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C'étaient mon oncle et sa fille.

Publié le 06/01/2014

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C'étaient mon oncle et sa fille. C'était. Au cours des mois qui se sont écoulés depuis cet après-midi-là, Froma m'a dit que lorsqu'elle raconte l'histoire de ce que nous avons découvert au cours de ce voyage, lorsqu'elle la raconte à des gens, elle me décrit, à cet instant précis où Prokopiv a prononcé le nom de Szedlakowa, comme ayant fondu. Et c'est vrai que quelque chose s'est brisé en moi à ce moment-là. Je me suis tout simplement effondré, je me suis accroupi dans la poussière de la rue et je me suis mis à pleurer. C'était en partie lié à ceci : la bizarre coïncidence qui voulait que, parmi toutes les histoires de gens qui avaient été cachés, cet homme, que nous avions presque manqué ce jour-là, à qui nous n'aurions jamais parlé si nous étions arrivés quelques minutes plus tard, à qui nous n'aurions jamais posé la bonne question si Froma n'avait pas, une fois de plus, insisté, exigé un dernier coup d'oeil, cet homme ne connaisse qu'une histoire de Juifs cachés, qui se trouvait être l'histoire qui m'intéressait, l'histoire que j'avais passé les quatre dernières années de ma vie à traquer et à recoller. Et c'était en partie lié à ceci : pendant longtemps il avait semblé qu'il n'y aurait jamais de confirmation véritable de cette histoire, parce que chaque personne qui me l'avait racontée, dans les différentes versions dont ils en avaient entendu parler, avait été absente lorsque cela s'était passé. A présent, je parlais à un Ukrainien et pas à un Juif, c'est-à-dire à quelqu'un qui était présent lorsque cela s'était passé. Tout à coup, c'était moins une histoire qu'un fait. J'avais touché le fond. J'étais accroupi dans la rue silencieuse, la main posée sur mes yeux mouillés, et quand j'ai pu enfin regarder, j'ai vu que Prokopiv s'était approché de moi et m'observait avec une expression de profonde sympathie, presque paternelle, un peu comme un homme regarde un enfant qui s'est fait mal. Aiiiii, a-t-il dit avec un grand soupir. Tak, tak. Oui, oui. Ça sonnait comme là, là. Froma et Alex sont restés silencieux un moment. Puis Froma a demandé tout doucement, Tout le monde le savait ? Tout le monde connaissait cette histoire ? Prokopiv a approuvé fermement de la tête. Oui, oui, a dit Alex. Tout le monde savait. Il dit que tout le monde en a parlé quand ça s'est passé. Quand ça s'est passé. Pas en 1946 à Katowice, pas en 1950 en Israël, pas en 2003 en Australie. C'est cette pensée qui m'a rappelé que j'avais du travail à faire, que je devais obtenir des informations maintenant. J'avais les idées claires, et je me suis relevé. J'ai dit, Il a bien dit qu'il y avait deux institutrices ? C'est une information nouvelle pour moi. Les deux Ukrainiens ont parlé un moment, le vieil homme de quatre-vingt-dix ans et l'homme d'une trentaine d'années à l'allure d'ours qui, pour de mystérieuses raisons de goût, de tempérament, ou par accident, avait fini par consacrer sa vie de travail à rechercher l'histoire des Juifs de Galicie. Alex a dit, Oui, ces deux institutrices étaient des soeurs, elles vivaient ensemble. Et il pense que les deux ont été tuées. J'ai demandé, Est-ce qu'il se souvient dans quel quartier de la ville elles habitaient ? Alex a posé la question à Prokopiv et puis s'est tourné pour m'adresser, à moi seul, un regard intense. Il a dit, Bien sûr qu'il s'en souvient. Il va nous y emmener, si on veut. La rue était silencieuse. Une petite brise agitait les feuilles des pommiers. J'ai dit, Oui, on veut.   LA maison qui avait autrefois appartenu aux soeurs Szedlak, un bungalow de plain-pied et bas, très semblable à de nombreuses maisons que l'on voit à Bolekhiv, avait l'air abandonnée quand Prokopiv nous l'a montrée du doigt, alors que nous l'emmenions en voiture à l'église. Nous l'y avons laissé après l'avoir remercié avec effusion. Pendant le trajet, Froma a dit à Alex de demander au vieil homme s'il se souvenait du nom du traître. J'étais tellement bouleversé par la découverte de la maison des Szedlak qu'il ne m'était pas venu à l'esprit de poser la question. Je n'imaginais pas pouvoir découvrir autre chose ; j'avais l'impression que ça suffisait comme ça. Mais Alex, qui était profondément ému, je le voyais bien, par ce qui était en train de se passer, était aussi impatient que Froma de suivre cette piste. Il a parlé un moment avec Prokopiv, qui a secoué la tête tristement. Il ne sait pas qui les a trahis, a dit Alex alors que nous parcourions le court trajet qui va du quartier du Dom Katolicki au Rynek, où se dressait le petit dôme doré de l'église ukrainienne, à cinquante pas de la maison où mon grand-père était né. Alex a ajouté, Il dit que, peut-être à l'époque, il a su. Oui, à l'époque, les gens ont su... Mais c'était il y a tellement longtemps. L'idée que Prokopiv protégeait peut-être quelqu'un m'a brièvement traversé l'esprit, et lorsque Froma a parlé, j'ai su immédiatement qu'elle avait la même idée en tête. Elle a dit, Tout ce qui est arrivé est arrivé parce que quelqu'un, un individu, a pris une décision. Elle et moi avions beaucoup parlé de ça depuis des années. A Ponar, elle avait exposé une pensée qu'elle avait formulée auparavant et qu'elle formulerait encore : l'Holocauste avait été tellement important, l'échelle avait été tellement gigantesque, tellement énorme, qu'il était facile d'y penser comme à quelque chose de mécanique. D'anonyme. Mais tout ce qui s'était passé s'était passé parce que quelqu'un avait pris une décision. Appuyer sur une gâchette, déclencher un commutateur, fermer la porte d'un fourgon à bestiaux, cacher, trahir. C'est avec cette considération en tête - qui, à l'enregistrement des faits historiques, au catalogue des choses qui ont eu lieu et ont pu être observées, ajoute la dimension invisible de la moralité, du jugement sur ce qui a eu lieu - qu'elle a demandé Qui était le traître ?, et s'est demandé, comme je l'avais fait brièvement, si l'incapacité de Prokopiv de donner un nom que tout le monde avait su autrefois n'était pas le résultat d'une décision morale de sa part, à cet instant précis, peut-être une décision de ne pas juger aujourd'hui un voisin vieux et malade, plutôt que l'inéluctable conséquence du passage du temps. Nous sommes retournés dans la maison des Szedlak. Prokopiv nous avait dit qu'il y avait une jolie véranda autrefois, à l'avant de la maison. Il n'y en avait plus aujourd'hui. La maison s'étirait le long de la rue, une longue façade en stuc ponctuée par trois modestes fenêtres. Elle avait l'air impénétrable. La porte, semblait-il, était à l'arrière, auquel on accédait par un portail grillagé et un petit chemin à travers le jardin. Au fond du jardin, il y avait une autre petite construction, dont le toit pentu était fait de la même tôle ondulée que celui de la maison principale. Il n'y avait qu'une porte et une fenêtre. Je l'ai regardé en me disant, Trop évident. Sur le chemin qui allait de la rue au jardin, étaient couchés deux chiens, un petit terrier noir et un gros berger allemand. Ils nous regardaient et n'avaient pas l'air particulièrement sympathiques. Alex a frappé à la fenêtre. Au bout d'un moment, une femme à l'air hagard a surgi dans le jardin : des traits slaves bouffis, des cheveux teints en noir et hirsutes, une robe de chambre dans un tissu fin et de couleur pourpre criarde rapidement serrée autour d'une taille conséquente. Elle pouvait avoir soixante ans, elle pouvait en avoir quarante. Les chiens se sont mis à aboyer furieusement. Froma et moi avons attendu près du portail pendant qu'Alex s'avançait pour parler à la femme. Elle dit que nous pouvons entrer dans le jardin, a-t-il dit. Mais elle ne sait rien, elle est arrivée ici dans les années 1970, de Russie. C'est bon, ai-je dit, nous voulons seulement voir le jardin. Prokopiv avait dit, Ils les ont tuées dans le jardin. Je voulais voir l'endroit, m'y tenir un instant et partir. Nous avons marché le long du petit chemin, les chiens tournant autour de nos pieds et aboyant bruyamment. Alex a dit quelque chose à la femme et elle a crié en direction des chiens qui se sont éloignés. Nous avons marché dans la petite cour cimentée. Le jardin, avait dit Prokopiv. Ils les avaient tous tués là. J'ai passé la caméra vidéo à Alex et dit, J'ai un peu de mal à supporter tout ça, estce que vous voulez bien filmer pour moi ? Il a hoché la tête et l'a prise. Tous les trois, nous avons circulé pendant un moment. C'est ici qu'ils sont morts, me suis-je dit. Cela ne paraissait pas réel. J'ai dit à Froma, Je ne sais même pas quoi penser. C'est incroyable de penser que c'est ici que ça s'est passé. Je suis resté là à secouer la tête en regardant la maison décrépite, la petite cour en ciment, l'abri de jardin un peu effondré. En tout cas, ce n'était pas le castel d'un comte polonais. J'ai regardé de nouveau l'abri de jardin et une idée m'est venue. J'ai dit à Alex, Pouvons-nous demander à ces gens s'il est possible d'entrer là-dedans ? Je voulais voir l'intérieur. Ici, sur ces quelques mètres carrés de ciment, ils étaient morts. Mais ils s'étaient cachés quelque part à l'intérieur, ils y avaient été vivants. Trente ans auparavant, Tante Miriam m'avait écrit une lettre. Oncle Shmiel et 1 fille Fridka les Allemands ont tué à Bolechow en 1944, ce que me dit un homme de Bolechow personne sait si c'est vrai. Nous savions maintenant que c'était vrai. Ils avaient été ici, ici quelque part. Je voulais le voir. Trois autres femmes, aussi hagardes que la première, les pieds nus et sales, s'étaient postées derrière la porte. Alex a dit, Je pense que nous ne devrions pas rester trop longtemps parce que ce sont des alcooliques - elles sont très alcooliques. Nous avons approuvé de la tête. Nous nous sommes faufilés à l'intérieur par la porte d'entrée. Deux couples de chats maigres copulaient sur le sofa. L'endroit sentait le moisi et l'alcool, et aussi l'urine, je crois. Il y avait quelques pièces minuscules : une petite cuisine juste après la porte d'entrée, et au-delà une petite salle de séjour avec deux sofas - sur l'un desquels se trouvait, je m'en suis aperçu, le corps inerte d'une femme enveloppée dans des couvertures -, et au-delà encore une salle à manger avec une table et quelques chaises. Les murs de la salle à manger étaient peints en jaune vif ; une jolie frise de feuilles de lierre vertes courait tout autour de la pièce, juste au-dessous du plafond. Des rideaux de dentelle pendaient sur chaque fenêtre

« Alex aposé laquestion àProkopiv etpuis s'est tourné pourm'adresser, àmoi seul, unregard intense. Il adit, Bien sûrqu'il s'ensouvient.

Ilva nous yemmener, sion veut. La rue était silencieuse.

Unepetite briseagitait lesfeuilles despommiers. J'ai dit, Oui, onveut.   LA maison quiavait autrefois appartenu auxsœurs Szedlak, unbungalow deplain-pied etbas, très semblable àde nombreuses maisonsquel'onvoit àBolekhiv, avaitl'airabandonnée quand Prokopiv nousl'amontrée dudoigt, alorsquenous l'emmenions envoiture àl'église.

Nousl'y avons laisséaprès l'avoir remercié aveceffusion. Pendant letrajet, Froma adit àAlex dedemander auvieil homme s'ilsesouvenait dunom du traître.

J'étais tellement bouleversé parladécouverte delamaison desSzedlak qu'ilnem'était pas venu àl'esprit deposer laquestion.

Jen'imaginais paspouvoir découvrir autrechose ; j'avais l'impression queçasuffisait commeça.Mais Alex, quiétait profondément ému,jele voyais bien,parcequi était entrain desepasser, étaitaussi impatient queFroma desuivre cette piste.

Ilaparlé unmoment avecProkopiv, quiasecoué latête tristement. Il ne sait pasquilesatrahis, adit Alex alors quenous parcourions lecourt trajet quivadu quartier duDom Katolicki au Rynek, où sedressait lepetit dôme dorédel'église ukrainienne, à cinquante pasdelamaison oùmon grand-père étaitné.Alex aajouté, Ildit que, peut-être à l'époque, il a su.

Oui, àl'époque, lesgens ontsu...

Mais c'était ilya tellement longtemps. L'idée queProkopiv protégeait peut-êtrequelqu'un m'abrièvement traversél'esprit,etlorsque Froma aparlé, j'aisuimmédiatement qu'elleavaitlamême idéeentête.

Elleadit, Tout cequi est arrivé estarrivé parcequequelqu'un, unindividu, apris une décision. Elle etmoi avions beaucoup parlédeçadepuis desannées.

APonar, elleavait exposé une pensée qu'elleavaitformulée auparavant etqu'elle formulerait encore:l'Holocauste avaitété tellement important, l'échelleavaitététellement gigantesque, tellementénorme,qu'ilétait facile d'ypenser comme àquelque chosedemécanique.

D'anonyme.

Maistoutcequi s'était passé s'était passéparcequequelqu'un avaitprisune décision.

Appuyersurune gâchette, déclencher uncommutateur, fermerlaporte d'unfourgon àbestiaux, cacher,trahir.C'estavec cette considération entête – qui, àl'enregistrement desfaits historiques, aucatalogue des choses quiont eulieu etont puêtre observées, ajouteladimension invisibledelamoralité, du jugement sur cequi aeu lieu – qu'elle ademandé Qui était letraître ?, et s'est demandé, comme jel'avais faitbrièvement, sil'incapacité deProkopiv dedonner unnom quetout le monde avaitsuautrefois n'étaitpaslerésultat d'unedécision moraledesapart, àcet instant précis, peut-être unedécision denepas juger aujourd'hui unvoisin vieuxetmalade, plutôtque l'inéluctable conséquence dupassage dutemps. Nous sommes retournés danslamaison desSzedlak.

Prokopiv nousavait ditqu'il yavait une jolie véranda autrefois, àl'avant delamaison.

Iln'y enavait plusaujourd'hui.

Lamaison s'étirait le long delarue, unelongue façadeenstuc ponctuée partrois modestes fenêtres.Elleavait l'air impénétrable.

Laporte, semblait-il, étaitàl'arrière, auquelonaccédait parunportail grillagé etun petit chemin àtravers lejardin.

Aufond dujardin, ilyavait uneautre petite construction, dontletoit pentu étaitfaitdelamême tôleondulée quecelui delamaison. »

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