueil,  1944, page 117) : 

Ø 10. Deux cotres en perte tâtent un passage... La tragédie est imminente; il faut pas en perdre une bouchée... Tous les passionnés s'agglomèrent à la pointe de la digue, contre la cloche de détresse... On scrute les choses à la jumelle...

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit,  1936, page 141. 

2. [Par référence à de grosses bouchées, locutions dans lesquelles l'idée dominante est celle de voracité au sens concret, celle d'avidité au figuré, associée à celles de force, de facilité, de rapidité] 

a) Faire une bouchée ou, plus fréquemment ne faire qu'une bouchée (d'un aliment). Le manger très vite, d'un seul coup, avec voracité, gloutonnerie. [Le sujet de la locution verbale désigne un animal]  Jacqueline est une petite fille et Miraut est un gros chien... Il pourrait l'avaler en trois bouchées (ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Pierre Nozière,  1899, page 65 ). 

—  Au figuré, familier. 

·    [Le complément déterminant désigne une personne]  Ne faire qu'une bouchée de quelqu'un; n'en faire (rien) qu'une bouchée. Le dominer facilement, venir aisément à bout de sa résistance, prendre sans difficulté le dessus sur lui, physiquement, moralement, intellectuellement. Il [Louis Bonaparte] a fait de M. Changarnier une dupe, de M. Thiers une bouchée (VICTOR HUGO, Napoléon le Petit,  1852, page 24 ). Quand je vois les autres hommes, je découvre qu'ils sont pareils. La première grue venue n'en fait qu'une bouchée (FRANÇOIS MAURIAC, Passage du Malin,  1948, page 53) : 

Ø 11. Trois classes de gens dans le monde présent. En haut, chevaliers d'industrie, régnant, —  au milieu, les épiciers domptés, —  en bas, le peuple qui, un beau jour, fera une bouchée de cette belle société.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1857, page 320. 

Ø 12. Il invita, certain dimanche, un jeune homme de son bureau. Joseph n'en fit qu'une bouchée. Le jeune homme épouvanté, ne reparut plus.

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Vue de la Terre promise, 1934, page 105. 

Ø 13.... pour costaud qu'il pût être, le kaiser n'était pas un gros bras, on savait d'avance que Perrin, athlète magnifique, n'en ferait qu'une bouchée.

JEAN-PAUL SARTRE, Les Mots,  1964, page 178. 

Dans un contexte érotique : 

Ø 14. « Ce M. Ficheclacque regarde mademoiselle comme s'il voulait n'en faire qu'une bouchée... c'en est inconvenant ».

PAUL DE KOCK, Le Professeur Ficheclacque,  1867, page 14. 

Plus rare. Avaler quelqu'un d'une bouchée. Même sens : 

Ø 15. Si, tout de même, les Allemands prenaient cette soif de paix pour de la peur, s'ils s'imaginaient qu'ils vont nous avaler d'une bouchée, ah! non.

JULES RENARD, Journal,  1905, page 978. 

·    [Le complément déterminant désigne une chose abstraite]  Ne faire qu'une bouchée de quelque chose En venir aisément à bout, en triompher avec facilité. Cette réunion de travaux épars, dont chacun des auteurs ne dut faire qu'une bouchée (HONORÉ DE BALZAC, Œuvres diverses, tome 2, 1850, page 100 ). Si je le lisais, mon bouquin, moi je n'en ferais qu'une bouchée (GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Cécile parmi nous, 1938, page 190) : 

Ø 16. [L'âne, à l'homme :]

L'immensité, sur toi sinistrement penchée,

Luit; ta suprématie en fait une bouchée. 

VICTOR HUGO, L'Âne,  1880, page 327. 

Ø 17. L'intuition, faisant une bouchée des totalités infinies, n'est pas, en somme, un miracle plus étonnant que le mouvement ou la durée.

VLADIMIR JANKÉLÉVITCH, Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien, 1957, page 49. 

Plus rare. Avaler quelque chose d'une (seule) bouchée. Même sens : 

Ø 18. Ses chevaux et Lucy lui avaient mangé trois fermes, Nana allait d'une bouchée avaler son dernier château,...

ÉMILE ZOLA, Nana,  1880, page 1351. 

b) Mettre les bouchées doubles. Manger très vite : 

Ø 19. Elle me donna à entendre qu'elle attendait que j'eusse fini pour desservir (...) je me dépêchais, mettant bouchées doubles,...

ANDRÉ GIDE, Isabelle,  1911, page 606. 

—  Au figuré, familier.  Précipiter l'accomplissement de quelque chose, aller deux fois plus vite qu'à l'ordinaire, en faire deux fois plus. Faire les bouchées doubles; à bouchées doubles (rare) : 

Ø 20. Il a douze mille français à manger. Il en a pour plusieurs mois, même en mettant les bouchées doubles. Il faut une certaine habitude pour gaspiller l'argent.

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Le Combat contre les ombres, 1939, page 157. 

Ø 21.... les juges, déchaînes au hasard, mettent les bouchées doubles. Alors, n'est-ce pas, il faut bien essayer d'aller plus vite qu'eux?

ALBERT CAMUS, La Chute,  1956, page 1533. 

Remarque : 1. On rencontre dans la documentation une attestation de l'expression familière avoir les bouchées grosses, en parlant d'une personne et avec le sens « vouloir beaucoup à la fois » : 

Ø 22.... ils se battaient pour l'argent du lundi au samedi, (...) au magasin, c'était là leur préoccupation tyrannique, une lutte sans trêve ni pitié. Et ce malin de Bouthemont qui venait de prendre pour lui l'envoyée de Mme.  Sauveur, cette femme maigre avec laquelle il causait! Une belle affaire, deux ou trois douzaines de pièces, car la grande couturière avait les bouchées grosses.

ÉMILE ZOLA, Au Bonheur des dames,  1883, page 480. 

Remarque : 2. La documentation fournit d'autre part un emploi isolé de l'expression figuré et familier croquer d'une bouchée : 

Ø 23. L'oreille, au milieu (qu'on croquerait d'une bouchée), fait figure de petite île.

HENRI DE MONTHERLANT, La Petite Infante de Castille,  1929, page 666. 

3. Locution adverbiale. 

—  D'une bouchée. En une seule fois. De puissantes pelles mécaniques (...) enlèvent d'une bouchée le contenu de dix brouettes (ÉMILE-AUGUSTE CHARTIER, DIT ALAIN, Propos,  1932, page 1076 ). 

—  Dès les premières bouchées. Au début du repas. Dès la dernière bouchée. Dès la fin du repas; immédiatement après le repas. 

C.—  ART CULINAIRE.  Par métonymie.  [à l'origine du moins, la petite taille de ces préparations permettait de les porter à la bouche en une seule fois et de les manger en une seule bouchée] 

1. En cuisine.  Petite croûte de pâte feuilletée, petit vol-au-vent dont l'intérieur est garni de petits morceaux de viandes ou de poissons divers en sauce, se servant comme entrée. Bouchée à la reine, à la Nantua, à la périgourdine, à la Marie-Stuart... : 

Ø 24.... plus loin, sur des réchauds d'argent à l'esprit-de-vin, afin de les conserver bien chaudes, les bouchées de queues d'écrevisses de la Meuse à la crème cuite, fumaient dans leur pâte feuilletée, croustillante et dorée,...

EUGÈNE SUE, Le Juif errant,  1844-45, page 225. 

2. En pâtisserie.  Petit four. 

3. En confiserie.  Bouchée de chocolat. Bonbon de chocolat fourré de praliné, de caramel, de crème parfumée, de nougat, etc. Bouchées de chocolat. 

II.—  Rare. 

A.—  [Par référence à la bouche servant à respirer; confer bouche II B] .  Volume d'air que l'on peut aspirer en une seule fois. Il respirait à petites bouchées, sorties d'une poitrine dense, indolore, hors d'usage (JOSEPH MALÈGUE, Augustin ou le Maître est là, tome 2, 1933, page 508 ). Ma tante avait seulement profité de ces quelques secondes de répit pour avaler rapidement deux grandes bouchées d'air (JEAN GIONO, L'Eau vive,  1943, page 323 ). 

—  Argot.  Bouffée (de cigarette). Tirer une bouchée. Tirer une bouffée de cigarette, fumer. Avaler une bouchée. On peut pas sortir la cigarette de la poche pour tirer une bouchée de misère (ALAIN ROBINET, DIT MUSETTE. Cagayous philosophe, début XXe], page 61 ). 

B.—  [Par référence à la bouche servant à embrasser (confer bouche I C Particule), avec jeu sur la notion \" d'un seul coup, en une seule fois \" propre au terme bouchée (confer supra A et B 1)] :

Ø 25. Je t'embrasse toi, ton Linou, ton Jacques, ta mman et ton ppa, tout d'une bouchée.

HENRI, ALBAN FOURNIER, DIT ALAIN-FOURNIER, Correspondance [avec Jacques Rivière] , 1913, page 341. 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 382. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 189, b) 682; XXe.  siècle : a) 819, b) 608. 

 

Forme dérivée du verbe \"boucher\"

 boucher

BOUCHER1, verbe transitif.  

I.—  [Avec une idée d'emplissage] 

A.—  [Le complément d'objet désigne un orifice, un creux souvent accidentel]  Remplir, combler. Boucher un trou : 

Ø 1. À l'étage supérieur, (...) on bouchait avec du plâtre les petits trous que les opérations précédentes avaient laissés.

GUSTAVE FLAUBERT, L'Éducation sentimentale, tome 1, 1869, page 250. 

Ø 2. Il est possible que les Turcs, en convertissant la plupart des églises grecques en mosquées, aient fait combler ou boucher des cryptes...

ALBERT LENOIR, L'Architecture monastique, tome 1, 1852, page 360. 

—  Par métaphore : 

Ø 3. Mathématiciens, physiciens, philosophes et politiques ont, tous, les yeux hors de la tête; au lieu d'ouvrir des passages, ils bouchent tous les trous. « Avec un sac de plâtre, disait le maçon, on fait tenir pour dix ans une maison qui branle ». Ainsi, confondant les métiers, les penseurs plâtrent et replâtrent,...

ÉMILE-AUGUSTE CHARTIER, DIT ALAIN, Propos,  1931, page 990. 

Ø 4. L'autre [Rodolphe] continuait à parler culture, bestiaux, engrais, bouchant avec des phrases banales tous les interstices où pouvait se glisser une allusion.

GUSTAVE FLAUBERT, Madame Bovary, tome 2, 1857, page 207. 

Ø 5.... eux-mêmes baptisaient du mot monstres leurs vers à l'état d'ébauche et de premier jet et où les trous sont bouchés avant la reprise et le parfait achèvement du travail par des mots sans signification.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1890, page 1168. 

1. Emplois spéciaux.   DROIT.  vieilli. Boucher les vues d'une maison. \" Murer celles de ses fenêtres qui voient de trop près sur une propriété voisine, contrairement à la coutume, à la loi \" (Dictionnaire de l'Académie Française). 

Remarque : Également attesté dans DICTIONNAIRE UNIVERSEL DE LA LANGUE FRANÇAISE  (LOUIS-NICOLAS BESCHERELLE) 1845, Grand dictionnaire universel du XIXe. et du XX-20e. siècle (Pierre Larousse), DICTIONNAIRE DES DICTIONNAIRES  (SOUS LA DIRECTION DE PAUL GUÉRIN ) 1892 et DICTIONNAIRE ENCYCLOPÉDIQUE QUILLET 1965. 

—  MARINE.  Boucher une voie d'eau. Synonyme : Aveugler* une voie d'eau :  

Ø 6. Le rocher, jusqu'à un certain point, bouchait l'avarie et gênait le passage de l'eau. Il faisait obstacle. L'ouverture désobstruée, il serait impossible d'aveugler la voie d'eau et de franchir les pompes.

VICTOR HUGO, Les Travailleurs de la mer,  1866, page 207. 

—  TECHNOLOGIE.   [Chez les doreurs]  Boucher d'or moulu. \" Réparer les ouvrages qui ont quelque petit défaut après avoir été brunis \" (Dictionnaire de la langue française (ÉMILE LITTRÉ)). 

Remarque : Également attesté dans DICTIONNAIRE UNIVERSEL DE LA LANGUE FRANÇAISE  (LOUIS-NICOLAS BESCHERELLE) 1845, Grand dictionnaire universel du XIXe. siècle (Pierre Larousse), Nouveau Larousse illustré et DICTIONNAIRE DES DICTIONNAIRES  (SOUS LA DIRECTION DE PAUL GUÉRIN) 1892. 

2. Locution figurée. Boucher un trou. 

a) Remplir une place restée inoccupée ou devenue vacante (confer bouche*-trou) : 

Ø 7. Impossible de l'oublier, on l'a trop vu; il habite dans l'imagination de chacun, (...) la maîtresse de la maison le trouve sous sa plume quand, dans sa liste d'invités, elle a besoin de boucher un trou.

HYPPOLYTE-ADOLPHE TAINE, Notes sur Paris, Vie et opinions de Monsieur Frédéric-Thomas Graindorge, 1867, page 183. 

Ø 8. Madame de Gueldre fit de son mieux pour boucher les nombreux trous de la conversation languissante.

SIBYLLE-GABRIELLE-MARIE-ANTOINETTE DE RIQUETTI DE MIRABEAU, COMTESSE DE MARTEL DE JANVILLE, DITE GYP, Une Passionnette,  1891, page 240. 

Ø 9. Je suis en train de déjeuner. On sonne. C'est le jeune Simond qui me sollicite pour boucher le trou que fait à l'Echo la désertion de Mendès et de Silvestre.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1895, page 784. 

·    Par transposition, abstrait : 

Ø 10. Quelle digne femme que cette mère abandonnée, qui ne demandait rien, qui ne voulait rien accepter, qui était toute bardée de fierté blessée... et repinçait le gosse, en douce pour boucher les silences.

HERVÉ BAZIN, La Part du pauvre,  1954, page 11. 

b) Payer, rembourser une dette : 

Ø 11. 333 000 francs de droit d'auteur, cela bouchera juste tous les grands trous. Je n'aurai plus qu'à entamer le remboursement de ma mère, et après, ma foi, je serai bien à l'aise.

HONORÉ DE BALZAC, Correspondance,  1833, page 393. 

B.—  Par extension. 

1. [Le complément d'objet désigne une ouverture aménagée dans un bâtiment]  Fermer : 

Ø 12. La fenêtre, un volet la bouche;

...

THÉOPHILE GAUTIER, Émaux et camées,  1852, page 63. 

2. [Le complément d'objet désigne quelque chose qui est vide ou qui apparaît comme tel] 

a) [Dans l'organisme]  En boucher un coin (populaire). Remplir l'estomac, le charger. 

—  Par métaphore : 

Ø 13. Pour les repas de corps, les noces, les festins,

La Revue des deux mondes 

Peut en boucher deux coins aux pires intestins,

Ou le ciel me confonde!

RAOUL PONCHON, La Muse au cabaret,  1920, page 119. 

—  Emploi pronominal d'auteur : 

Ø 14. Manger... c'est s'approprier par destruction, c'est en même temps se boucher avec un certain être.

JEAN-PAUL SARTRE, L'Être et le Néant,  1943, page 706. 

—  Figuré. En boucher un coin, une surface à quelqu'un. Le remplir d'étonnement : 

Ø 15. « Oh! Ben alors!... Oh! Ben alors!... » Il était couillonné le gendarme de retrouver un piston pareil... « Ah! Ça c'est un particulier!... » Il savait pas quoi conclure... ça lui en bouchait plusieurs coins...

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit,  1936, page 673. 

b) [Concerne l'espace]  Occuper : Le salon était plein... des hommes, immobiles le long des murs, bouchaient les intervalles (ÉMILE ZOLA, Une Page d'amour,  1878, page 893) : 

Ø 16. Sur les pins plantés pour boucher les vides, les pousses de 1933 ont été rongées par les lapins alors qu'elles émergeaient de la neige,...

VALÉRY LARBAUD, Journal,  1934, page 304. 

Ø 17. Sa beauté rayonnait sur un monde trop grand pour mon coeur et où ma place n'était prévue que pour boucher un coin,...

JOE BOUSQUET, Traduit du silence,  1936, page 243. 

—  Particulièrement, néologisme.  [Dans le domaine des phénomènes atmosphériques]  Couvrir, obscurcir : 

Ø 18. Philippe ne se remet pas tout de suite à faucher. Il souffle un peu, appuyé sur la faux, regarde si le temps ne menace pas, si des nuages ne bouchent pas l'horizon...

JULES RENARD, Nos frères farouches,  1910, page 186. 

·    Par métaphore : 

Ø 19.... au lieu d'emplir le siècle de lumière, il [Hugo] a failli le boucher de la masse épaisse de sa rhétorique.

ÉMILE ZOLA, Documents littéraires, Études et portraits, 1881, page 70. 

·    Emploi pronominal à sens passif.  [Le sujet désigne le ciel]  Se couvrir, se charger de nuages, s'obscurcir. Par métonymie.  [Le sujet désigne le temps]  Se couvrir, devenir mauvais. Le temps va se boucher (JULIEN GRACQ, Le Rivage des Syrtes,  1951, page 241) : 

Ø 20. Le ciel se bouchait de plus en plus. Une cavalerie de nuages galopait dans le jour tombant, en suivant les crêtes : du mauvais temps pour le lendemain.

HENRI POURRAT, Gaspard des Montagnes, La Tour du Levant, 1931, page 267. 

—  Au figuré. Mais tout ce qu'il disait prenait un air faux, dit pour boucher du vide (HENRI POURRAT, Ibidem,  1931, page 84) : 

Ø 21. D'ailleurs, les rayons poussaient toujours, on en avait essayé deux nouveaux en décembre, afin de boucher les vides de la morte-saison d'hiver :...

ÉMILE ZOLA, Au Bonheur des dames,  1883, page 789. 

Ø 22. Pour boucher bien vite cette lacune, je dirai très vite qu'aussitôt sorti du « dépôt » des Petits-Carmes, je fus mis, dans la même prison, en cellule,...

PAUL VERLAINE, Mes prisons,  1893, page 382. 

II.—  [Avec une idée d'obstacle] 

A.—  Faire obstacle au passage de quelque chose, en particulier d'un liquide. 

1. [Le complément d'objet désigne une bouteille, un flacon...]  Introduire un bouchon* dans le goulot. Boucher une bouteille. Boucher un flacon à l'émeri* (confer bouchon* à l'émeri également) : 

Ø 23. Ayant rempli d'eau bouillante un flacon d'un litre, puis l'ayant hermétiquement bouché, il le renverse sur une cuve à mercure; l'eau une fois refroidie, il le débouche sous le métal, pour y introduire un demi-litre d'oxygène pur...

JEAN ROSTAND, La Genèse de la vie,  1943, page 84. 

—  Par analogie : 

Ø 24. Je compte, au contraire, obstruer ce déversoir à son orifice, le boucher hermétiquement,...

JULES VERNE, L'Île mystérieuse,  1874, page 171. 

2. [Le sujet désigne une chose, le complément d'objet désigne un tuyau, une conduite, une canalisation...]  Engorger, obstruer en gênant ou empêchant le passage de quelque chose, en particulier d'un liquide. Le chauffeur, (...) dit que le sable avait dû boucher le carburateur (ALBERT CAMUS, L'Exil et le royaume,  1957, page 1560 ). 

·    Par métaphore : 

Ø 25.... enfin tout ce qui peut servir aux hommes, au lieu de leur boucher l'esprit, de les rendre superstitieux et de les aider à tuer le temps.

ÉMILE ERCKMANN ET ALEXANDRE CHATRIAN, DITS ERCKMANN-CHATRIAN, Histoire d'un paysan, tome 2, 1870, page 388. 

Ø 26. Les connaissances qu'on entonne de force dans les intelligences les bouchent et les étouffent.

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, Le Crime de Sylvestre Bonnard,  1881, page 430. 

—  Emploi pronominal à sens passif : 

Ø 27. —  Jamais contents les locataires, on dirait des prisonniers, faut qu'ils fassent de la misère à tout le monde!... C'est leurs cabinets qui se bouchent... Un autre jour c'est le gaz qui fuit... C'est leurs lettres qu'on leur ouvre!...

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Voyage au bout de la nuit,  1932, page 334. 

·    Par métaphore : 

Ø 28. Vainement, Pierre s'efforça de l'instruire [le cardinal Sarno] de l'émouvoir, désolé de le sentir si fermé, si indifférent. Et il s'aperçut que cette intelligence, vaste et pénétrante dans le domaine où elle évoluait depuis quarante ans, se bouchait dès qu'on la sortait de sa spécialité.

ÉMILE ZOLA, Rome,  1896, page 275. 

—  Spécialement.  MÉDECINE.   [Le complément d'objet désigne un canal, un conduit naturel de l'organisme]  Synonyme : oblitérer* :  

Ø 29. Les rapports anatomiques des fosses nasales et de l'arrière-gorge avec le conduit lacrymal permettent de rendre compte des divers accidents, (...) Rien ne prouve le moins du monde qu'il y eût carie; il y avait le conduit naturel que bouchait un obstacle incomplet, et cet obstacle cédait en partie si l'on pressait. De tels cas sont assez simples.

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Port-Royal, tome 3, 1848, page 114. 

Ø 30. Un soir, à Mürren, par exemple. Au pied de la montagne, on boit vite une bière froide qui vous fracasse les tempes à bout portant. Le funiculaire part entre les mûriers. Peu à peu, les oreilles se bouchent, le nez se débouche; on arrive.

JEAN COCTEAU, Le Grand écart,  1923, page 11. 

Ø 31. Tant que l'expectoration peut libérer l'arbre bronchique des mucosités qui le bouchent, et tant que le coeur tient, l'animal peut vivre calmement et avec un exercice très modéré.

ERNEST GARCIN, Guide vétérinaire,  1944, page 99. 

·    Emploi pronominal à sens passif : 

Ø 32. La phlébite, surtout visible à la jugulaire, se traduit par un engorgement chaud et douloureux sur une partie du trajet de la veine au bord inférieur de l'encolure. Au niveau de la plaie de saignée apparaît un peu de suppuration. Dans les cas graves, la veine peut se boucher complètement par un caillot assez long qui remonte vers l'auge.

ERNEST GARCIN, Guide vétérinaire,  1944 page 193. 

B.—  Par analogie avec l'emploi supra II A 2 

1. [Le complément d'objet désigne une voie de circulation]  Encombrer, barrer en gênant ou empêchant le passage de quelque chose ou de quelqu'un : 

Ø 33.... il se produit alors comme un reflux dans toute la ligne, les bêtes épouvantées se pressent, s'empilent; non-seulement la rue est barrée, mais elle est bouchée, et l'on a devant soi une sorte d'obstacle confus, hérissé de jambes, surmonté de têtes,...

EUGÈNE FROMENTIN, Un été dans le Sahara,  1857, page 141. 

Ø 34.... comme la Méchain bouchait la porte, il [Saccard] dut la bousculer, l'enjamber, pour sortir.

ÉMILE ZOLA, L'Argent,  1891, page 313. 

Ø 35. Les soldats de Crucha, s'étant retirés à la hâte, bouchèrent avec des quartiers de roches toutes les issues du monastère...

ANATOLE-FRANÇOIS THIBAULT, DIT ANATOLE FRANCE, L'Île des pingouins,  1908, page 144. 

Ø 36. Un défilé d'hurluberlus (...) il en surgissait toujours d'autres!... Ils bouchaient la circulation.

LOUIS-FERDINAND DESTOUCHES, DIT CÉLINE, Mort à crédit,  1936, page 531. 

Ø 37. Pour les corps pesants, opaques, ceux qui vous bouchent l'entrée du métro ou vous froissent les côtes les soirs de feu d'artifice, je me fie à peu près [dans les statistiques] aux fonctionnaires de dénombrement...

ALEXANDRE ARNOUX, Paris-sur-Seine,  1939, page 126. 

—  Par métaphore. 

·    Boucher la voie, les routes... à quelqu'un. Semer, sur son chemin, des obstacles qui rendent sa progression difficile ou impossible : 

Ø 38. Je ne connaissais qu'eux. Ils me fermaient l'horizon, ils me bouchaient le ciel, le coeur, toutes les avenues de la vie.

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Vue de la Terre promise, 1934, page 240. 

Ø 39. Ne vous obstinez pas dans ma direction; vous vous y épuiseriez. (...). Mais, si cette voie-là vous est bouchée, elle n'est pas la seule.

HENRI DE MONTHERLANT, Les Jeunes filles,  1936, page 931. 

·    Boucher les issues à quelqu'un. Lui fermer toute possibilité de faire quelque chose : 

Ø 40. La période qui suivit fut pour Rambert à la fois la plus facile et la plus difficile. C'était une période d'engourdissement. Il avait vu tous les bureaux, fait toutes les démarches, les issues de ce côté-là étaient pour le moment bouchées.

ALBERT CAMUS, La Peste,  1947, page 1306. 

·    Boucher (une carrière). Encombrer (une carrière) et en gêner ou en empêcher l'accès : 

Ø 41. Nous sommes inondés de fils, enfin! On ne voit que cela : ils bouchent toutes les carrières; ce sont des survivances qui barrent tout... C'est que les moeurs, voyez-vous, défont terriblement les lois...

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Renée Mauperin,  1864, page 229. 

Emploi pronominal à sens passif : 

Ø 42. Puis toutes les carrières s'encombrent et se bouchent par cette vulgarisation des aptitudes, des capacités. Un jour viendra où il n'y aura plus que des têtes, des plumes. Nous marchons à n'avoir plus de bras...

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  1861, page 871. 

·    Boucher l'avenir (à quelqu'un). Lui borner ou lui fermer ses perspectives d'avenir : 

Ø 43. —  C'est trop fort, grondait-il. On dirait que tout complote pour m'empêcher de percer, de prendre mon vol, de débuter avec éclat. On dirait que tout le monde se ligue pour me boucher l'avenir. Et voilà pourtant un bouquin qui devrait partir tout seul avec son titre épatant : le vent dans les voiles.

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Cécile parmi nous, 1938, page 196. 

Emploi pronominal à sens passif : 

Ø 44. Un homme... n'a pas le droit, sous peine de se boucher l'avenir, d'accepter certaines fonctions subalternes; il s'y dévalorise...

ALEXANDRE ARNOUX, Roi d'un jour,  1956, page 202. 

2. [Le mot est utilisé pour signifier qu'il est fait obstacle, dans les emplois concrets, au passage de quelque chose jusqu'aux sens, et, dans les emplois figurés, au passage de quelque chose jusqu'à la conscience] .

a) Boucher la vue. Faire obstacle, faire écran au regard; empêcher de voir : 

Ø 45. Maintenant, (...) on voyait une immense éclaircie, un coup de soleil et d'air libre; et, à la place des masures qui bouchaient la vue de ce côté, s'élevait, sur le boulevard Ornano, un vrai monument,...

ÉMILE ZOLA, L'Assommoir,  1877, page 737. 

·    Au figuré : 

Ø 46. Il s'agissait de bien faire tourner l'enquête : poser surtout Gilbert en victime et boucher ainsi la vue de ceux qui voudraient regarder le passé de trop près.

HENRI POURRAT, Gaspard des Montagnes, La Tour du Levant, 1931, page 263. 

—  Boucher les yeux de quelqu'un (figuré). L'empêcher de s'apercevoir de quelque chose, lui masquer la réalité, l'aveugler : 

Ø 47. [Josépha :] — ... Y a-t-il un de vous qui ait assez aimé une femme... pour se laisser si bien bander les yeux qu'il n'ait pas pensé qu'on les lui bouchait afin de l'empêcher de voir le gouffre où... on l'a lancé.

HONORÉ DE BALZAC, La Cousine Bette,  1846, page 375. 

Ø 48. Oh, quand j'étais dans ce pays, avec une figure où tous les passants pouvaient me lire et ma voix qui muait, et mes désirs qui me bouchaient les yeux... comme j'étais peu le maître de moi-même, et comme j'étais inconscient même de mon esclavage!

VALÉRY LARBAUD, A. O. Barnabooth,  1913, page 299. 

·    Emploi pronominal, au figuré. Se boucher les yeux. Refuser de voir les choses telles qu'elles sont : 

Ø 49. C'était là l'évidence. Bien entendu, on pouvait toujours s'efforcer de ne pas la voir, se boucher les yeux et la refuser, mais l'évidence a une force terrible qui finit toujours par tout emporter.

ALBERT CAMUS, La Peste,  1947, page 1357. 

—  Par métonymie. Boucher le jour. Le masquer, faire écran au passage de la lumière : 

Ø 50.... pendant que Buteau s'isolait dans un coin, contre le mur, et qu'Hyacinthe seul restait debout, devant la fenêtre, dont il bouchait le jour, de ses larges épaules.

ÉMILE ZOLA, La Terre,  1887, page 26. 

·    Au figuré. Boucher l'horizon : 

Ø 51. Mais le pire, quand on habite une prison sans barreaux, c'est qu'on n'a pas même conscience des écrans qui bouchent l'horizon.

SIMONE DE BEAUVOIR, Mémoires d'une jeune fille rangée, 1958, page 277. 

b) Boucher ses oreilles (à quelque chose). Les obturer avec ses doigts, sa main (pour ne pas entendre quelque chose). Figuré.  Ne pas vouloir entendre pour ne pas savoir; vouloir ignorer : 

Ø 52. François ne pouvait se mentir plus longtemps, ni boucher ses oreilles à la rumeur qui montait.

RAYMOND RADIGUET, Le Bal du comte d'Orgel,  1923, page 86. 

Remarque : Noter, sur ce modèle, un emploi d'auteur boucher son âme : 

Ø 53. Il [l'artiste moderne] peint, il peint; et il bouche son âme, et il peint encore jusqu'à ce qu'il ressemble enfin à l'artiste et à la mode...

CHARLES BAUDELAIRE, Curiosités esthétiques,  1867, page 219. 

—  Au figuré, emploi pronominal. Se boucher les oreilles : 

Ø 54.... mais elle fermait les yeux, elle se bouchait les oreilles, elle voulait ignorer la conduite de son mari au dehors.

HONORÉ DE BALZAC, La Cousine Bette,  1847, page 24. 

·    [Sur ce modèle]  Rare : 

Ø 55. Dans la cuisine chaude où Léonie me bousculait tendrement, je me défendais de ces mauvais souvenirs, j'aurais voulu me boucher la mémoire.

MARCEL AYMÉ, Le Vaurien,  1931, page 186. 

Ø 56. Parce que tu le veux bien que tu te bouches l'oreille, l'intelligence et la bonne foi, que tu te prêtes bénévolement à cette élasticité commode à l'espace.

ALEXANDRE ARNOUX, Le Seigneur de l'heure,  1955, page 75. 

Remarque : Les expressions se boucher les yeux et se boucher les oreilles, qui rendent compte d'un même état d'esprit (refus de savoir, refus de la réalité, de l'évidence) se rencontrent associées : 

Ø 57. Mais c'est le contraire, c'est exactement le contraire qui me frappe si fort. C'est notre immense bonne volonté à nous boucher les yeux et les oreilles. C'est notre lutte désespérée contre l'évidence.

ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY, Pilote de guerre,  1942, page 308. 

c) Boucher son nez, ses narines. Pincer son nez, comprimer ses narines, pour ne pas respirer quelque odeur désagréable. 

·    Par métaphore : 

Ø 58.... mais la ferveur extasiée, l'aventure révolutionnaire ou religieuse bouchent les narines et rendent insensibles à la puanteur...

ALEXANDRE ARNOUX, Roi d'un jour,  1956, page 120. 

·    Emploi pronominal. Se boucher le nez. 

Par métaphore : 

Ø 59. Diable! Je n'ai rien de la vieille dame sentimentale, je veux regarder la réalité en face, et sans me boucher le nez, si elle pue.

VALÉRY LARBAUD, A. O. Barnabooth,  1913, page 146. 

Remarque : On rencontre dans la documentation les composés a) Bouche-bouteilles, substantif masculin invariable, néologisme, technologie. Machine servant à effectuer le bouchage des bouteilles (confer Raymond Brunet, Le Matériel vinicole, 1925, page 496; Grand Larousse encyclopédique en dix volumes et Dictionnaire encyclopédique Quillet 1965 qui écrit bouche-bouteille, substantif masculin; confer d'autre part boucheur*). b) Bouche-four, substantif masculin, technologie. Synonyme de bouchoir* (confer L. Vincent, George Sand et le Berry, 1919, page 356). c) Bouche-nez, substantif masculin invariable, métiers : \" Masque de cuir percé de trous et quelquefois recouvert de filasse que, dans certaines fabrications ou manipulations, les ouvriers se mettent sur le visage pour se garantir contre les émanations dangereuses \" (Dictionnaire des dictionnaires (SOUS LA DIRECTION DE PAUL GUÉRIN) 1892; également attesté dans le Dictionnaire de l'Académie Française, Compléments 1842, Dictionnaire universel de la langue française (Louis-Nicolas Bescherelle) 1845, Grand dictionnaire universel du XIXe. siècle (Pierre Larousse), Dictionnaire de la langue française (Émile Littré), Nouveau Larousse illustré et Dictionnaire encyclopédique Quillet 1965). d) Bouche-oeil, substantif masculin, familier, rare. \" Somme d'argent que l'on donne à quelqu'un pour obtenir de lui qu'il ferme les yeux sur quelque chose, pour acheter son silence, sa complicité... \" Pour ne pas voir, il faut ou se boucher les yeux, ou avoir reçu un bouche-oeil (Léon Daudet, L'Avant-guerre, 1913, page 211) (attesté dans Grand Larousse de la langue française en six volumes et comme terme argotique, sous la forme bouche(-)l'oeil dans Les excentricités du langage français (Lorédan Larchey) 1880 : \" Pièce de cinq, dix ou vingt francs dans l'argot des filles qui font allusion à la pantomime de certaines enchères \" et dans le Dictionnaire historique des argots français (Gaston Esnault) 1965 : \" C'est une pantomime, pour se faire ouvrir une porte, de se poser une pièce d'or sur la paupière (campagnards, soldats, 1er.  Empire) \". e) Bouche-pores, substantif masculin invariable, néologisme, technologie : \" Préparation à base de gomme —  laque et de matières plastiques, destinée au remplissage des pores du bois avant vernissage, des rainures de parquet, etc. \" (Dictionnaire de la chimie et de ses applications (CLÉMENT DUVAL, RAYMONDE DUVAL, ROGER DOLIQUE) 1959; confer également Charles Coffignier, Couleurs et peintures, 1924, page 744; Grand Larousse encyclopédique en dix volumes qui enregistre de plus bouche-porage : \" Phase du vernissage du bois \" et bouche-porer : \" Pratiquer le bouche-porage \"). 

 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 568. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 413, b) 976; XXe.  siècle : a) 1 152, b) 846. 

 

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