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connaissions le jour et l'année de naissance.

Publié le 06/01/2014

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connaissions le jour et l'année de naissance. Ce 19 avril était son quarante-quatrième anniversaire, mais il n'avait pas écrit « à l'occasion de son 44e anniversaire » ; il avait opté pour « dans sa 44e année », et en lisant cela, je suis frappé par le fait que le mot que je traduis par « année » est Lebensjahr, qui signifie littéralement « année de vie », et ce choix de mot, bien qu'il soit courant, évidemment, et qu'il n'y ait pas de doute dans mon esprit sur le fait que Shmiel n'y a pas réfléchi à deux fois quand il l'a écrit, me paraît remarquable, sans doute parce que je sais que, en ce jour de printemps où la photo a été prise, il ne lui restait que quatre de ces années de vie à vivre.     Par conséquent, nous connaissions quelques noms et une date. Après la mort de mon grandpère, certains documents se rapportant à Shmiel, ainsi que d'autres photos qu'aucun d'entre nous n'avions encore vues, sont entrés en notre possession, et c'est seulement lorsque nous avons trouvé ces documents et vu ces photos que nous avons finalement appris, ou cru que nous apprenions, les noms des autres filles. Je dis « cru que nous apprenions » parce que, en raison de certaines particularités de l'écriture désuète de Shmiel (par exemple, sa façon d'ajouter une minuscule ligne horizontale en haut de ses l cursifs, ou bien de faire un y final comme nous écririons aujourd'hui un z final, si nous nous donnions la peine d'écrire des lettres à la main en cursive), nous avions, je l'ai appris ensuite, mal lu un des noms. C'est pourquoi, pendant longtemps, en fait pendant les vingt années qui ont suivi la mort de mon grand-père, nous avons pensé que les noms des quatre filles superbes de Shmiel et d'Ester étaient les suivants :     Lorca Frydka (Frylka ?) Ruchatz Bronia     Mais, comme je l'ai dit, c'est arrivé après la mort de mon grand-père. Jusque-là, j'avais pensé que tout ce que nous saurions jamais à leur sujet consistait en une date, le 19 avril, et trois noms, Sam, Ester, Bronia ; et, bien entendu, leurs visages qui regardaient depuis ces photos, solennels, souriants, candides, composés, inquiets, oublieux, mais toujours silencieux, et toujours noirs, et gris, et blancs. Ainsi, Shmiel et sa famille, ces parents disparus, trois d'entre eux sans nom, semblaient follement ne pas être à leur place, absence étrange, grise, au coeur de cette présence très vivante, bruyante et souvent incompréhensible, au coeur de ces conversations et de ces histoires ; chiffres immobiles et sans paroles, au sujet desquels, au milieu des parties de mah-jong, des ongles rouges, des cigares, des verres de whiskey avalés au moment de la chute d'une histoire en yiddish, il est impossible d'apprendre quoi que ce soit d'important, si ce n'est ce fait saillant, cette chose horrible qui s'était passée et qui était résumée sous cet unique label, tués par les nazis.     BIEN AVANT QUE nous sachions tout cela, à l'époque où la simple vue de mon visage suffisait à faire pleurer des adultes, bien avant que je commence à tendre l'oreille pour écouter des propos murmurés au téléphone, bien avant ma bar-mitsva, il faut avouer que je n'étais, au mieux, que vaguement curieux, assez peu intéressé par lui, par eux, en dehors peut-être du léger ressentiment provoqué par le fait que cette ressemblance physique faisait de moi une cible pour ces vieilles personnes qui voulaient m'attraper, me serrer, dans ces appartements qui sentaient le renfermé où nous entrions, pendant ces vacances d'été et d'hiver, apportant des boîtes de chocolat et d'oranges confites qui étaient jaunes et vertes et rouges autant qu'orange, ce qui était merveilleux. La plupart de ces personnes étaient inoffensives et certaines étaient très amusantes. Sur les genoux de ma grand-tante Sarah, la soeur de la mère de mon père, je restais assis, quand j'avais six, sept ou huit ans, ravi de jouer avec ses perles, et secrètement mais fermement décidé à voir mon reflet sur la surface brillante de ses ongles rouges chinois pendant qu'elle jouait au mahjong avec ses trois soeurs, qui étaient très proches. J'ai un vague souvenir de la maison dans laquelle elle vivait à Miami. Dans ce souvenir, j'avais peut-être cinq ans. A l'intérieur, les adultes et les personnes âgées parlaient de ce dont parlent les adultes et les personnes âgées : les histoires de famille, les récits murmurés des mariages précédents ; les noms des parents auxquels nous ne parlions plus. J'étais sorti pour échapper à la conversation des adultes et je jouais sur une petite pelouse avec mon frère aîné, celui dont le prénom hébraïque était Shmiel, fait dont j'étais jaloux. Andrew et moi jouions sur la pelouse avec ces poupées militaires en plastique populaires à l'époque, appelées G.I. Joe, et j'étais terriblement excité par un accessoire que mes parents venaient de m'acheter, sans doute pour que nous restions tranquilles, les garçons, parce qu'ils parlaient de ce dont ils pouvaient bien parler. Cet accessoire était une mitrailleuse en plastique gris, montée sur un petit trépied en plastique. J'avais soigneusement placé ma mitrailleuse sur le bord d'un petit fossé et j'avais commencé à mitrailler le G.I. Joe de mon frère ; au début, mon frère avait joué le jeu et je dois admettre que la vue de son soldat tombant dans le fossé m'avait donné une sombre sensation de puissance, qui me réjouissait puisqu'il était l'aîné après tout et que je n'avais pas l'habitude de prendre le dessus. Mais, mon frère et moi, nous nous sommes ensuite disputés pour la possession de la mitrailleuse en plastique. Brusquement, il me l'a arrachée de la main - il avait huit ans, je n'en avais que cinq - et l'a jetée dans une bouche dégoût toute proche. J'ai couru en hurlant à l'intérieur de la maison où se trouvaient les adultes, et ma grand-tante Sarah m'a pris sur ses genoux et très vite j'ai été consolé. Mais certaines de ces vieilles personnes juives, nous savions, enfants, en dépit de notre jeune âge, qu'il fallait les éviter à tout prix. Il y avait, par exemple, Minnie Spieler, la veuve du photographe, avec son nez et ses doigts comme des griffes, et les étranges vêtements de « bohémienne » qu'elle portait ; Minnie Spieler, pour qui était réservé, dans notre cimetière de famille du Queens, un rectangle de sable lisse, avec une petite pancarte plantée dans le sol qui disait réservé à mina spieler, ce qui avait le don de nous terrifier lorsqu'on y allait tous les ans et qu'on nous faisait poser des pierres sur les tombes de nos parents morts, et je me demandais, avec ressentiment, ce qu'elle pouvait bien faire dans le cimetière de notre famille. Minnie, vous ne vouliez surtout pas lui parler ; elle vous prenait le bras dans ses mains en forme de pinces de crabe au cours de ces réunions et elle vous regardait intensément dans les yeux, comme quelqu'un qui a perdu quelque chose et qui espère que vous pourrez peut-être l'aider à la retrouver ; et quand elle s'apercevait que vous n'étiez pas ce qu'elle cherchait, elle se retournait brusquement et partait rôder dans la pièce voisine. Il y avait donc des gens comme Minnie Spieler, qui avait cessé de venir aux réunions de famille, au bout d'un certain temps - elle avait, disait-on, déménagé en Israël -, ce qui explique pourquoi il ne m'est plus jamais venu à l'esprit de demander de ses nouvelles. Mais la vieille personne qu'il fallait éviter plus que toute autre, c'était l'homme que nous ne connaissions que sous le nom de Herman le Coiffeur. Lors de ces réunions, au cours desquelles je pouvais, de temps en temps, faire pleurer les gens, ce Herman le Coiffeur faisait son apparition, minuscule et ratatiné, voûté, vieux à un point inimaginable, plus vieux même que mon grand-père, et il essayait de vous murmurer des choses -- ou, je devrais plutôt dire, de me murmurer des choses, parce que j'ai toujours eu l'impression que c'était sur moi qu'il se ruait, s'il est possible d'employer ce verbe pour décrire sa démarche traînante, mais décidée ; c'était vers moi qu'il avait l'habitude de se diriger, essayant de m'attraper une main ou un bras, souriant et faisant claquer ses dents qui, je m'en rends compte à présent, n'étaient pas les siennes, murmurant des choses en yiddish, quand il finissait par se rapprocher, et que je ne pouvais donc pas comprendre. Evidemment, je m'éloignais dès que je pouvais me dégager de l'espace entre le mur et lui, et je me précipitais dans les bras de ma mère, qui me donnait un demi-cercle parfait d'orange confite de couleur verte, pendant que, dans l'autre coin de la pièce, Herman riait avec un autre des anciens habitants de Bolechow, les Juifs de la ville dont venait ma famille, pointant le doigt vers moi, souriant avec indulgence et disant que j'étais un frische yingele, un petit garçon impertinent. Je m'éloignais de lui et je rejoignais mes frères, et nous faisions nos petits jeux idiots, qui consistaient parfois à se moquer des mots bizarres qui fusaient de temps en temps dans l'atmosphère, au-dessus de leurs conversations à la fois murmurées et vives, ces mots avec leurs étranges diphtongues plaintives du pays d'autrefois qui provoquaient chez nous de la gêne et nos moqueries. TOOOYYYYBBBBB, criait-on en tournant en rond et en ricanant, TOYB TOYB TOYB ! J'ai grandi en entendant ma mère parler en yiddish à ses parents et j'ai été capable de reconnaître certains mots et certaines phrases assez vite ; mais d'autres -  comme vairebinichegraffepototskie, que mon grand-père disait avec un sourire amusé si vous lui demandiez, disons, cinq cents pour acheter un chewing-gum, ou

« solennels, souriants,candides,composés, inquiets,oublieux, maistoujours silencieux, et toujours noirs,etgris, etblancs.

Ainsi,Shmiel etsa famille, cesparents disparus, troisd'entre eux sans nom, semblaient follementnepas être àleur place, absence étrange, grise,aucœur de cette présence trèsvivante, bruyante etsouvent incompréhensible, aucœur deces conversations etde ces histoires ;chiffres immobiles etsans paroles, ausujet desquels, au milieu desparties demah-jong, desongles rouges, descigares, desverres dewhiskey avalésau moment delachute d'unehistoire enyiddish, ilest impossible d'apprendre quoiquecesoit d'important, sice n'est cefait saillant, cettechose horrible quis'était passée etqui était résumée souscetunique label, tués parlesnazis.

    BIEN AVANT QUEnoussachions toutcela, àl'époque oùlasimple vuedemon visage suffisait à faire pleurer desadultes, bienavant quejecommence àtendre l'oreille pourécouter des propos murmurés autéléphone, bienavant mabar-mitsva, ilfaut avouer quejen'étais, au mieux, quevaguement curieux,assezpeuintéressé parlui,par eux, endehors peut-être du léger ressentiment provoquéparlefait que cette ressemblance physiquefaisaitdemoi une cible pour cesvieilles personnes quivoulaient m'attraper, meserrer, danscesappartements qui sentaient lerenfermé oùnous entrions, pendantcesvacances d'étéetd'hiver, apportant des boîtes dechocolat etd'oranges confitesquiétaient jaunesetvertes etrouges autant qu'orange, cequi était merveilleux. La plupart deces personnes étaientinoffensives etcertaines étaienttrèsamusantes.

Surles genoux dema grand-tante Sarah,lasœur delamère demon père, jerestais assis,quand j'avais six, sept ouhuit ans, ravidejouer avecsesperles, etsecrètement maisfermement décidéàvoir mon reflet surlasurface brillante deses ongles rouges chinois pendant qu'ellejouaitaumah- jong avec sestrois sœurs, quiétaient trèsproches.

J'aiunvague souvenir delamaison dans laquelle ellevivait àMiami.

Danscesouvenir, j'avaispeut-être cinqans.Al'intérieur, lesadultes et les personnes âgéesparlaient decedont parlent lesadultes etles personnes âgées:les histoires defamille, lesrécits murmurés desmariages précédents ;les noms desparents auxquels nousneparlions plus.J'étais sortipour échapper àla conversation desadultes etje jouais surune petite pelouse avecmon frère aîné,celuidont leprénom hébraïque était Shmiel, fait dont j'étais jaloux.

Andrew etmoi jouions surlapelouse aveccespoupées militaires en plastique populaires àl'époque, appeléesG.I.Joe, etj'étais terriblement excitéparun accessoire quemes parents venaient dem'acheter, sansdoute pourquenous restions tranquilles, lesgarçons, parcequ’ilsparlaient decedont ilspouvaient bienparler.

Cet accessoire étaitunemitrailleuse enplastique gris,montée surunpetit trépied enplastique. J'avais soigneusement placémamitrailleuse surlebord d'unpetit fossé etj'avais commencé à mitrailler leG.I.

Joedemon frère ;au début, monfrère avaitjouélejeu etjedois admettre que. »

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